Ville numérique : la pause menacée ?

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14 Avr 2016

La sortie récente d’une nouvelle campagne promouvant les métiers de l’Artisanat nous offre un prétexte de choix pour revenir sur l’une des mutations les plus significatives de nos espaces urbains : la résurrection de la pause, dans une ville marquée par des flux toujours plus harassants…

Prendre le temps face à la ville hyperactive

La publicité en question est sortie le mois dernier. Sans rentrer dans une analyse sémiologique approfondie, celle-ci résonne étonnamment bien avec l’air du temps en abordant différentes thématiques éminemment urbaines : lenteur, commerces de proximité, consommation locale, etc. Le ton est donné dès les premières secondes. Le spot s’ouvre en effet par un plan de flux automobiles, suivi de flux piétons en accéléré parmi lesquels se fond une cycliste roulant à vitesse « normale ».  Avec, en voix-off, quelques mots qui résument tout : « Savoir prendre le temps ». Un écho direct à cette ville « qui aujourd’hui ne serait que passante, mobile, hyperactive, traversante », comme la décrivait ici même nos compères Lumières de la ville.

La ville contemporaine semble en effet plus remuante que jamais… L’urbanité est aujourd’hui synonyme d’activité permanente, et donc de stress et de tensions croissantes, au point de devenir difficilement vivable pour une part de la population, tel le roulis des vagues qui sans cesse nous fait boire la tasse. Même les modes doux sont touchés, c’est dire l’ampleur du fléau ! Prenons par exemple la ville marchable : n’a-t-on pas vu se multiplier, ces dernières années, les initiatives plus ou moins sérieuses promouvant une marche au pas de course ? Il en va de même pour le vélo urbain, qui ressemble aujourd’hui davantage à une course sur piste qu’à la flânerie sur deux-roues que l’on aurait pu imaginer…

De quoi la pause urbaine est-elle le nom ?

Dit autrement, même les modes les plus “lents” – et donc supposément les plus vertueux – semblent au final incarner des remèdes bien timides face aux maux de l’accélération urbaine. Il faut donc voir plus loin, et renforcer l’idée d’une véritable pause urbaine. « Savoir prendre le temps », comme le dit la publicité, c’est aussi savoir s’arrêter parfois, savoir mettre la ville en pause. C’est par exemple l’un des objectifs de la ville asseyable, dont nous faisions récemment le panégyrique. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir à plusieurs reprises les citadins assis sur un banc dans le spot en question… C’est, plus généralement, l’objectif de nombreux designers ou architectes qui tentent d’imaginer de nouveaux mobiliers entièrement dédiés à l’arrêt, en position assise ou même allongée. Et n’oublions évidemment pas les paysagistes, qui ont un rôle fondamental à jouer dans la vivification des parcs urbains – quoi de plus logique à l’heure de la ville fertile !

Mais la pause ne se limite pas aux assises et autres coins de verdure. Il s’agit aussi de limiter l’injonction des flux qui semblent peser sur les citadins telle une épée de Damoclès… aussi bien physiques que numériques. Quelle place pour la déconnexion numérique dans nos villes ? Nous avions posé la question dans un duo de billets publiés il y a quelques temps de cela (ici et ). Malheureusement, il semblerait que les tendances urbaines aillent dans la direction exactement opposée.

A trop vouloir tuer le temps…

Ainsi, on voit aujourd’hui fleurir les dispositifs proposant de « combler » le temps d’attente, notamment dans les transports. Qu’il s’agisse de panneaux interactifs remplaçant les habituelles pancartes d’un arrêt de bus (exemple avec cette récente publicité pour les séries Canal Play), ou même de jeux vidéo situés de part et d’autre d’un passage piéton (!), tous ces écrans d’un nouveau genre visent à reconnecter le citadin lors de ses temps de pause « subis ». Une bonne chose, sur le papier, mais qui vire vite au paradoxe : le temps d’attente ne devrait-il justement pas être, au contraire, l’occasion d’une respiration entre deux flux tendus… y compris numériques ?

Il n’est pas étonnant de constater l’absence d’interfaces numériques dans le spot qui nous sert ici de fil rouge. Le numérique est aujourd’hui synonyme de connectivité permanente, et parfois à outrance. Ce qui amène certains designers à réfléchir à des lieux de pause spécialement a-connectés, c’est-à-dire privés de toute connexion, grâce par exemple à des brouilleurs d’onde… On se souvient de Kit Kat et son slogan “Have a break” (« Prenez une pause ») qui proposait des “No Wifi Zone” sur les places amstellodamoises. Une belle idée, qui semble toutefois difficilement réalisable dans le réel, à l’heure de la smart city reine.

Kit Kat: Free No-WiFi Zone from Fethi Uluak on Vimeo.

L’attention saturée, nouvel ennemi de la pause ?

Lors de nos conférences sur le sujet, le public est généralement assez critique à l’égard de tous ces dispositifs interactifs qui proposent de « tuer le temps » d’un déplacement. Le philosophe Matthew B. Crawford ne dit pas autre chose lorsqu’il évoque son dernier ouvrage sur « le sens et la valeur du travail » :

« J’ai passé une grande partie de mon temps en voyage, dans les salles d’attente d’aéroports, et j’ai été frappé de voir combien notre espace public est colonisé par des technologies qui visent à capter notre attention. »

Ce qui est évidemment tout aussi valable dans les quelques lieux d’attente de nos flux, et plus encore dans les rares lieux intégralement dédiés à la pause qui subsistent en ville. Une élégante manière de rappeler le lien qui existe, quoi qu’on en dise, entre le numérique et la tension de nos villes. Dès lors, quel regard porter sur ces dispositifs hybrides qui mêlent attente et connexion ? Faut-il plaider en faveur de zones entièrement déconnectées dans nos villes ? La pause urbaine est-elle soluble dans le flux numérique ? En somme, comment “savoir prendre le temps” dans une société qui nous en laisse toujours moins ? Le débat est ouvert !

{pop-up} urbain
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