Le réemploi des bureaux, on en est où ?
Le virage massif vers le télétravail engagé pendant la crise sanitaire a laissé dans son sillage de nombreux bureaux d’entreprises vides ou peu occupés. Cette transformation rapide de mode de travail a dès lors soulevé des questions sur l’avenir des espaces de travail traditionnels et sur leur capacité à s’adapter à de nouveaux usages. Quatre ans après la pandémie, où en est-on ? Quels sont les exemples de réussite ? Quels sont les freins ?
Alors qu’aux États-Unis, les salariés sont revenus progressivement au présentiel, le modèle du télétravail s’est consolidé en France. Près de 30% des salariés français adoptent désormais cette pratique, comparé à seulement 4% avant la crise sanitaire. Une étude de la DARE, relevant du Ministère du Travail, révèle que 4 070 accords d’entreprise ont été conclus en 2021, établissant une moyenne de 2 jours de télétravail par semaine. Cette évolution, combinée aux pratiques du flex office (espace de travail flexible) et du no paper (gestion sans papier), a entraîné une désertification des bureaux, particulièrement en région Île-de-France. Avec moins de salariés présents sur place, les entreprises sont en effet moins gourmandes en surfaces et en libèrent peu à peu, en ne renouvelant pas leurs baux ou en déménageant dans des locaux plus petits. C’est ainsi que l’offre de bureaux inoccupés a explosé en Île-de-France, avec une augmentation de 60% entre 2019 et fin 2022. Dans ce contexte, leur transformation en logements apparaît comme une solution évidente et pleine de promesses, face aux besoins résidentiels franciliens considérables, mêlés à une volonté de limiter l’artificialisation des sols. Pourtant, le nombre de reconversions reste modeste, entravé par des freins de diverse nature. Focus sur le potentiel et la complexité du réemploi des bureaux vacants.
Un mouvement de reconversion encore timide
En France, le secteur de l’immobilier prend progressivement conscience du potentiel de métamorphose que représentent les anciens espaces de bureaux. Néanmoins, entre 2013 et 2021, seulement 1 900 logements « reconvertis » étaient autorisés chaque année en Île-de-France, dont deux tiers à Paris, surtout en petite couronne. Le prix élevé au mètre carré rend ces opérations légèrement moins coûteuses qu’ailleurs. Mais aujourd’hui, les études de reconversion se multiplient. En mars 2023, Bouygues Immobilier a notamment fait part de la création de sa nouvelle offre dédiée à la reconversion, Coverso. Novaxia Investissement, société de gestion d’actifs immobiliers, a quant à elle introduit en 2021 un fonds dédié à l’immobilier résidentiel, commercialisé par cinq assureurs majeurs, dont AG2R-La Mondiale, Generali, Suravenir et Spirica. Le succès d’une collecte de 85 millions d’euros en cinq mois a permis à Novaxia d’acquérir des immeubles de bureaux dans six villes, dont Paris, Saint-Ouen, Champigny-sur-Marne et Nanterre, pour les convertir en environ mille logements.
Des projets concrets de cette transformation sont en cours de réalisation à travers la métropole parisienne. D’anciens locaux, tels que le précédent siège de Burberry sur le boulevard Malesherbes, au cœur du quartier d’affaires, sont en cours de reconversion en logements familiaux. Le boulevard Barbès accueillera également des résidents dans l’immeuble qui fut autrefois le siège emblématique de Tati, tandis que d’autres trouveront bientôt domicile dans l’ancien siège de l’AP-HP, offrant une vue imprenable sur la Seine. À travers ces initiatives, Paris s’engage activement à revaloriser mètre carré par mètre carré d’espaces de bureaux vacants ou obsolètes en logements fonctionnels.
Transformer des bureaux en logements : un enjeu complexe
La reconversion de bureaux en logements se heurte pourtant à divers défis. “Une partie des bureaux n’est pas transformable pour des raisons techniques ou financières, indique Norbert Fanchon, président du groupe Gambetta. Certains immeubles sont trop larges : qui accepterait des pièces sans fenêtres, au milieu de son logement ? De même, l’ajout de balcons, très prisés désormais, sur des façades de bureaux lisses coûte parfois trop cher”. Il faut très souvent engager des études techniques coûteuses, auxquelles s’ajoutent des risques d’imprévus comme la présence possible d’amiante. De plus, absorber les surcoûts de reconstruction constitue un défi majeur, car la transformation d’un bâtiment revient en moyenne à 20 % plus cher que la construction neuve en raison de l’adaptation nécessaire d’une structure existante.
Lorsque la possibilité de conversion existe, un autre obstacle entrave parfois le projet : le refus potentiel des élus locaux, réticents à renoncer aux “postes de profits” que représentent les bureaux, soumis à la taxe professionnelle. Pour eux, l’habitat dont la taxe foncière rapporte moins en comparaison, est perçu comme un “poste de coûts”, les contraignant à augmenter les capacités de leurs infrastructures culturelles, sportives et sociales, sans perspective de recettes supplémentaires depuis la suppression de la taxe d’habitation. “La permanence de la vacance dans certains bureaux les incitera, peut-être, à terme, à changer d’avis, note Mathieu Descout, président de Novaxia Investissements, d’autant plus que le logement dynamise aussi la ville et ses commerces ! De plus, les maires sont à la recherche de solutions contre les îlots de chaleur : transformer du tertiaire en logements est souvent l’occasion de créer des espaces verts”.
Face aux réticences de certains élus locaux, une récente initiative à Bordeaux pourrait marquer un tournant significatif dans l’approbation des projets de reconversion. En décembre 2021, pour la première fois en France, le promoteur Elithis et Canal Architecture, porteurs du projet TEBiO, ont été autorisés à déposer une demande de permis de construire sans indiquer de destination particulière sur le formulaire. Ils ont relié les cases “logements” et “bureaux”, en indiquant une superficie commune et unique pour les deux destinations envisagées. L’affectation précise des futurs locaux, qu’ils soient destinés à des logements ou à des bureaux, sera déterminée ultérieurement.
Cette approche novatrice ouvre la voie à une plus grande flexibilité dans le processus d’approbation des projets de reconversion, permettant une adaptation ultérieure en fonction des besoins spécifiques du marché et des évolutions locales. Une démarche qui pourrait contribuer à lever certains obstacles et à favoriser la reconversion réussie de bureaux en logements, répondant ainsi aux nouveaux impératifs urbains et sociétaux.