De la Côte Est à la Côte Ouest, le jeu des mobilités dans la série Grand Theft Auto

I want to be a part of it, Liberty, Liberty! (GTA IV)
19 Sep 2018

Voici le troisième volet de notre série d’articles dédiés à la représentation de villes réelles dans le jeu vidéo. Après avoir traité la découverte de Tokyo, puis la patrimonialisation de Paris, nous nous attaquons à la question des mobilités dans les mégalopoles nord-américaines en comparant différents jeux de la licence Grand Theft Auto (GTA).

On n’a pas tous le même nombre de polygones, mais on a la même passion

On n’a pas tous le même nombre de polygones, mais on a la même passion

Avec plus de 250 millions d’exemplaires écoulés[1] depuis le lancement de la série, GTA se hisse dans le top 10 des franchises vidéoludiques les plus vendues de l’Histoire, côtoyant sans rougir les Pokémon, Super Mario et autres Sims de ce monde. Les raisons de son succès sont nombreuses : ce qui était un jeu de malfrat très violent a su évoluer en intégrant des éléments scénaristiques poussés et prenants, en mettant en scène des personnages mémorables en servant de critique – parfois un peu simpliste – du rêve américain, et, sujet qui nous intéresse particulièrement : en recréant à merveille des villes et paysages étasuniens à explorer. Nous ferons donc l’impasse sur les deux titres se déroulant hors des Etats-Unis, GTA: London 1969 et GTA: London 1961.

GTA est intéressant d’un point de vue urbanistique parce que chaque jeu se focalise sur une partie spécifique des Etats-Unis. De jeu en jeu, on découvre une nouvelle incarnation d’une ville ou d’une région. Dans cet article, nous nous concentrerons sur la question des transports – qui sont au cœur du gameplay de la série – dans les jeux de la saga se déroulant sur la côte Est et sur la côte Ouest.

Liberty City : son métro, ses bouchons, ses péages urbains

Commençons avec Liberty City, parodie de New York City. Ville portuaire et multiculturelle, Liberty City – à l’instar de son pendant réel – est très densément peuplée, sert de centre économique et financier au pays, a une histoire importante comme porte d’entrée des Etats-Unis. Pour ces raisons, c’est également un hub de criminalité international, avec ses mafias italo-américaine, irlandaise, est-européenne ou chinoise, ainsi que ses divers gangs de motards, d’afro-américains, d’afro-caribéens ou de latino-américains. En somme, c’est le terrain de jeu parfait pour tout criminel appâté par le gain rapide et facile.

I want to be a part of it, Liberty, Liberty! (GTA IV)

I want to be a part of it, Liberty, Liberty! (GTA IV)

On arpente les rues de Liberty City dans GTA (1997), GTA III (2001), puis GTA IV (2008) et ses spin-off[2]. Si de jeu en jeu la représentation de la ville a changé (d’abord en 2D, puis en 3D, et enfin en HD), on retiendra certaines constantes. D’abord, l’activité de la ville est continue, de jour comme de nuit. A l’instar de New York City dont elle s’inspire, Liberty City est une ville qui ne dort jamais.

Conséquence de cette activité permanente où les 24 heures de la journée ne semble pas suffire, le taxi est omniprésent, et est un moyen de transport largement utilisé tant par les personnages incarnés par le joueur que par les PNJ[3]. On peut en déduire deux choses : d’une part, comme la plupart des newyorkais, le libertipolitain standard ne possède pas de véhicule individuel. Ses déplacements reposent donc sur les différents services de transports à sa disposition. D’autre part, les jeux sont sortis avant l’avènement des services de VTC qui, dans la réalité, ont commencé à mettre des bâtons dans les roues des sociétés de taxis newyorkaises à partir du début des années 2010. Notez que l’on peut également se déplacer en empruntant les lignes de métro qui serpentent sous et au-dessus de la ville.

Need a lift? (GTA IV)

Need a lift? (GTA IV)

Enfin, chaque borough et quartier de Liberty City a une identité propre forte, comme à New York. Chaque jeu aura une version de Manhattan (Island dans GTA, Stauton Island dans GTA III et Algonquin dans GTA IV) plantée de gratte-ciels, au milieu de laquelle se trouve un gigantesque parc. Il en va de même pour les autres boroughs de New York City, qui trouveront des équivalents dans les jeux[4]. Mais Liberty City n’a jamais été aussi développée que dans GTA IV.

Egaré à Liberty City en 1997 ? Pas de panique, voilà un plan pour vous aider.

Egaré à Liberty City en 1997 ? Pas de panique, voilà un plan pour vous aider.

Les raisons sont simples : la puissance de calcul des plateformes de jeu vidéo de 2008 permet l’affichage de davantage de détails, donc de construire un environnement plus riche et plus dynamique. Evidemment, le gameplay en est grandement changé, en raison notamment de contraintes urbanistiques. Car même si Liberty City est une ville relativement neuve (fondée en 1609 dans l’univers de GTA IV) et n’a pas le tracé sinueux et insalubre des villes médiévales européennes, elle reste construite sur un modèle relativement dense et serré pour une métropole nord-américaine. Certes, de larges avenues parcourent les différentes îles qui constituent la ville. Mais l’essentiel du réseau routier urbain est fait d’un maillage de petites rues souvent encombrées, qui rend la conduite automobile “légale” (comprendre : sans emplafonner le véhicule se situant devant vous) difficile. Les joueur·se·s en quête de sensations fortes préféreront donc utiliser une moto (plus rapide dans les bouchons mais également plus dangereuse), voire carrément un hélicoptère.

Autre élément contraignant la conduite : la présence d’autoroutes intra-urbaines. Des autoroutes intra-urbaines À PÉAGE ! Non seulement ces objets urbanistiques vous soutirent quelques dollars durement gagné à la sueur du front de la personne que vous avez volé plus tôt, mais en plus, ils ralentissent votre course. Deux choix s’offrent à vous : vous acquitter de l’écot qui vous est demandé après avoir patienté derrière la queue de véhicules exaspéremment lents qui vous précède ; ou foncer et détruire la barrière de péage, lançant automatiquement deux patrouilles de police à vos trousses.

Le soleil brille sur Hove Beach (GTA IV)

Le soleil brille sur Hove Beach (GTA IV)

Aussi, afin de profiter au mieux de l’une des villes américaines au passé le plus riche, nous ne saurions que trop vous recommander de flâner en métro (la vue depuis le métro aérien qui traverse les boroughs de Dukes et Broker vous permettra d’admirer la côte de Liberty City) ou en taxi. Car les GTA se déroulant à Liberty City sont aussi un appel à la détente… entre deux braquages ! On est dans la “greatest city in the world” après tout ! Ça serait dommage de ne pas en profiter en admirant le paysage.

Grands espaces et liberté à San Andreas

La côte Ouest des Etats-Unis de GTA offre elle aussi de nombreux endroits où flâner, se perdre et admirer le panorama. Partons donc pour San Andreas, un État qui, dans ses acceptions les plus récentes, est largement inspiré par la Californie. Dans la saga, San Andreas apparaît dans GTA (1997), le bien nommé GTA San Andreas (2004) et GTA V (2013).

Du fait de son statut d’État, San Andreas comprend plusieurs villes. Dans GTA San Andreas, on pourra se promener dans Los Santos (Los Angeles), San Fierro (San Francisco) et Las Venturas (Las Vegas) ainsi que dans une multitude de comtés comprenant des bourgades plus modestes. Dans GTA V, Los Santos est la seule métropole, occupant un gros quart sud-ouest de la carte ; le reste est composé d’espaces naturels, ponctués de quelques bourgs isolés et de communautés autonomes. Comme Liberty City, San Andreas est une terre d’immigration : on y vient d’Amérique Latine et des pays du pourtour de l’océan Pacifique. Là encore, cela se ressent dans la criminalité de la région : gangs salvadoriens, mexicains, vietnamiens et afro-américains – et dans une moindre mesure mafias italo-américaines, chinoises, albanaises et coréennes – se partagent trafics et territoires.

Tu reconnais bien là le style des bad boys de LS (GTA V)

Tu reconnais bien là le style des bad boys de LS (GTA V)

San Andreas est beaucoup plus vaste que Liberty City. Pour se rendre d’une ville à l’autre, il peut arriver que l’on ait à prendre l’avion pour un vol intérieur rapide ou le train plutôt la voiture. San Andreas est une terre de grands espaces. Les déplacements y sont plus longs et plus contemplatifs. On prend plaisir à conduire sur les interstates et les routes de campagne reliant les différentes villes entre elles, à admirer les lacs, les montagnes, les côtes, les déserts ou les forêts que l’on traverse. Le réseau autoroutier de San Andreas (qu’il s’agisse de la version de GTA San Andreas ou de celle de GTA V) est d’ailleurs le plus développé de la série. Après tout, nous sommes supposés être en Californie, là où la voiture est reine et où même le réseau routier intra-urbain a d’abord été pensé pour l’automobile plutôt que pour le piéton. Ce culte de la bagnole trouve son paroxysme avec la culture des lowriders, pratiquée essentiellement par les membres des gangs latino-américains. Elle consiste à abaisser au maximum le châssis de voitures américaines classiques des années 1960-70, et d’y ajouter des suspensions hydrauliques pour pouvoir les faire rebondir[5].

San Andreas Love (GTA V)

San Andreas Love (GTA V)

Conséquence de cette surreprésentation du véhicule motorisé : les transports en commun – exception faite du bus touristique permettant de visiter les hauts lieux de Vinewood (le Hollywood local) – sont finalement fort peu empruntés, malgré l’existence d’un métro à Los Santos, et de lignes de tramway à San Fierro.

Avec un pied dans la “civilisation” – incarnée par les différentes métropoles orgueilleuses traversées par les joueur·se·s -, et la nature encore largement sauvage, San Andreas offre le meilleur de deux mondes que l’on peut parcourir confortablement installé au volant de sa Banshee, le rap de Radio Los Santos à fond dans les enceintes. Savourez la musique, admirez le paysage, et laissez-vous porter par l’asphalte.

En jouant avec les spécificités géographiques des villes et régions que les jeux parodient, la série GTA a su, au fil du temps, s’installer comme une référence dans la représentation des dites villes et régions à un moment donné. Et si le gameplay reste assez similaire d’un jeu à l’autre (avec des missions axées sur diverses formes de crimes et la conduite dangereuse d’une multitude de véhicules…), le tracé urbain poussera les joueur·se·s à adopter des approches différentes selon que l’on se trouvera à Liberty City ou à San Andreas. Les développeurs l’ont d’ailleurs bien compris en mettant en place au fil du temps des missions adaptées à ces contraintes.

On pense par exemple à la mission Three Leaf Clover dans GTA IV, où, après le braquage de la Bank of Liberty, le personnage joué doit s’échapper tant bien que mal dans le dédale de rues d’Algonquin alors que l’essentiel de la police de Liberty City est à ses trousses. De la même manière que les GTA se déroulant dans San Andreas nous proposent des missions demandant de traverser de vastes étendues de terre…

La conception urbanistique des jeux de la série GTA plonge ainsi les joueur·se·s au coeur d’urbanités et de problématiques mobiles proprement étatsuniennes. De ce fait, la série est un véritable succès, et chaque nouvel opus est vivement attendu par un public extrêmement large.

[1] Lancée en 1997, la licence est la série de jeux vidéo britannique la plus rentable de l’histoire. Le cap fatidique des 250 millions d’exemplaires vendu a été atteint en 2016.

[2] The Lost and Damned (2009), qui suit un gang de bikers inspirés des Hell’s Angels, et qui rappelle à de nombreux égards la série Sons of Anarchy (2008-2014), et The Ballad of Gay Tony (2009), se concentrant davantage sur la vie nocturne de Liberty City et sa population interlope.

[3] Personnage Non Joueur : désigne tout personnage dirigé par l’intelligence artificielle du jeu.

[4] Exception faite de Staten Island, mal aimé des développeurs de la série, qui lui préfèrent généralement une version GTA de Jersey City.

[5] Pour celles et ceux qui n’ont pas vu beaucoup de clips de rap américain des années 90 : “Les modifications apportées [aux voitures anciennes en question] n’ont pas pour objectif la vitesse, comme majoritairement dans le tuning européen et asiatique. Au contraire, ces voitures sont prévues pour aller doucement et permettre de rouler tout en se « montrant ».” Voir la page Wikipédia complète ici.

{pop-up} urbain
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Vos réactions

Pierro
20 septembre 2018

Vous auriez pu aussi évoquer Vice City, cette ville qui s’étend sur deux étroites bandes de terre, séparées par la mer, donnant ainsi une plus grande importance au transport nautique, mais rendant les trajets automobiles très rébarbatifs puisque l’on passe toujours par la même route pour aller d’un bout à l’autre de la ville.

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