À quoi ressemblera le street art dans le futur ?

Deux gif-itis créés par INSA
31 Jan 2019

Art éphémère par excellence, le street art marque pourtant nos espaces urbains par ses œuvres discrètes ou de grandes ampleurs. Très divers, dès ses débuts, il a su évoluer et se métamorphoser en intégrant l’ensemble des techniques artistiques, allant par exemple de la peinture au collage ou de l’affiche à la mosaïque. Il n’est donc pas étonnant que depuis les années 2000 cet art de la rue s’empare pleinement du numérique et des nouvelles formes d’interventions artistiques qui en découlent, ce qui illustre d’ailleurs sa réactivité sans faille.

Deux gif-itis créés par INSA

Gif-itis créé par INSA ©Insa Gifiti

La révolution numérique n’a pas épargné ce domaine, faisant entrer le street art dans une toute nouvelle ère, celle du digital et de la réalité virtuelle. D’autres technologies peuvent influencer l’art urbain, comme le développement de la scénographie lumineuse et des installations LED. Alors, les pixels sont-ils en voie de remplacer les bombes de peinture ? Comment va-t-il s’approprier l’arrivée d’innovations technologies et techniques et à quoi ressemblera le street art de demain ? En quoi cela pourrait-il faire émerger de nouveaux artistes et permettre au street art d’élargir ses horizons ?

Vers une digitalisation des œuvres pour des musées 2.0

Étant éphémères, les traces du street art sont précieuses et l’heure du numérique a fait apparaître un super pouvoir, celui de les conserver. L’art de la rue est parfois caché, difficile à trouver, c’est pourquoi internet s’est avéré être le lieu idéal pour le partager au plus grand nombre, de manière internationale et gratuite. Parfait espace de diffusion, le web a été rapidement investi par les street artistes eux-mêmes, créant de véritables galeries numériques pour leurs fresques ou leurs collectifs. Des médias ou associations spécialisés dans le domaine ont aussi créé des sites internet dédiés afin de rendre cet art toujours plus grand public. D’ailleurs, Instagram n’est-il pas une immense bibliothèque numérique de street art ? Participant à la renommée de cet art si particulier, le réseau social est devenu une galerie géante sans frontières qui collectionne, en plus d’autres photos, les œuvres des rues du monde entier. Les autres réseaux sociaux ont d’ailleurs rapidement investi le domaine avec la création de nombreux comptes spécialisés dans le relais d’œuvres découvertes dans l’espace public.

D’ailleurs, différentes applications numériques, similaires à des musées ou galeries 2.0 dédiées aux amateurs de street art, sont apparues. Elles permettent de donner davantage de visibilité et de clarté à l’art urbain, afin de toucher toujours plus de curieux. Ces cartes accessibles et souvent collaboratives peuvent recouvrir le monde entier, comme c’est le cas de Digital street art, Urbacolors ou Street art Cities, ou être plus locale comme My Paris Street Art. Elles donnent des alternatives aux réseaux sociaux pour la diffusion des œuvres et permettent à tous de contribuer à la mémoire de cet art éphémère.

En parallèle, des projets plus culturels et patrimoniaux ont vu le jour. Parmi les plus marquants, le cas de la Tour Paris 13 qui, condamnée à la destruction, proposa la création d’une galerie virtuelle en ligne. Les œuvres exposées durant l’existence du lieu ont été mises à disposition du public virtuellement, étage par étage, par une expérience digitale composée de différentes photos, testament du lieu aujourd’hui détruit. Il en fut de même avec les Magasins Généraux de Pantin qui pendant un an avant des travaux de réhabilitation ont été totalement numérisés par le propriétaire, l’agence de publicité BETC, afin de garder la trace du “patrimoine culturel” des nombreuses œuvres peintes dans le lieu abandonné jusqu’alors. Les 5 200 photos récoltées ont permis de recréer numériquement les fresques dans une expérience en ligne nommée Graffiti Général. Deux exemples qui peuvent nous donner à penser que dans le futur les musées de street art seront très certainement aussi numériques.

L’émergence d’un street art numérique

Qui ne connaît pas aujourd’hui les gifs ? Véritable art issu d’internet et uniquement appréciable virtuellement, les street-artistes se sont emparés du phénomène en créant des animations dans leurs fresques grâce à des séries de timelapses photographiques. C’est ainsi que naquit le «gif-itis» ! Inventé par INSA, artiste londonien, d’autres artistes comme l’italien BLU tentent désormais l’aventure, mettant en scène leur composition graphique par le mouvement et jouant ainsi avec les possibilités d’animations qu’offre ce format.

Deux gif-itis créés par INSA

Deux gif-itis créés par INSA

Deux gif-itis créés par INSA ©Insa Gifiti

La démarche peut même aller plus loin car, plus qu’un support de diffusion, le numérique est également un nouvel espace de création. Le street art se réinvente donc en s’adonnant à ses expériences virtuelles. En janvier 2017, l’expérience parisienne du Black Supermarket proposait aux visiteurs de s’exprimer et de créer des fresques de street art via un logiciel. Le résultat était visible sur un GraffWall, un mur virtuel sur lequel il était possible de dessiner en direct via un projecteur.

Installation du GraffWall au Black Supermarket en 2017 à Paris

Installation du GraffWall au Black Supermarket en 2017 à Paris ©Clotilde Gaillard

L’art de la rue à la conquête nocturne des façades

Les nouvelles techniques ouvrent aussi au street art de nouveaux horizons, ceux de la ville nocturne. Le développement et le perfectionnement des peintures phosphorescentes ont permis de créer des œuvres originales qui vivent à différentes temporalités. On peut évoquer le travail de María López et Javier de Riba du Reskate Studio qui se sont spécialisés dans cette technique particulière, pour des images qui dévoilent leur deuxième facette qu’une fois la nuit tombée.

Une baguette avec une surprise à l’intérieur qui n’apparaît qu’en pleine l’obscurité

Une baguette avec une surprise à l’intérieur qui n’apparaît qu’en pleine l’obscurité ©reskatestudio.com

Les façades urbaines peuvent aussi s’animer la nuit avec des projections de plus en plus sophistiquées. Lors de la soirée de la Nuit Blanche à Paris en 2016, le street artiste Julien Nonnon projeta partout dans la capitale des couples s’embrassant. Une installation éphémère dans l’esprit du street art, développée par cet artiste spécialisé dans les projections gigantesques. D’autres artistes se sont emparé de cet art, comme par exemple Philippe Echaroux qui avec son projet Paintings with lights démarré en 2014 à Marseille qui projette lui aussi des photographies sur les murs, ainsi que les arbres, de nombreuses villes du monde entier.

L’un des baisers qui a illuminé les rues de Paris lors de la Nuit Blanche 2016

L’un des baisers qui a illuminé les rues de Paris lors de la Nuit Blanche 2016  ©Julien Nonnon

Durant la nuit, les façades des villes deviennent alors le théâtre d’un art urbain d’un nouveau genre. Les images sont éphémères car simplement projetées, ce qui en fait un street art sans traces et sans dégradations pour les immeubles concernés, et également un art urbain qui ne vieillit pas et ne marque pas l’espace par sa présence. Dans cette même idée, les nouvelles technologies donnent donc la possibilité de créer des tags sans conséquences grâce à la projection de lasers sur les murs.

Les lasers tag expérimentés à Rotterdam en 2007

Les lasers tag expérimentés à Rotterdam en 2007 ©theowatson.com

Avec le numérique, le street art franchit la frontière de la nuit et de son obscurité pour se donner une visibilité nouvelle, mais très temporaire. Peut-être que demain les hologrammes artistiques envahiront aussi nos rues ? En attendant, de nouvelles pratiques innovantes naissent comme le « Water Light Graffiti », un mur de leds où l’on peut peindre avec de l’eau pour faire apparaître lumières et couleurs. Cette technique est possible grâce à de la fibre optique implantée dans du béton. Encore à l’essai, la technique devrait permettre à la lumière de traverser une paroi. S’ajoute le Solar graffiti développé par Engie et son programme Harmony Project. Testé à Mexico pour redonner vie à terrain sportif, il s’agirait de développer du street art lumineux à partir de panneaux solaires. Il n’est pas impossible que des progrès en bioluminescence permettent aussi de développer des installations artistiques lumineuses plus respectueuses de l’environnement dans nos rues.

Peindre avec la lumière avec Water Light Graffiti.  

Peindre avec la lumière avec Water Light Graffiti.  ©waterlightgraffiti.com

Demain, le street art sera-t-il aussi interactif ?

Récemment, une fresque de street art mettant en scène le tableau de Delacroix, “La liberté guidant le peuple” avec l’intégration de gilets jaunes, a fait sensation pour sa symbolique mais aussi son énigme. En effet, l’artiste PBOY a déclaré sur les réseaux sociaux avoir caché des indices permettant à ceux ayant trouvé la solution adéquate de récolter 1 000 € en Bitcoin. Comme il le déclare lui-même, il s’agit d’une première “chasse au trésor street art” et elle pourrait bien inspirer d’autres artistes, notamment par son approche interactive. D’ailleurs, l’artiste PBOY utilise aussi des QR codes pour financer ses œuvres en bitcoins et a ainsi récolté de l’argent pour couvrir les frais de son matériel.

Un QR Code placé à proximité de l’œuvre “Papa c’est quoi l’argent ?”

Un QR Code placé à proximité de l’œuvre “Papa c’est quoi l’argent ?” de PBoy ©pboy-art.com

Principe déjà investi par la publicité, l’interactivité s’annonce comme la prochaine étape du street art. Ce principe vise à créer un lien particulier avec le spectateur, le rendre ainsi davantage acteur dans son appréciation de l’œuvre. Le street art est interactif dans son jeu avec l’environnement, tirant partie des particularités des objets urbains et du contexte où elles s’intègrent. Demain, grâce aux nouvelles technologies, cet art urbain pourra aussi être mis en mouvement et “augmenté” car prolongé grâce à des outils numériques, comme des QR codes ou des applications.

Le street art semble aller vers une approche toujours plus ludique, à l’image des scénographies interactives développées dans les spectacles d’art vivant ou même  certaines expériences numériques interactives, comme celles développées par le collectif d’art teamLab. Cette forme d’art pourrait bien s’exprimer sur des façades entières des villes de demain. Dans cette idée, la guinguette numérique et gourmande nommée EP7, lieu culturel du 13ème arrondissement de Paris, a créé une façade composée d’écrans qui propose des expériences graphiques statiques ou en mouvement, mettant en scène des œuvres artistiques.

L’avenir du street art est donc riche en perspectives. Il est peu probable que ses formes les plus courantes ne disparaissent dans le futur, mais il est certain que ces nouvelles pistes, induites par le développement du numérique et des technologies, sont sans limites pour cet art éphémère et créatif. Continuons donc de compter sur les artistes pour réinventer l’art urbain et déployer au maximum dans nos rues, le potentiel de cette expression artistique libre et gratuite qui habille nos villes !

LDV Studio Urbain
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