Goélands et humains : pour une cohabitation sans prise de bec
En milieu urbain, oiseaux et habitants partagent un territoire qui devient souvent le terreau d’hostilités réciproques et de guerres ouvertes. Alors que le goéland est souvent perçu comme un animal agressif, bruyant et sale, Laura Tréguer, jeune designer à l’École de Design Nantes Atlantique, invite à changer de regard sur cet oiseau marin. Grâce à une balade interactive et éducative dans la ville de Brest, elle sensibilise le promeneur aux caractéristiques de l’espèce d’oiseau la plus répandue en ville. Ralentir, observer, comprendre, faire connaissance : un premier pas pour envisager une cohabitation plus sereine avec le goéland argenté ?
Faut-il lui voler dans les plumes ?
Sur son site internet, la ville de Cherbourg mentionne les goélands en stipulant que : “ De plus en plus présents en milieu urbain, leur présence peut engendrer des désordres liés à des dégradations de l’habitat et du mobilier urbain. Par ailleurs, en cas de non suivi des consignes de collectes des déchets, des sacs peuvent se trouver éventrés et des détritus éparpillés. Enfin, lors de la période d’éclosion des œufs à la fin de l’été, les adultes peuvent se révéler agressifs et intimidants envers tout intrus.”
Le goéland y est donc décrit comme un animal potentiellement agressif et destructeur. Néanmoins, Laura Tréguer, originaire de la région brestoise, s’est aperçue que ces oiseaux étaient devenus une espèce protégée dont la population s’amenuisait au fil des ans. Leurs habitats côtiers se raréfiant, ils peinent à trouver de quoi se nourrir, d’où leur migration croissante vers les villes côtières. De plus, les goélands sont de grands opportunistes : ils sont dotés d’un sens de l’observation aiguisé. Ils observent le comportement humain et analysent la façon dont nous nous nourrissons.
Une étude a été faite sur le sujet en Angleterre : https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rsbl.2023.0035
Cela a également pu être remarqué à Brest dans les années 1980. Lorsque la déchetterie, à ciel ouvert, déversait, à horaires réguliers, de la nourriture congelée, les goélands finissaient par comprendre à quelle heure ils pouvaient venir manger. (Yvon Le Gars – Zoom sur le goéland).
« En milieu urbain, on a toujours l’impression qu’ils sont nombreux, alors qu’en milieu naturel, les colonies ont décliné depuis la fin des années 80. […] Les goélands argentés, par exemple, qui étaient les plus abondants en Bretagne, ont vu leurs effectifs quasiment divisés par trois en l’espace d’une trentaine d’années. » Bernard Cadiou, ornithologue spécialiste des oiseaux marins à Bretagne Vivante SEPNB (Société pour l’étude et la protection de la nature en Bretagne).
Que faire alors pour protéger ces « goélands urbains » tout en minimisant leurs nuisances dans les villes côtières ? Suite à une étude de terrain, Laura Tréguer, étudiante en Master au City Design Lab de L’École de Design Nantes Atlantique, a identifié deux objectifs majeurs :
- Faire cohabiter harmonieusement les modes de vie humains et les besoins des populations de goélands à Brest ;
- Améliorer la cohabitation entre ces deux espèces d’êtres vivants en milieu urbain grâce à divers dispositifs de sensibilisation.
Dizallañ : ouvrir les yeux, protéger le goéland
Le projet
Ce projet d’observatoire à goélands prendrait forme à travers des microarchitectures en bois, conçues en collaboration avec la ville de Brest, le Fourneau (Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace Public) et les élèves en Bac Pro Technicien Constructeur Bois du Lycée Polyvalent Dupuy de Lôme.
Cinq observatoires, installés en zone portuaire, encourageraient le passant à s’asseoir pour contempler les goélands argentés. Quatre d’entre eux seraient situés sur le port de commerce de Brest tandis que le dernier observatoire surplomberait le port. Réalisées grâce à des ossatures en bois résineux de pins sylvestres et soutenues par des poteaux de fixation en acier galvanisé, ces structures seraient protégées par un traitement « autoclave » qui évite la détérioration du bois et prolonge sa durabilité.
Un observatoire, en bas, permettrait aux personnes qui s’y installeraient d’avoir une vue panoramique sur ce qui les entoure. On accèderait à la partie en hauteur grâce à une échelle, pour prendre de la hauteur et guider le regard vers un endroit précis.
L’identité visuelle du lieu reprendrait les caractéristiques physiques du goéland argenté : plumage gris blanc et noir, bec jaune tâché de rouge et pattes roses.
Les observatoires seraient aussi l’abri idéal pour partager une pause-déjeuner. On pourrait aller s’y réfugier en cas d’intempéries ou en cas d’attaques de goélands irrésistiblement attirés par un sandwich généreux.
Un autre volet du projet consiste à trouver des solutions de nichage en ville pour les goélands. L’idée ? Leur donner accès à des endroits en hauteur sans pour autant les forcer à s’y installer.
Enfin, des panneaux informatifs renseigneraient sur les types de goélands, leur cycle de vie, leur nidification, etc.
Les acteurs potentiels du projet
Pour mettre en place Dizallañ à Brest, voici les différentes étapes à suivre.
Dans un premier temps, le projet serait présenté à la ville de Brest. Puis, une fois le projet accepté, il serait exposé au Fourneau (Centre national des Arts de la Rue et de l’espace public) en vue de conclure un partenariat. Par la suite, une réunion regrouperait les trois parties prenantes : le lycée Dupuy de Lôme, la ville de Brest et le Fourneau.
La mise en fabrication des observatoires se ferait dans l’atelier du lycée Dupuy de Lôme avec les élèves de la classe de premier bac pro TCB. Ultime étape du projet : l’essaimage des microarchitectures en bois afin que les citoyens les utilisent et se les approprient.
L’inclusion des goélands dans le paysage urbain quotidien invite les habitants à renouveler leur regard sur leur cohabitation avec ce cousin de la mouette. À travers ce parcours ludique et éducatif s’érigent des piliers d’un mieux vivre-ensemble où les besoins des humains et des animaux sont davantage respectés. Apprendre à observer et à connaître le goéland argenté induit naturellement un changement de posture des usagers. En effet, comme le dit si bien Pierre Choderlos de Laclos, officier et auteur du XVIIIe siècle : « Il n’y a que deux moyens pour connaître : observer et méditer. »