Surtourisme : menace sur la ville

Bateau de croisière dans le canal de la Giudecca à Venise
27 Fév 2019

Quartier historique saturé à Dubrovnik, pilotis fragilisés à Venise, incivilités répétées à Barcelone, le tourisme de masse porte son lot de dérives plus ou moins inquiétantes pour les habitants. Dans certains cas, vivre dans une ville touristique devient carrément insupportable. À tel point que certaines communes doivent prendre des mesures pour réguler l’afflux de voyageurs, quitte à freiner une importante manne financière.

Foreigners or Locals

Foreigners or Locals – Traffic sign with two options – Shutterstock

« L’opposé du tourisme responsable »

L’année 2018 a vu naître un nouveau terme dans le monde du tourisme : l’overtourism ou surtourisme. Phénomène encore mal défini, il décrit une situation où la présence excessive de voyageurs dans une ville a des conséquences négatives permanentes pour le bien-être de ses habitants. Fondateur de l’agence de voyage éthique Responsible Tourism, Harold Goodwin précise : « c’est l’opposé du tourisme responsable, qui consiste à utiliser le tourisme pour rendre des lieux à la fois plus vivables et plus touristiques. Souvent dans le surtourisme, les visiteurs et les habitants expérimentent une détérioration simultanément ». Conséquence de quoi, les résidents s’en vont, chassés par la hausse des prix. Venise par exemple a vu sa population divisée par trois depuis la fin de la 2ème Guerre Mondiale.

Plusieurs phénomènes accentuent la pression touristique. Le développement des pays émergents et l’accroissement de la classe moyenne à travers le monde augmente chaque jour le nombre de terriens en capacité de voyager. L’explosion des vols low-cost et des plateformes de location de logement facilite et démocratise aussi les départs en vacances. Avec 10% du PIB mondial le tourisme est un secteur majeur de l’économie et la possibilité que cette croissance soit menacée inquiète. L’idée que le tourisme traditionnel soit un loup pour lui-même force l’introspection des professionnels. C’est sans surprise qu’en avril 2018, la question du surtourisme a donc agité le sommet global du World Travel Tourism Council à Buenos Aires.

« Le tourisme tue la ville »

Il faut dire que, depuis plusieurs années, les effets néfastes du tourisme se font remarquer. À Barcelone, connue pour être une destination festive, les riverains dénoncent un « tourisme de cuite », où tous les débordements sont possibles. En 2014, la photo de deux touristes italiens nus dans un commerce avait provoqué de vives réactions et des mobilisations contre les dérives du tourisme de masse. Dans une tribune publiée sur le Guardian, la porte-parole du mouvement citoyen « Barcelone en Commun » Ada Colau avait critiqué ces touristes « qui ne réalisent pas qu’ils sont dans une ville et pas dans un parc à thème ».

« Dans les quartiers en vogue de la ville, la quantité de visiteurs n’affecte pas seulement la qualité de vie des résidents mais leur capacité même à vivre sur place » explique Ada Colau qui a été élue un an plus tard maire de Barcelone. « Bien sûr la réponse n’est pas d’attaquer le tourisme. Nous sommes tous des touristes à un moment de notre vie. Il faut plutôt réguler le secteur, revenir aux fondamentaux de l’urbanisme local et placer l’intérêt des résidents avant celui des gros business. » Avec le droit à la ville au cœur de son projet politique, Ada Colau est aussi leader du mouvement municipaliste qui tend à redynamiser la démocratie à l’échelle de la ville.

Bateau de croisière dans le canal de la Giudecca à Venise

Bateau de croisière dans le canal de la Giudecca à Venise – Jean-Pierre Dalbéra/Flickr

Exode urbain ?

D’autres types d’effets indésirables sont à observer : le tourisme remodèle la ville, il crée des circuits, des halls, des centres commerciaux parfois détaxés, dédiés aux touristes. Dans une enquête sur l’économie des croisières à Marseille, le journal CQFD raconte comment le parcours des voyageurs est entièrement conçu pour les maintenir à bord des navires. Visiter la ville et consommer local apparaît alors comme la dernière des préoccupations et les rares boutiques visitées sont des boutiques de souvenirs fabriqués en Chine ou des Starbucks. Dans sa tribune, Ada Colau raconte que le dernier magasin de sous-vêtement de Venise a fermé au début des années 2000. Depuis, les vénitiens doivent aller sur le continent pour acheter des slips. En effet, à mesure qu’une ville accueille des touristes, elle modifie son offre de commerces et de services publics. Elle s’adapte à une fréquentation de passage et non plus à une vie quotidienne.

Consciente de l’effet polarisant du surtourisme, l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT) s’est récemment dite en faveur des plateformes numériques comme moyen de lisser les effets du tourisme en diversifiant les usages et les destinations touristiques. Cette vision libérale de la smart city a suscité des critiques dans la mesure où dans certains cas, elle accentue le phénomène de gentrification. Alors que des propriétaires se spécialisent dans la location de meublés touristiques, le prix de l’immobilier monte et certains quartiers se vident de leur habitants. Dans les quatre arrondissements centraux de Paris, le taux de logements vacants atteint 26%. Amsterdam, Barcelone, Paris, Berlin et d’autres grandes villes se positionnent les unes après les autres contre Airbnb dans l’espoir de limiter ces répercussions.

La foule sur la place du Vatican à Rome

La foule sur la place du Vatican à Rome – Pixabay

Réguler le surtourisme

Le tourisme n’est pas une fatalité en soi. De nombreuses villes trouvent des moyens de réguler le surtourisme. Le maire de Dubrovnik en Croatie a fait installer un dispositif limitant le nombre de visiteurs dans le centre historique. À Venise, la municipalité a voté la mise en place d’une taxe pour les visiteurs ne restant qu’une journée. Destinée au financement du nettoyage de la ville, celle-ci évolue entre 2,5 et 10 € selon la saison. En effet, en incitant ou décourageant la venue en fonction des périodes pleines ou creuses, les municipalités peuvent atténuer les externalités négatives.

Toujours à Venise qui décidément souffre du tourisme autant qu’elle en vit, la ville encourage les visiteurs à découvrir les communes voisines de la lagune. Elle étale ainsi l’afflux de voyageurs sur le territoire. Dans l’optique des Jeux Olympiques de 2024, une proposition comparable a été faite par Enlarge Your Paris et BETC pour le Grand Paris. La mise en place d’une signalétique touristique à échelle métropolitaine permettrait de faire découvrir d’autres lieux d’exception sur le territoire, et non plus seulement les quelques incontournables que tout le monde s’arrache.

Usbek & Rica
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