Hong-Kong dans les jeux vidéo : criminalité urbaine et néons à l’ancienne

Honk-Kong sous la pluie (Sleeping Dogs - 2012)
3 Déc 2018

Grâce au medium vidéoludique, nous avons visité Tokyo, Paris, les Etats-Unis de GTA et Londres. Pour cet avant-dernier volet de notre série sur la représentation des villes réelles dans les jeux vidéo, nous nous attaquons aujourd’hui à la Perle de l’Orient : Hong-Kong. Mégalopole chinoise, imprégnée de culture coloniale britannique et de tous les anciens dominions de l’empire victorien[1], Hong-Kong est une ville-monde à part, passerelle entre des Orient et Occident fantasmés, où toutes les cultures d’Asie orientale et méridionale se croisent. Sous la coupe du Royaume-Uni jusqu’en 1997, la cité-Etat a développé une culture à part, immortalisée et arrivée jusqu’à chez nous – entre autres – grâce au cinéma. Le jeu vidéo a puisé dans cet existant pour faire sien les codes cinématographiques et l’atmosphère si particulière de Hong-Kong.

Honk-Kong sous la pluie (Sleeping Dogs - 2012)

Honk-Kong sous la pluie (Sleeping Dogs – 2012)

Une culture à part

Hong-Kong, dans l’imaginaire mondial, c’est d’abord une culture, communiquée justement par le cinéma. Le cinéma d’action, avec la multitude de films de kung fu sortis des studios de la Shaw Brothers ou de Concord Productions. Le cinéma noir et d’action, avec les films de Johnnie To, John Woo ou Andrew Lau. Le cinéma d’auteur, avec les pépites de Wong Kar-wai.

Logiquement, ce bouillon culturel, touchant tant un public élitiste que populaire, va forger l’imaginaire collectif Hong Kong. C’est une ville à la criminalité galopante : la proximité avec la Chine continentale, son port comme hub commercial et lieu d’échanges internationaux, ont effectivement permis l’installation durable de différentes branches des mafias chinoises sur place. C’est également une ville de traditions : si un vent de liberté a souvent soufflé sur Hong-Kong du fait de son indépendance vis-à-vis de la Chine et des différents régimes autoritaires qu’elle a connu, les cultures cantonaises et chinoises multi-millénaires y sont toujours vives.

Le jeu vidéo l’a bien compris. Dans les séries classiques du jeu de bagarre que sont les Fatal Fury ou les Street Fighter, où le kung fu et la figure de Bruce Li ne sont jamais loin, le niveau se déroulant à Hong-Kong est un passage obligé ! Les décors frisent le kitsch mais invoquent tout de même des éléments reconnaissables de la Perle de l’Orient.

La rue animée où la castagne a lieu dans Real Bout Fatal Fury Special (1997)

La rue animée où la castagne a lieu dans Real Bout Fatal Fury Special (1997)

Et de la même manière, la criminalité hongkongaise – et la vie des forces de police locales – a été mise en scène dans plusieurs thrillers vidéoludiques bien ficelés comme Stranglehold (2007) ou Sleeping Dogs. Ce dernier est d’ailleurs à ce jour la transcription de Hong Kong la plus réaliste qui existe dans un jeu vidéo.

Outre une représentation de la ville assez fidèle, elle aborde une multitude de questions qui vont de l’identité culturelle (les jeunes échangent en anglais avec des séniors qui leur répondent en cantonais) à la multitude de clichés plutôt bien amenés (venant tout droit du cinéma[2]), en passant par les transformations urbanistiques. Car Hong-Kong, la vraie ville, n’est pas figée dans le temps et évolue sans cesse, au rythme de grands projets d’aménagement et de développement. Le jeu vidéo permet de son côté d’explorer la ville à une période donnée, voire de se projeter dans le futur.

Ambiance scandale et pratiques de vandale sur un des marchés extérieurs de Hong-Kong dans Sleeping Dogs (2012)

Ambiance scandale et pratiques de vandale sur un des marchés extérieurs de Hong-Kong dans Sleeping Dogs (2012)

La citadelle de Kowloon

Un des symboles de ce Hong-Kong disparu est la forteresse de Kowloon, enclave chinoise de la péninsule de Kowloon. Cet ensemble urbain, rasé en 1993, était connu pour la densité de son bâti, où la lumière du jour ne pénétrait que rarement. Bien que la vie des habitants de la forteresse de Kowloon ait été très similaire à celle des autres hongkongais, une légende s’est forgée autour du lieu. Dans l’imaginaire collectif, ce lieu est interlope, parfait pour les intrigues et la vie dans les marges de la société.

Le jeu vidéo s’en est évidemment également emparé. On retrouve la forteresse dans Call of Duty: Black Ops (2010), qui se déroule pendant la Guerre froide. Elle est également abondamment présente dans Shenmue II (2001), qui prend place en 1987. Le côté labyrinthique de cet ensemble urbain rend l’exploration plus excitante. Dans le contexte d’un jeu de tir, la citadelle est le terrain idéal pour se cacher, poser des pièges et embusquer ses ennemis.

Sale temps sur Hong-Kong dans Call of Duty: Black Ops (2010)

Sale temps sur Hong-Kong dans Call of Duty: Black Ops (2010)

Mais des jeux se déroulant dans un futur plus ou moins lointain la font revivre. Dans Kowloon’s Gate (1997) la citadelle renaît littéralement de ses cendres suite à des rites feng shui interdits. Shadowrun: Hong Kong se déroule en 2056 et voit une nouvelle citadelle, infestée par le crime, construite sur les ruines de l’ancienne. Les codes sont clairs : on utilise l’architecture hors du commun du lieu, on le parsème des éléments visuels emblématiques de Hong Kong (toits en tôle, néons, sampans) et on saupoudre le tout de de rétro-futurisme. Les néo-citadelles de Kowloon sont un paradis pour les truands en tous genres.

Shine bright like Kowloon Walled City (Shadowrun: Hong Kong - 2015)

Shine bright like Kowloon Walled City (Shadowrun: Hong Kong – 2015)

Les lumières de la ville

Dernier élément omniprésent à Hong-Kong et récurrent dans les productions culturelles ayant trait à la ville : le néon. Car si la cité-Etat vit évidemment le jour, c’est de nuit qu’elle prend tout son sens. Les néons participent à l’esthétique même de la ville, avec cette lumière voilée et diffuse, qui resplendit de fait davantage la nuit. Cette atmosphère a largement inspiré la photographie des films de Wong Kai-wai (de Chungking Express à 2046) et se retrouvent également dans l’art visuel qu’est le jeu vidéo.

Hong-Kong, ville de néons (Sleeping Dogs - 2012)

Hong-Kong, ville de néons (Sleeping Dogs – 2012)

Dans chacune des images qui illustrent cet article, le néon est présent, jusqu’à l’icône d’interaction de dialogue dans Sleeping Dogs : c’est l’emblème officieux de la ville. Sans néon, Honk-Kong serait une ville portuaire asiatique comme il y en a tant d’autres. En outre, encore une fois, le jeu vidéo permet de continuer à faire vivre cette tradition visuelle qui tend à disparaître dans la réalité. Une série de décrets oblige les signes en néons les plus imposants à être démontés, pour des questions de sécurité. Si l’essentiel de ces gigantesques signes sont remplacés par des installations plus modestes et moins coûteuses en LED, le rendu n’est plus le même. L’aura du néon est inimitable.

Traverser les rues de polygones des jeux vidéo se déroulant à Hong-Kong permet ainsi à tout à chacun de (re)vivre l’atmosphère de In the Mood for Love.

Si Hong-Kong a une place aussi aussi importante dans le jeu vidéo, c’est grâce à l’atmosphère si particulière de la ville, et à la première transcription de cette atmosphère par le cinéma. Le cinéma hongkongais aura d’ailleurs un impact mondial, qu’il s’agisse du film Blade Runner (1982) ou de l’anime Ghost in the Shell (1995), grands noms du mouvement cyberpunk. Le jeu vidéo n’est que la prolongation de cette tradition des représentations de Hong-Kong.

[1] Hong-Kong est largement empreinte de culture cantonaise et d’autres minorités chinoises locales (Taishanais, Hakka, Teochew…) évidemment, mais des communautés WASP, indiennes, pakistanaises, bengali, javanaises, philippines… s’y sont installées au fil du temps.

[2] La mission La Revanche de Madame Chu rappelle à certains égards le film Nouvelle Cuisine de Fruit Chan (2004).

{pop-up} urbain
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