L’économie du partage en questions – #1 : vers une ville mutualisée ?

23 Juin 2015

Heureux qui comme Ulysse partage ses biens matériels… Plus qu’une simple mode, les “partages” se sont imposés dans le débat public en quelques années à peine, et viennent aujourd’hui redéfinir les bases mêmes de notre économie. Quelles conséquences pour la ville de demain ?

Life is Sharing. Crédits : Alan Levine

« Life is Sharing » à Cleveland. Crédits : Alan Levine

Qu’il s’agisse du bâti, des transports, de l’habitat ou de l’énergie, la ville se voit considérablement chamboulée par l’émergence de nouvelles pratiques de consommation, dont les noms de baptêmes sont révélateurs du flou qui les entoure encore. “Économie du partage”, “économie collaborative” ou parfois “économie de fonctionnalité”, autant de termes usités de manière plus ou moins rigoureuse, mais qui décrivent une réalité contemporaine en pleine explosion. S’il fallait en donner une définition sommaire, ce serait celle-ci : sortir d’une logique de consommation fondée sur la possession (d’un bien ménager, d’un appartement, d’un véhicule, etc.), grâce à des services et applications permettant de mettre ce bien en “partage” avec d’autres individus.

La ville, terreau privilégié des partages

La ville étant, par sa densité, le laboratoire à ciel ouvert de ces nouvelles pratiques, il n’est pas étonnant de la retrouver au premier plan des discussions qui vont ici nous animer dans quatre chroniques successives. Sortir de l’équation “consommation = possession” n’est pas sans conséquences, on s’en doute… Comme l’écrivait ainsi Carlos Moreno, conseiller scientifique de Cofely-Ineo, et grand théoricien de la ville de demain :

“La ville est le terreau privilégié de ces nouvelles pratiques, car il ne s’agit pas de voir l’économie de partage sous l’angle nihiliste ou marginal, mais bien comme une autre façon de tisser des relations sociales et de vie – je dirais même que ces pratiques réinventent aujourd’hui le sens de la vie sociale urbaine. De nouveaux modèles économiques apparaissent, mais aussi une meilleure gestion, une économie plus durable, une vision renouvelée de l’autre, car il y a bien, dans l’économie du partage, une recherche de l’altérité et la volonté de créer des relations qui vont au-delà du service lui-même..”

La question est donc désormais de s’interroger : comment ces pratiques vont-elles transformer nos urbanités ? Afin d’y voir plus clair, et de séparer le bon grain (les mutations fondamentales) de l’ivraie (les tendances plus éphémères), nous vous proposons un quadriptyque consacré à ces nouvelles formes de transactions “circulaires”. Après l’introduction ci-dessous, suivront deux billets se focalisant sur les secteurs de l’habitat puis des mobilités, avant de s’interroger plus largement sur les perspectives que tout cela augure pour nos territoires…

Une typologie des partages

Pour commencer, il semble nécessaire de faire le point sur les définitions. Car il faudrait presque une vie pour évoquer l’ensemble des “partages” qui investissent notre économie de marché ! Nous avons donc décidé de nous cantonner à une approche plus sélective, à la fois en termes de secteurs (en se focalisant sur le logement et mobilités), mais aussi de modèles économiques. Il importe donc de dresser, au préalable de notre investigation, une typologie des grands modèles existants, afin de distinguer les différentes formes que revêtent les partages actuellement… C’est précisément l’objet de l’étude Sharevolution, menée par les associations OuiShare et La Fing, et dont les résultats ont été publiés il y a quelques semaines.

A partir d’une enquête longue d’un an et menée auprès de 2000 consommateurs français, ils ont dressé un pertinent portrait-robot du consommateur dit “collaboratif”… ou plutôt, des consommateurs au pluriel, tant ce terme recouvre des pratiques et usages très différents. Néanmoins, ceux-ci se regroupent donc autour d’une même idée, comme évoqué précédemment : la volonté de sortir d’une logique de consommation traditionnelle (j’achète un bien pour m’en servir), pour expérimenter de nouvelles formes de consommation. Notons que ces pratiques peuvent avoir des origines très variables, allant du militantisme (en proposant des alternatives à l’économie capitaliste) au pragmatisme (récupérer quelques euros pour rentabiliser la possession d’un bien). Mais nous ne nous interrogerons pas ici sur cet aspect – l’étude Sharevolution étant particulièrement complète -, préférant approfondir les grands modèles existants, et les acteurs qui les portent. L’étude OuiShare / Fing en distingue quatre, qui regroupent ainsi la grande majorité de l’économie des partages telle qu’elle se cimente depuis quelques années maintenant :

  • la “re-distribution” des biens (troc, don, etc.), que l’on pourrait assimiler à l’économie circulaire
  • les “produits-services”, dont la définition est moins alambiquée qu’il n’y paraît, et sur laquelle nous allons revenir dans la suite de ce billet
  • les “services pair à pair”, entre particuliers, sur lesquels nous reviendrons plus particulièrement dans notre prochain billet
  • et les “systèmes locaux coopératifs”, majoritairement orientés vers des biens de consommation alimentaires ou quotidien (nous en avions notamment parlé ici)
Sharevolution étude. Crédit : OuiShare / La Fing

Etude Sharevolution – Mars 2015. Crédit : OuiShare / La Fing

Quand le produit devient service

Comme annoncé, nous allons nous focaliser sur deux des quatre modèles au fil de notre quadriptyque. Au premier plan, un terme intriguant : qu’appelle-t-on exactement “produit-service” ? Concrètement, ces pratiques sont celles qui renvoient le plus directement à “l’économie de fonctionnalité” évoquée en introduction. Un précepte consistant (pour simplifier) à remplacer la vente d’un bien par sa mise à disposition temporaire, rémunérée ou non, grâce à une plateforme de partage. A la différence du troc et de la “re-distribution”, celui qui met son bien à disposition en reste propriétaire – on est donc bien dans le partage, mais un partage limité dans le temps…

Le covoiturage et l’autopartage entre particuliers (mise à disposition de sa voiture) en sont par exemple les représentants les plus connus. Ainsi les plateformes telles que BlaBlaCar ou Drivy, leaders français de leurs domaines respectifs, permettent ainsi à tout citadin de mettre en partage son véhicule, soit parce qu’il ne l’utilise pas (dans le cas de l’autopartage, il rentabilise alors le coût de sa propriété), soit justement parce qu’il souhaite diminuer le coût de son utilisation (sur un trajet en covoiturage). Au-delà de ces aspects pécuniaires, rappelons que l’on peut aussi covoiturer pour le simple plaisir de partager son trajet en bonne compagnie ! Mais nous aurons l’occasion d’y revenir plus tard.

Demain, la ville mutualisée ?

Si la voiture est évidemment l’exemple le plus évident, elle n’est que la partie émergée de l’iceberg. Citons ainsi la bien nommée “Machine du voisin”, plateforme de mutualisation des… machines à laver ! A la différence d’une buanderie collective, ce projet (qui semble malheureusement un peu à l’abandon aujourd’hui) permet à des individus de mettre en “location” leurs propres lave-linges, à destination de leurs voisins d’immeuble ou de quartier. Une manière à la fois astucieuse et potentiellement conviviale de réduire l’empreinte économique d’un tel bien ménager… Si nous prenons cet exemple, malgré son succès relatif en termes d’usage, c’est en effet parce qu’il illustre peut-être mieux que tout autre les perspectives de cette économie de la fonctionnalité.

Le processus est d’une logique implacable : certains ménages possèdent un équipement assez coûteux, qu’ils n’utilisent que quelques fois par semaine ; inversement, d’autres ménages (étudiants, précaires, etc.) en sont dépourvus, et doivent donc se reporter sur les laveries, des services eux aussi coûteux et surtout peu pratiques. Dans ce contexte, pourquoi ne pas mutualiser ? A travers cet exemple, on comprend que l’économie de “fonctionnalité” peut s’appliquer à tous les objets partageant les mêmes contraintes : de la perceuse qu’on n’utilise qu’une fois par an, à la place de parking pendant les heures de bureau, en passant par le lit deux places lorsque l’on est en vacances… Ce qui nous amène, inévitablement, au premier de nos deux “focus”, qui sera donc consacré aux problématiques de l’habitat. Nous aurons l’occasion d’explorer la manière dont les partages transforment progressivement l’habitat, autour du célébrissime Airbnb et de ses héritiers… sans oublier de se pencher sur les frictions que cela génère inévitablement ! Rendez-vous au prochain épisode.

Pour aller plus loin :

Just share-it : la métropole du prêt-à-partager – Urbanews (2012)
A qui profite l’économie collaborative ? – Ouishare (2014)
Séoul, la ville du partage ? – Shareable via A lire ailleurs (2014)

{pop-up} urbain
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Vos réactions

Stéphane Louvigné
31 juillet 2015

On notera aussi MonP’tiVoisinage qui propose un outil complet à destination des particuliers (multi-service type covoit’ échange de biens & services, commerces de proximité …) mais aussi à destination des collectivités (dialogue citoyen, remontées d’anomalies, communication localisée).

Cette idée de « sharing city » (ville du partage) semble être en résonance avec l’idée de ville mutualisée de cet article.

Vive l’économie du partage !

http://www.monptivoisinage.com

les collectivités: http://www.sharingcity.fr

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