Les animaux continuent-ils de façonner nos villes ?

#LUMIERES - Portfolios
21 Juil 2023 | Lecture 3 minutes

Longtemps présents dans nos villes, les animaux ont participé à la création de formes urbaines uniques qui structurent aujourd’hui nos paysages urbains. Plaines agricoles, fermes, abattoirs, marchés aux gros… Autant d’infrastructures qui ont participé à la vitalité urbaine pendant des siècles.

Aujourd’hui, ces espaces ont soit disparus, soit été transformés pour accueillir de nouveaux usages (parc, tiers-lieu, musée etc…). Mais peu à peu, les animaux reviennent en ville dans des fermes urbaines ou pour de l’éco-pâturage. Sont-ils en train de participer à nouveau au dessin des villes de demain ?

Les animaux en ville, une réalité quotidienne depuis toujours ?

Avant l’hygiénisation de nos villes, la présence des animaux était une réalité quotidienne en milieu urbain. Comme nous l’explique Léa Mosconi, architecte et commissaire de l’exposition Paris Animal du Pavillon de l’Arsenal,, “Pendant des siècles, l’élevage, le commerce et l’abattage des animaux se sont en effet pratiqués dans la ville.” Autrefois, les chevaux et les bœufs étaient des compagnons familiers dans nos rues, jouant un rôle essentiel dans le transport et le travail. Ils faisaient partie intégrante de la vie urbaine, tandis que la volaille, les cochons et les lapins se côtoyaient dans les étals des marchands ambulants. Cette cohabitation, parfois difficile, était source de problèmes tant au niveau de l’hygiène que de la logistique. Le jeune roi Philippe de France en a d’ailleurs perdu la vie en 1131, lorsqu’il fut désarçonné de son cheval dans les rues de Paris par un cochon domestique, il succomba à ses blessures quelques heures après l’incident. Un épisode tragique qui témoigne d’une coexistence problématique et du manque de cadre pour organiser et contrôler la présence d’animaux vagabonds dans les villes.

L’urbanisation croissante et les changements socio-économiques ont par la suite progressivement transformé la relation entre les animaux et la ville. L’hygiénisation de la ville, motivée par des préoccupations de santé publique, a entraîné des politiques de contrôle des animaux et des mesures d’assainissement pour éliminer les nuisibles. Cette évolution a conduit à une séparation de plus en plus nette entre les espaces urbains et la vie animale, marquant un changement significatif dans la relation entre l’homme et les animaux.

Durant l’industrialisation, on assiste alors à une sorte de “mécanisation” des animaux, où ceux-ci sont utilisés pour leur force et leur énergie. Autour de 1900, Paris fut même surnommée “la ville au 80 000 chevaux” pour ses milliers d’équidés qui assuraient le transport mais aussi le portage des matériaux, les services de Poste, les véhicules de pompier… Progressivement, les petits abattoirs incrustés dans le tissu urbain, de même que les marchés aux bestiaux, sont déplacés vers les périphéries et regroupés afin de simplifier la logistique tout en réduisant et contrôlant la présence animale en plein cœur des villes. Cette évolution marque une distinction de plus en plus nette entre les mondes urbains et ruraux, avec une production concentrée dans les campagnes et une consommation prédominante dans les zones urbaines.

Aujourd’hui, ces grands abattoirs et lieux de commerce ont, pour une grande partie d’entre eux, comme ceux de La Villette à Paris, été requalifiés et réhabilités après avoir fermé pour des soucis de modernisation. À Paris, alors que les 54 hectares de La Villette alimentaient à eux-seuls la totalité des habitants de la capitale en viande, les anciennes halles du marché, de la gare et des abattoirs ont été détruites ou transformées pour en faire le plus grand parc de la capitale. Centre névralgique de la culture et du loisir, le parc de La Villette avec ses 33 hectares d’espaces verts témoigne aussi d’une volonté de réintroduction de la nature en ville.

Parc de la Villette ©Wikimedia Commons

Parc de la Villette ©Wikimedia Commons

Les animaux, une inspiration pour la ville

En évoquant le sujet des animaux en milieu urbain, vous pensez peut-être aux nuisibles, aux oiseaux ou encore aux animaux de compagnie tels que les chiens et les chats domestiques. Cependant, si vous observez plus attentivement, vous pourrez également apercevoir de majestueux mammifères, des reptiles et même des créatures exotiques en plein cœur de votre ville. Nous ne parlons pas ici des animaux captifs exposés dans les zoos ou présentés dans les musées, mais bien des représentations animales disséminées dans toute la ville à travers les façades et les formes de bâtiments, les ornements, mais aussi les œuvres d’art.

L’architecture animaliste puise son inspiration dans le règne animal pour concevoir des bâtiments et des structures aux formes organiques, aux motifs animaliers ou qui imitent les caractéristiques et les mouvements des animaux. Que ce soit à travers de simples gravures, des mécanismes techniques ou encore des ornementations dans le style de l’art nouveau, nos constructions urbaines intègrent de plus en plus des éléments et des qualités de l’animalité dans nos espaces construits, cherchant ainsi à établir une connexion plus profonde entre le monde urbain et le milieu naturel.

Au début du XXe siècle, le mouvement de l’Art Nouveau a mis en avant des formes organiques et des motifs inspirés de la nature, y compris de l’animalité. Les architectes tels qu’Antoni Gaudí à Barcelone ou Hector Guimard à Paris ont intégré des éléments animaliers dans leurs réalisations, créant ainsi une esthétique unique et reconnaissable. De nos jours, l’architecture animaliste contemporaine pousse les limites de la créativité en concevant des bâtiments qui s’inspirent directement de la forme et des caractéristiques des animaux. Cette approche novatrice combine l’imagination des architectes avec l’utilisation de matériaux durables, offrant ainsi des structures à la fois esthétiques et plus respectueuses de l’environnement. Pour ne citer que quelques exemples : la crèche de l’île Seguin de l’Atelier Hondelatte Laporte Architectes située à Boulogne-Billancourt accueille une sculpture géante d’une girafe jaune, la cité de la mode et du design à Paris par les architectes Jakob + MacFarlane qui rappelle le mouvement et la couleur d’un serpent, le projet du stade du club de foot turc Bursaspor signé Sozunerie Architects qui représente un crocodile hors-norme…

La cité de la mode et du design ©Wikimedia Commons

La cité de la mode et du design ©Wikimedia Commons

Un ensauvagement des villes pour une meilleure cohabitation ?

Outre nos façades de bâtiment ou nos techniques de construction, les animaux sont de plus en plus considérés en milieu urbain. Alors que l’affirmation de l’industrialisation a amené à une exclusion de l’animal en ville, certains parlent aujourd’hui d’un phénomène d’ensauvagement des villes. Il est possible que vous ayez observé, pendant le confinement, la surprenante apparition d’animaux sauvages tels que des renards, des lapins ou même des biches, déambulant paisiblement au milieu des ruelles. Durant ces temps d’isolement et de calme où les citadins avaient déserté les pavés et l’asphalte, nos compagnons animaliers se sont réjouis de pouvoir investir de nouveaux terrains plus urbains. Il faut dire que les villes ne leur sont pas toujours hostiles, au contraire elles peuvent parfois se montrer plutôt généreuses, comme l’explique la philosophe Joëlle Zask dans son ouvrage “Zoocities” : ‘’abondance de nourriture et d’eau, températures plus clémentes, abris bien dissimulés, moins de prédateurs que dans les écosystèmes naturels’’. Mieux : en ville, il n’y a pas de chasseurs ! Les animaux y ‘’circulent bien plus librement que dans certaines zones agricoles ou campagnardes, où ils butent sur des clôtures électrifiées, des autoroutes infranchissables’’.

Depuis quelques années, alors que nous avons pris conscience de l’importance de penser la ville comme un écosystème, nous tentons de réintroduire de la biodiversité au cœur de nos centres urbains de sorte à créer un réel équilibre ville-nature. La mise en place de corridors et de mares écologiques, la création de zones vertes et la sensibilisation des citoyens à la cohabitation avec la faune urbaine contribuent ainsi à réduire les frontières entre les deux mondes. Vous avez peut-être déjà observé des ruches sur le toit de votre bâtiment, des hôtels à insectes en bas de votre immeuble, des niches à oiseaux perchées sur des lampadaires ou encore des moutons au beau milieu de votre parc préféré, ce sont autant d’aménagements propices à la réinsertion de la faune dans nos villes.

L’éco-pâturage, cette pratique qui consiste à faire appel à des ruminants plutôt qu’aux machines et produits chimiques pour l’entretien d’espaces verts, y contribue aussi fortement et porte des objectifs qui vont bien au-delà de la simple “tonte naturelle”. Depuis la fin de l’année 2018, la ville du Havre a compris les enjeux de cette pratique et a décidé de développer l’éco-pâturage sur 8,6 hectares d’espaces enherbés grâce à différents cheptels d’animaux d’espèces rustiques et anciennes (béliers, brebis, chèvres, porcs…). Une manière de réintroduire ces espèces délaissées au profit du rendement agricole, tout en favorisant une biodiversité locale, une fertilisation naturelle des sols, et une lutte responsable contre les espèces végétales invasives. Outre les bienfaits environnementaux, ces éco-pâturages servent également de supports pédagogiques et viennent renforcer le lien social entre habitants.

Éco Pâturage urbain à Lille ©Wikimédia Commons

Éco Pâturage urbain à Lille ©Wikimédia Commons

Plus loin dans le concept, les fermes urbaines répondent aux enjeux environnementaux et sociaux mais aussi nourriciers. L’association La Bergerie Urbaine, localisée à Lyon, nous explique tout l’intérêt de leur pratique d’élevage urbain : production alimentaire, enrichissement de la biodiversité, sensibilisation et pédagogie autour des enjeux environnementaux, création d’emplois, stockage de l’eau et réduction des îlots de chaleurs, bien-être des habitants, qualité de l’air…” Au-delà d’une gestion pastorale de certains espaces verts, La Bergerie Urbaine pratique le pâturage itinérant, une pratique peu courante en ville qui consiste à déplacer à pied le troupeau sur divers espaces naturels urbains tels que les parcs, les friches et les pieds d’immeuble. Une manière d’offrir une alimentation plus riche et diversifiée aux animaux, et de proposer une activité ludique de sensibilisation aux citadins lyonnais.

Comme vous l’avez compris, nos villes modernes s’efforcent désormais de réduire les frontières entre le rural et l’urbain, entre la ville et la nature, en réintégrant progressivement une faune locale de manière contrôlée. Face à des changements climatiques et sociaux constants, il est crucial que nos villes se réintègrent désormais dans les écosystèmes naturels pour renforcer leur résilience. Le biomimétisme se présente comme l’une des solutions pour une meilleure adaptation et anticipation de ces évolutions. S’inspirer des mécanismes techniques de la faune, comme le système de ventilation naturelle des termites ou encore le système de régulation thermique des pingouins empereurs, a d’ores et déjà montrer ses preuves, alors qu’elle sera la suite pour ces prochaines années ?

LDV Studio Urbain
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