Paris 2050, ville post-carbone ?

George Barker, c1890, Niagara Falls, NY, USA: Boneshaker bicycle racers at the finish line.
6 Mar 2019

Alors que les villes concentrent toujours plus de richesses et de population, les enjeux de leur consommation énergétique et de leurs émissions sont de plus en plus prégnants.

Face à la crise environnementale, Paris s’est fixé un objectif de neutralité carbone d’ici 2050 grâce au plan Climat. Celui-ci soulève différentes problématiques d’avenir, des énergies renouvelables à l’aménagement urbain en passant par notre modèle de consommation. Dans le cadre de son cycle UpConférences, le groupe SOS organisait le 20 février 2019 dans les locaux d’Accenture un débat sur ces thématiques.

Neutralité carbone en 2050 à Paris

Neutralité carbone en 2050 à Paris – Diane Berg/Elioth

Le chef d’accusation est lourd : les villes seraient responsables de 70 à 80% des émissions de CO2 mondiales. Alors qu’elles concentrent la moitié de la population mondiale aujourd’hui, elles devraient rassembler les deux tiers en 2030. « Les inquiétudes pour le climat sont majeures annonce Vincent Mignerot, fondateur du comité Adrastia. On prévoit des canicules à 50 ou 55 degrés dès 2070, c’est absolument dramatique pour le bien-être en ville mais aussi pour l’alimentation. Quelques jours de canicule extrême sur l’année et notre agriculture ne tient plus. Il faut accélérer cette transition, mais la question c’est comment ? » En effet la perspective des smart building et des voitures électriques ne suffira pas à freiner l’emballement des émissions carbone urbaines. Ces éléments obligent à reconsidérer nos modèles de société en profondeur.

Rester dans l’action

Pour Cécile Gruber, directrice de l’information et de la communication à l’Agence Parisienne du Climat, il ne faut pas crisper la discussion et rester dans l’action. « Si on regarde les chiffres de la pollution aujourd’hui au niveau mondial ou même national, ils sont à la hausse. Mais si on regarde du point de vue du territoire et des villes, ils sont à la baisse sur certains territoires qui sont très actifs. Il y a des potentialités très importantes du point de vue des acteurs du territoire qui agissent ». Dès lors, l’important est d’identifier les bons leviers de transition.

Secteur intra-muros le plus énergivore devant la mobilité et la consommation, le bâtiment mobilise une partie des efforts de l’Agence Parisienne du Climat. Depuis 10 ans, celle-ci accompagne la rénovation énergétique des copropriétés parisiennes. « On a vu des tendances qui vont dans le bon sens. Grâce au soutien des pouvoirs publics on a mis en place un accompagnement de 2.000 copropriétés soit pas loin de 98.000 logements, c’est énorme. On sait embarquer les foyers les plus modestes en finançant jusqu’à 89% de leur quote-part. » Sur ces opérations, l’agence observe un gain énergétique de 30% en moyenne. « On fait la preuve que c’est possible sur tout type de bâtiment. L’enjeu est maintenant de réussir à changer d’échelle, de multiplier par dix. »

George Barker, c1890, Niagara Falls, NY, USA: Boneshaker bicycle racers at the finish line.

George Barker, c1890, Niagara Falls, NY, USA: Boneshaker bicycle racers at the finish line.

Mobiliser le politique

Dans la mobilité, tout le panel s’accorde pour féliciter l’engouement des parisiens pour le vélo, qui dépend largement des investissements faits pour les infrastructures. Mais l’effort consenti semble encore insuffisant pour la responsable de projets Mobilités Bas-Carbone au Shift Project, Laura Foglia. « On peut faire plus en pensant le vélo non plus comme un véhicule mais comme un système. La voiture est un système accompagné d’infrastructures et de services qui vont avec. Le vélo doit être pensé pareil. Pour cela il faut inverser la hiérarchie des modes de transports, mettre en priorité la marche puis le vélo qui sont les modes les moins carbonés. »

La question des modes de transports ne va pas sans parler de mobilité au sens large, et d’opportunité des déplacements. La ville zéro carbone doit s’appuyer sur une diminution du nombre de déplacements et un raccourcissement des distances. « Il faut raisonner à l’échelle de la métropole et de l’intermodalité » assène Laura Foglia. « La loi d’orientation des mobilités (LOM) est très attendue car on ne fait pas des lois d’orientation tous les jours. La dernière date de 1982 et elle a été très structurante. Le projet de loi a été présenté en conseil des ministres fin novembre. Il expose un certain nombre de principes très intéressants, mais ces outils ne sont pas hiérarchisés et ne constituent pas une stratégie globale et cohérente pour les décennies à venir. » Madame Foglia dénonce ainsi un manque de vision du gouvernement dont le soutien est pourtant déterminant. Elle constate d’ailleurs avec regret l’absence de fléchage des contributions fiscales pour la transition écologique. « Les villes ont besoin de l’état, elles ne peuvent pas agir seules contre certains blocages juridiques ou financiers » complète Cécile Gruber.

Un problème d’outils conceptuels

Mettant à mal l’intitulé même de la conférence et l’idée d’une ville post-carbone, Vincent Mignerot s’est efforcé à plusieurs reprises de prendre du recul. Pour ce chercheur en sciences humaines, auteur d’une théorie écologique de l’esprit, le bilan carbone n’est pas une grille de lecture efficace pour affronter les défis environnementaux. Il appelle à briser la pensée en silo pour penser en système. « Le bilan carbone c’est de la pensée en silo, des éléments du réel qu’on extrait, qu’on juxtapose les uns aux autres, mais le tout est bien plus que la somme de ces parties. La biosphère c’est un système complexe qui est fait d’une quantité de processus interdépendants qui ne peuvent pas s’extraire les uns des autres. Et nous on plaque un bilan carbone dessus, donc ça ne marche pas. »

Plus inquiétant encore, s’appuyant sur l’hypothèse du renforcement synergique des énergies, il rappelle que nos scientifiques ne sont pas en mesure de prouver que l’utilisation des énergies de substitution ne fasse pas augmenter les émissions de CO2. Contre intuitif, l’argumentaire repose sur le fait que les flux énergétiques soient interconnectés. Développer de nouveaux systèmes industriels basés sur les énergies renouvelables pourrait donc potentiellement faciliter la consommation de produits dépendants d’énergie carbone. « Par ailleurs, on sait que les technologies des énergies renouvelables et du nucléaire sont parfois utilisées directement pour aller puiser les hydrocarbures dans le sol. En effet il est idiot d’utiliser du pétrole pour aller chercher du pétrole, mieux vaut que ce pétrole soit vendu sur les marchés puisqu’il génère de la richesse… »

Travaux d'isolation thermique d'un bâtiment

Travaux d’isolation thermique d’un bâtiment – Shutterstock

Vers la sobriété culturelle

Un argumentaire inquiétant, et peut-être incapacitant pour le grand public puisqu’il met à mal la confiance dans les énergies renouvelables. Pour reprendre son souffle, le panel s’est mis d’accord sur le besoin d’un changement des habitudes de consommation. « On sait aujourd’hui que dans le monde il y a suffisamment de pièces de vêtements pour habiller les quatre prochaines générations. On est dans des délires de consommation incroyables et cela vaut dans tous les secteurs. » explique Cécile Gruber. « Une ville comme Paris peut agir sur 25% de ses émissions de CO2, parce qu’elle a la main sur ses bâtiments publics, sa flotte de véhicule, sa politique d’achat etc. »

Laura Foglia mentionne à son tour le manifeste « Décarboner l’Europe » publié par le Shift Project pendant la campagne présidentielle de 2017. Signé par Emmanuel Macron (candidat à l’époque), celui-ci présente neuf mesures raisonnables pour engager la transition. La mise en place d’une stratégie résilience pour la Ville de Paris est également félicitée. Elle semble nécessaire pour résister aux chocs que nous promet l’avenir : préparer les crues, résister aux îlots de chaleur, aménager l’agriculture urbaine, végétaliser… Enfin l’importance de l’enseignement supérieur est rappelée pour former les ingénieurs et les décideurs de demain. La formation des architectes par exemple doit valoriser les travaux de réhabilitation et non plus seulement de construction.

Le divorce annoncé

En sortant de la conférence, il reste difficile d’imaginer précisément les contours de la ville post-carbone. Les initiatives enthousiasmantes se heurtent aux besoins de transformations majeures. L’équilibre ne semble pas trouvé et l’urgence ne semble pas suffire à mobiliser tous les acteurs. Le souvenir du discours d’introduction de la conférence le rappelle cruellement. En présentant le programme d’Accenture Industry X.0 chargé d’aider les industriels à améliorer leurs processus avec du digital, Julie Romanet-Perroux avait malgré elle prophétisé le divorce des industriels avec la transition écologique.

Dans une triste aporie suivi d’un exemple particulièrement cruel, elle enterre quasiment l’idée d’une ville post-carbone : « Le principal objectif de nos clients industriels n’est pas de réduire les émissions de CO2 mais de réduire leurs coûts et d’optimiser leur production, ce qui permet au fond de diminuer les émissions de CO2. (…) Prenons un site pétrolier off shore par exemple, si on arrive à anticiper et bien préparer les interventions à l’avance, cela veut dire qu’on n’a pas besoin de prendre un hélicoptère plusieurs fois pour voir ce qui se passe et ce qui ne va pas. On peut adopter un rythme de réparation plus approprié. »

Usbek & Rica
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Vos réactions

DEHEM Marcel
9 mars 2019

J’ai imaginé un autre scénario à propos de Paris. Mais c’est vrai que mon coup de projecteur prospectif se situe au delà de 2050. Pour les curieux voici le lien de ma nouvelle de SF ou plutôt d’anticipation https://www.wattpad.com/story/142658117-univers-sale

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