Les arbres, futurs totems de la ville agile ?

9 Juil 2014

A quoi servent les arbres en ville ? A faire beau, évidemment. A améliorer la qualité de l’air, surtout ! Mais sont-ce ses seules vertus ? Il en est une qui nous semble encore peu explorée, et qui recèle pourtant un précieux potentiel créatif. En lui administrant les préceptes de la “ville agile”, l’arbre pourrait en effet devenir le totem idoine de nos espaces publics…

Martenitsa magnolia. Source : Wikipedia (http://en.wikipedia.org/wiki/Martenitsa)

Martenitsa magnolia. Source : Wikipedia (http://en.wikipedia.org/wiki/Martenitsa)

Nous évoquions, dans un précédent billet, les mérites des “bricolages urbains” dans la co-création d’un espace public plus débridé. Comme nous l’avions vu, ceux-ci peuvent venir se nicher partout et n’importe où, là où la ville “institutionnelle” est absente. Et c’est à ce titre que nous proposons aujourd’hui d’intégrer les arbres à la liste des supports potentiels. Ceux-ci font en effet de superbes supports pour “démontrer”, à grands renforts d’exemples colorés, les multiples perspectives que nous offrent ces pratiques enthousiastes de ville en “Do It Yourself”.

Les mille visages de l’arbre urbain

Pourquoi les arbres ? Une aura particulière se dégage indéniablement de ces éléments emblématiques du paysage urbain (exemple du maillage parisien, disponible en open data). Ainsi, les pouvoirs communaux se chargent de plus en plus de valoriser cette nature verticale au beau milieu de la jungle de bâtis. Qu’il serve une manœuvre écologique ou qu’il s’intègre dans les stratégies numériques des territoires (gestion informatisée et ouverture des données publiques, à Montréal comme à Paris), force est de constater que le sort de l’arbre urbain a le vent en poupe !

Logiquement porté en étendard de la ville durable, la nature développe le nouveau souffle dont l’espace urbain s’était depuis toujours éloigné. Cet engouement pour le green a pourtant un revers : la surprotection des arbres confine parfois à l’absurde (avec un exemple extrême à Morlaix), au point qu’on préfère aujourd’hui les enfermer dans de tristes camisoles de fer… au détriment de leurs usages créatifs ?

Corsets d’écorces

Les “corsets d’arbres”, c’est leur petit nom, désignent en effet les grilles qui protègent racines et troncs des tumultes de la cité et de ses citadins. On peut évidemment comprendre ces louables intentions. Toutefois, il est dommage que ces arbres ne puissent s’émanciper, et révéler leurs multiples qualités aujourd’hui sous-exploitées. L’hacktiviste Florian Rivière avait ainsi ouvert la brèche avec sa bibliothèque prenant pour support… un corset d’arbre, justement.

Cet exemple est peut-être l’un des plus fameux qui soient, démontrant non seulement le potentiel des corsets d’arbres dans la réappropriation de la ville, mais aussi et surtout les principes fondateurs de la ville agile : recyclabilité et donc coût modique (ici des cagettes et des livres trouvées dans la rue), reconquête de l’espace public (bibliothèques pour tous), etc. Ce faisant, l’hacktiviste démontre superbement qu’aucun espace urbain n’est inutile : il suffit de trouver ce que l’on peut en faire !

La nouvelle sève

D’autres, plus artistes qu’hacktivistes, proposent une revalorisation plus esthétique de ces corsets, par exemple en remplaçant ces austères grillages par de la laine. C’est ce que l’on appelle du “yarn bombing”, “guerilla-crochet” ou “tricot-graffiti” en français ; une tendance qui a réussi à séduire les services municipaux de certains collectivités, par exemple en Corrèze. Ce faisant, l’idée d’une ville plus douce et plus ouateuse fait son chemin en prenant les arbres pour épicentre

On trouve aussi du cellophane, des tissus divers, ou même d’étranges matières roses fluo qui, chacune à leur manière, tentent de joindre l’utile (la nécessaire protection des écorces) à l’agréable pour les yeux. Le réenchantement de la ville, thème séculaire cher tant aux habitants qu’aux urbanistes et aux élus, trouve ici un socle de choix pour enrober l’urbain d’une surcouche poétique, sans que cela ne gêne le bon fonctionnement de la ville – à part peut-être pour les écureuils, les oiseaux, et les amoureux qui aiment à graver leur noms dans l’écorce !

Voilà pour la réinvention des corsets. Mais on pourrait aller plus loin, par exemple en conférant une véritable utilité aux arbres existants. Et sur ce sujet, tout reste à faire, car il faut bien admettre que les arbres n’apparaissent pas franchement indispensables au citadin lambda, si ce n’est aux amoureux précités, faute de fonction utilitaire peut-être. De même, la ville agile n’a pas, à l’heure actuelle, de représentant emblématique permettant de s’installer avec fracas dans l’espace public. La transformation des arbres en “totems” permettrait ainsi de pallier ces deux lacunes. Leur présence homogène dans les rues, évoquée en préambule, s’avère logiquement un atout de choix.

Arbres à charmes

Si en France l’usage des branches comme supports à tout faire existe bel et bien à travers les rues, c’est souvent de manière éphémère car non institutionnelle. D’autres territoires, au contraire, entretiennent un rapport plus équitable à l’égard des objets nichés entre les feuilles des arbres.

On pensera par exemple aux “arbres à vœux” (“wishing trees”) qui peuplent l’Asie du Sud-Est et le Japon, servant de réceptacles aux souhaits des habitants lors de certaines fêtes religieuses. Ces fonctions hautement symboliques démontrent l’importance souvent ignorée que jouent les arbres dans la vie de ces territoires. Plus proche de nous, en Bulgarie, les branches se couvrent de petites figurines rouges et blanches en hommage à la “Mère Printemps”, Baba Marta.

Ces fonctions hautement symboliques démontrent, avec un charme certain, le rôle que revêtent les arbres dans l’inconscient collectif d’un territoire… Un argument de choix pour mieux s’en inspirer !

Enfin un totem pour la ville agile ?

Certains designers, à mi-chemin entre ces inspirations et les préceptes d’une ville agile appliqués à grande échelle, s’en donnent à cœur joie pour confier de nouvelles responsabilités à cette flore séculaire. Certains imaginent par exemple de transformer les arbres en bancs publics, qui font tant défaut dans l’espace public, grâce à des sièges amovibles n’abîmant pas les écorces.

De même, on pourrait s’inspirer des cabanes perchées, qui s’efforcent de respecter les arbres sur lesquels ils se juchent. De fait, on pourrait imaginer voir de telles cabanes se multiplier dans l’espace urbain, comme le propose l’architecte Roel de Boer, parmi d’autres. Qui sait, le futur de la ville ressemblera peut-être à une version plus “réaliste” des fantasmes de villes végétales issues de la science-fiction ? En attendant de voir nos rues peuplées d’ewoks (Star Wars) vivant dans nos arbres, pourquoi ne pas rêver d’utiliser les branches pour accrocher des balançoires ?

En vérité, la seule limite à l’usage que l’on pourrait faire des arbres urbains reste l’imagination… et le respect de ces précieux mais fragiles éléments urbains, bien entendu. C’est précisément cet équilibre, entre réinvention et préservation de l’existant, qui définit les principes fondateurs de la “ville agile”. Et quoi de mieux qu’un être vivant pour inscrire ceci dans l’ADN d’un territoire lui aussi bien vivant ? Les nombreuses vertus des arbres en font ainsi de superbes totems pour populariser cette vision différente de la ville, co-créée et co-créative. Et vous, qu’aimeriez-vous faire des branches qui survolent nos rues ?

{pop-up} urbain
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