Et si les street-artistes contribuaient à la construction du projet urbain ?

Une tortue ninja attrapant une boite à pizza
14 Sep 2017

Banksy, JR ou encore Seth. Des noms qui résonnent aujourd’hui dans l’actualité urbaine. Depuis quelques décennies, l’art urbain, notamment visuel, rencontre un franc succès auprès des citadins. Le festival In Situ d’Aubervilliers, les Nuits Blanches dans plusieurs villes européennes, Seth le globe painter à travers l’émission “Les Nouveaux Explorateurs”, la multiplication d’association telles que Vitry’n Urbaine, qui proposent des balades de découverte du street-art. De plus en plus de manières d’explorer le street-art sont proposées au grand public. Un phénomène révélateur de l’engouement pour cette forme artistique très longtemps rejetée par la société.

Au cours des dernières décennies, le street-art a largement investi nos rues. Si cela n’a originellement pas été très bien accueilli, les œuvres font aujourd’hui partie de notre quotidien urbain à tel point qu’ils deviennent, dans certains cas, le résultat de commandes publiques. Le 13e arrondissement parisien, par exemple, est aujourd’hui devenu célèbre pour les nombreuses fresques murales commandées par la mairie.

Légal ou non, le street-art s’est fait une place dans notre société et dans notre quotidien. A l’origine, il est permis par la multiplication de nombreux délaissés urbains. S’il s’intéresse toujours aux creux et aux pauses urbaines, le street-art s’intègre à un site et à son environnement. Les réalisations de Oak-Oak expriment cette interaction recherchée entre l’œuvre et son environnement. L’art en ville lui apporte de la couleur et bien plus encore. Embellissement, appropriation, revalorisation, attractivité …. Des plus-values multiples pour des territoires à échelle variable.

Demain, les nombreuses friches, bâtiments abandonnés et lieux hérités de l’effondrement de notre activité industrielle disparaîtront pour faire place à de nouveaux quartiers. Avec eux, les diverses œuvres éphémères qui en ont découlé. Pourtant, cette pratique a apporté diverses valeurs à notre société et est aujourd’hui de plus en plus intégrée à notre culture urbaine. Comment penser le rapport entre l’art urbain et projets architecturaux et urbains de demain ? Le street-art, qui peu à peu se sépare de son caractère illégal et frauduleux, pourrait-il devenir un élément pensé en lien avec le projet ? Si l’art s’est dernièrement apposé à l’architecture de nos villes pour en revaloriser l’ensemble, pouvons-nous concevoir que demain l’artiste soit intégré en amont de nos projets architecturaux et urbains ?

Quand un acte de vandalisme devient outil de stratégie urbaine

Le street-art désigne un art visuel développé dans les espaces publics. Celui-ci peut prendre diverses formes du graffiti à la sculpture en passant par le poster ou encore la projection vidéo. C’est au cours des années 60, dans les rues de New-York que ces pratiques se développent, notamment avec les réalisations de Keith Haring. Ces pratiques viennent ensuite s’exporter en France à partir de la fin des années 70. A l’origine, cette pratique se base sur la dimension illégale de l’acte, d’où l’image associée des trains ou rames de métro. Par les supports publics qu’il investit, cet art s’adresse à un large public. Le langage pictural est à portée de tous, la rue aussi.

Si le street-art se développe c’est aussi grâce à un contexte urbain qui lui est favorable. Nous sommes en pleine période des Trente Glorieuses, temps d’une réinvention de notre structure économique. La société se tertiarise et laisse derrière elle des hectares entiers de délaissés urbains, friches comme immeubles vides. Les murs et structures disponibles pour l’expression fleurissent dans des zones urbaines abandonnées et paupérisées. Les arts de la rue sont donc connotés de manière négative, associés à l’idée de dégradation des espaces communs et à l’aspect illégal de la pratique.

Depuis quelques années, l’image et la considération des arts de rue ont évolué. Le quartier de Wynwood, à Miami est l’un des exemples emblématiques de ce glissement des représentations. Wynwood est un ancien quartier industriel de la partie nord de la ville. Comme beaucoup de zones industrielles, Wynwood subit la crise de plein fouet. Le quartier se vide de son activité, puis de sa population. Seuls la pauvreté, la grisaille et les carcasses des anciennes usines subsistent jusqu’en 2010. A cette date, le promoteur Tony Goldman, armé de son goût prononcé pour l’art, arrive. Son objectif ? Revitaliser le quartier en favorisant le développement d’une vie communautaire par le développement de l’art. Quand il visite les lieux pour la première fois, ce promoteur repère déjà quelques graffitis. Après avoir acquis, une trentaine d’immeubles, il invite plusieurs graffeurs à venir s’exprimer sur ces murs. En moins de sept ans, le quartier s’est complètement transformé. En s’embellissant par l’art, le quartier suscite la curiosité et retrouve son attractivité d’antan. Aujourd’hui, habitants et commerces sont revenus, recréant un véritable village.

Si cette expérience est exemplaire, elle n’est pas pour autant isolée. Depuis plusieurs années, le street-art est valorisé et prend une nouvelle place en ville. Dans le 13e arrondissement, comme évoqué plus haut, l’expression artistique dans la rue est devenue le fruit d’une commande publique.

Le street-art comme levier du retour à des valeurs urbaines locales

Plus que le fleurissement de cette forme d’expression, il est important de considérer l’évolution des comportements qui lui sont associés. Lors de commandes, comme dans le cas du 13e arrondissement, les objectifs sont d’ordre esthétique et attractif mais sous-tendent l’apparition d’autres finalités. En effet, les œuvres sont le reflet d’un territoire. Prenons l’exemple de la fresque au sol réalisée par Jorge Rodriguez Gerada dans le cadre du festival In Situ, organisé par l’association Art en Ville, à Aubervilliers.

En 2014, l’ancien site militaire de la ville, transformé en casse automobile, puis abandonné, est mis à disposition de plusieurs artistes par la ville. Sur celle-ci, un festival qui accueillera environ 30.000 visiteurs est organisé. Au terme du festival, le lieu doit devenir un éco-quartier. L’événement a largement contribué à révéler l’histoire des lieux, mais aussi l’avenir qui lui est réservé, en suscitant rencontres et dialogue.

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Fresque-au-sol-de-Madame-Picquart-à-Aubervilliers
Source : http://artenville.fr/work/grounded-attitude/

Au terme du festival, “Grounded Gratitude” réalisée par Jorge Rodriguez Gerada reste emblématique. Au sol, le visage de Madame Picquart, Présidente de la Régie de Quartier. Cette personnalité du quartier de La Maladrerie habite le quartier depuis la fin des années 70 est aujourd’hui retraitée. Pourtant, pendant des années, cette dame fut responsable d’associations et bénévole pour de nombreuses autres dans le but de recréer un lien social fort au sein de ce quartier populaire. Elle a notamment travaillé à l’insertion sociale et professionnelle de nouveaux arrivants issus d’autres continents. Si l’hommage est émouvant, il induit d’autres choses. La fresque anime la mémoire du quartier et contribue à ancrer l’action de Madame Picquart dans la conscience collective de l’histoire du territoire, mais aussi le contexte qui l’a poussé à agir. C’est-à-dire, l’immigration, la mixité puis le départ des activités économiques. Elle représente aussi une fierté pour les habitants en renvoyant une image positive de l’humanité locale.

Cette expression artistique a ouvert un lieu aux habitants, mais a aussi fait découvrir un territoire à des habitants extérieurs. L’œuvre surprend par sa taille, par son emplacement et pousse au dialogue. Au Fort d’Aubervilliers, le street-art a permis de créer une urbanité sur ce délaissé urbain et laisse une empreinte sur cette opération d’aménagement qui intègre désormais l’intervention artistique comme un élément d’accompagnement du projet urbain.

Dans d’autres projets, comme les commandes de fresques du 13e, les artistes s’adressent directement aux habitants. Une fois le mur approprié, ils imaginent plusieurs options, qu’ils soumettent au vote des habitants. Une nouvelle forme d’expression et de participation s’y développe dans une logique de réappropriation de son espace de vie et de retour au local.

Vers une nouvelle vision du rapport entre art et architecture ?

Loin de l’art clandestin, le street-art est devenu un art interactif, fédérateur et démocratique. L’objectif n’est pas d’embellir sans intégrer l’œuvre à un contexte et au vécu des habitants. Le street-art fait écho à la ville, à son histoire, son paysage et son architecture dans un processus d’appropriation de ces œuvres de la part de la population qui vivra avec elles au quotidien.

De telles pratiques participent activement de l’émergence d’un processus de fabrication de la ville alternative, ouvert, itératif et collaboratif. En outre, les valeurs de partage, de gratuité, de dialogue entre générations et classes sociales, mais également de réversibilité qu’il véhicule, stimulent l’implication citoyenne.

Si le street-art participe aujourd’hui au projet urbain c’est par sa valeur éphémère et participative. Aujourd’hui, il intervient dans ce moment de latence du site. Quand un projet de réinvestissement urbain se dessine mais n’est pas encore en cours de construction. En aucun cas, il ne se dessine en lien avec le projet. Pourtant, de la même manière que nous avions pu le suggérer pour “L’urbanisme éphémère : cette nouvelle forme de penser la ville”, le street-art pourrait faire partie intégrante d’une nouvelle forme d’urbanisme et de conception de projet, plus participative et plus inclusive.

Bâtiment d’habitation de béton à mi-chemin entre l’architecture et le street art - Hive Lofts street art graffiti architecture

Bâtiment d’habitation de béton à mi-chemin entre l’architecture et le street art – Hive Lofts street art graffiti architecture
Source : http://www.ufunk.net/design/graffiti-house-architecture-street-art/

Une idée déjà défendue par l’architecte australien Zvi Belling du studio ITN architects, au sein de son projet « Hive Lofts ». Ce dernier a travaillé avec un street-artiste localement réputé dans le but d’ancrer de manière plus forte le street-art et ses vertues positives dans les murs de la ville !

LDV Studio Urbain
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Vos réactions

Quent LE
18 septembre 2017

A cet égard, le projet « Fraternité Générale » de Quai 36 à Massy mérite d’être signalé en invitant deux street-artistes à peindre les palissades d’un chantier (Emerige promoteur) du quartier Atlantis ;

http://www.leparisien.fr/essonne-91/massy-deux-artistes-belges-donnent-de-la-couleur-et-du-mouvement-a-la-fraternite-08-11-2016-6304158.php

Quent LE

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