Le revêtement de sol dans la construction d’une identité urbaine

Le charme d'une rue
5 Mar 2018

Quelle est la différence entre les pavés, l’enrobé bitumineux, le sable, le gazon et les autres formes de revêtement de sol urbain ? Peut-être pouvons-nous dans un premier temps penser à son aspect, à sa couleur, à sa praticabilité ou peut-être même à son imperméabilité ? Et si le revêtement du sol de nos villes pouvait également être perçu par le caractère qu’il donne aux espaces urbains, par l’identité qu’il leur confère ? Entre enjeux de société et identité urbaine, quel est donc le rôle de cet élément urbain, celui que nous foulons tous les jours, dans notre rapport à la ville ?

Le sol fonctionnel, à l’image de l’artisanat local

Avant toute chose, revêtir le sol d’un matériau supplémentaire a toujours eu une fonction pratique. Même dans les villes les plus anciennes. C’est à dire qu’un revêtement maîtrisé, plus stable et adapté permet d’y faciliter le déplacement de véhicules, même les plus légers. Il permet aussi de faciliter celui des piétons sur un sol qui peut parfois se trouver très délicat à pratiquer. Une terre rapidement boueuse par exemple ralentit fortement tous les types de déplacements. L’idée n’était donc historiquement pas d’apporter un aspect esthétique à cette surface mais au contraire une fonctionnalité améliorée pour des déplacements facilités.

Qu’il s’agisse donc de terre battue, de dalles pavées ou bien parfois de revêtements plus novateurs à l’époque, comme la chaux par exemple, les matériaux utilisés étaient principalement issus de sources naturelles locales avant d’être transformés sur place, selon des méthodes alors artisanales et emblématiques du territoire. Les pavés ont par exemple remplacé au Moyen-Âge les chaussées en terre battue qui se dégradaient très rapidement avec un passage de plus en plus conséquent des citadins. Pavés en bois, en granit, en grès ou autre, chaque région développait sa façon de faire. Le revêtement de sol utilisé ne nécessitait alors pas de technologie extrêmement poussée quant à sa fabrication, si ce n’est concernant leur découpe. Des connaissances artisanales pouvaient en revanche être nécessaires, par exemple pour savoir installer les pavés selon certains motifs plus délicats à représenter.

Si le matériau utilisé était donc issu de sources locales et était installé de manière artisanale, le revêtement de sol ainsi créé représentait un savoir-faire et une identité territoriale bien particulière, qui s’est construit au fil des siècles jusqu’à aujourd’hui. À Sofia par exemple, en Bulgarie, ses fameux pavés jaunes en céramique permettent à la capitale bulgare de se démarquer d’autres centres-villes grâce à un revêtement de sol particulièrement identifiable. À la manière des matériaux utilisés pour l’architecture, les territoires urbains se sont donc construit une identité à travers leurs usages propres de matériaux, ainsi que de techniques faisant référence à une certaine identité locale.

Des usages et des mobilités qui évoluent, mais une identité qui s’efface

Malgré les évolutions qu’ont connu les sols de nos villes, les pouvoirs publics se rendent aujourd’hui compte que certains de ces revêtements de sol ne sont plus adaptés aux enjeux contemporains pour une construction durable de la ville. L’apparition explosive de l’usage de l’automobile, ou de véhicules plus lourds encore, a en effet entraîné le développement de revêtements encore plus solides, encore plus fonctionnels, encore plus semblables sur les chaussées du monde entier. L’enrobé bitumineux notamment, s’est étendu sur une quasi-totalité des routes françaises et sur une large surface du globe pour pouvoir encaisser le passage quotidien des véhicules. Lisse, il permettait également de réduire le bruit alors caractéristique des pavés et ainsi de favoriser le passage automobile en ville…

Les pavés étant également peu confortables pour les piétons ou les cyclistes, ils ont souvent été recouverts ou remplacés par une couche lisse d’un asphalte d’un gris sombre afin de favoriser l’accessibilité de tous dans les espaces publics.

Les espaces urbains ont alors rapidement évolué à travers le monde selon une dynamique commune liée à ces enjeux de transports routiers en parallèle d’une hégémonie de la voiture qui s’est installée dans la cité depuis la seconde moitié du 20è siècle. Si ces matériaux ont été privilégiés pour leur praticabilité, ils ont également suivi en parallèle l’avancée des connaissances techniques et des innovations qui se sont succédé, en particulier lors du siècle dernier avec l’utilisation massive des produits pétroliers et le développement du raffinage par exemple.

Le revêtement de sol urbain devenu très lisse et très fonctionnel en devient donc adapté à davantage de personnes et d’utilisations, depuis l’usage des piétons jusqu’à celui des camions les plus imposants. Mais avec l’apparition des règles et normes qui se généralisent, notamment en matière d’accessibilité ou de règlements techniques pour la construction routière, les formes de sol se mondialisent en même temps que les techniques pour les concevoir. Le bitume, l’enrobé, l’asphalte, se répandent dans les rues du monde entier, de Tokyo à Buenos Aires, de Dakar à Dublin.

Comment répondre aux enjeux actuels en conservant une identité urbaine locale ?

Cette mondialisation des revêtements de sol entraîne une perte de l’identité territoriale portée par le sol des villes. Toutefois, certaines villes ont encore dans leurs centres historiques des marques de cette identité qui leurs sont propres. Nous remarquons d’ailleurs que l’attractivité des centres historiques est en partie liée à cette présence d’un sol plus pittoresque, plus proche du caractère du terroir local, entre les pavés rongés par les évolutions de la ville. La poésie de ces derniers représente une forme d’art artisanal en pleine rue, dont les aspérités sont les témoins d’une histoire, d’une vie urbaine qui a forgé l’identité de la cité, dans ses meilleurs moments comme dans les plus sombres.

Si l’image d’un centre-ville peut être portée par la présence d’un revêtement ancien bien souvent constitué de pavés ou de matériaux « du terroir », ce type de sol peut en revanche rapidement s’avérer inaccessible. Il est alors important de repenser le sol pour assurer un bon usage de la voirie publique, par tous et selon les enjeux contemporains. En particulier celui qui vise à replacer les piétons au cœur de la cité.

Les aménageurs reviennent alors de plus en plus vers une vision bien plus réfléchie et plus identitaire de l’usage des matériaux de revêtement de sol urbain. La perception de la ville passe également par les caractéristiques de ces surfaces qui doivent véhiculer une identité à part entière. On revient ainsi vers des modes plus authentiques, plus révélateurs du territoire et du contexte local. Dans certains nouveaux projets d’aménagement, les cheminement de sable ou de gazon tendent à être privilégiés dans les éco-quartiers par exemple. Les sols dépassent leur fonction première de « support des mobilités », et peuvent par exemple drainer l’eau de pluie et agir en faveur des défis environnementaux urbains.

Et aussi sociaux ! Si les pavés déchaussés sont souvent inaccessibles aux personnes à mobilité réduite, tout en apportant malgré tout le charme recherché par les visiteurs, de nombreuses solutions se développent afin de conjuguer les atouts d’un revêtement authentique avec les réponses aux enjeux de société. Les objectifs des aménageurs sont donc aujourd’hui de reconquérir l’identité des territoires en revenant aux utilisations anciennes, dans le but d’offrir une vision urbaine plus cohérente avec le territoire. Le revêtement de sol en ville pourra alors supporter l’évolution des piétons qu’il accueille, et celle de la ville dont il est le reflet vers un territoire attractif.

LDV Studio Urbain
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Vos réactions

SOULARD
5 mars 2018

Si les espaces circulés sont en effet tous passés en enrobé en France, l’identité locale des terroirs s’affiche dans les espaces piétonniers ou les centres historiques :
– Bordeaux : tomettes sur les trottoirs, et pavés en grès de Dordogne
http://www.bordeaux.fr/images/ebx/fr/groupePiecesJointes/4305/2/pieceJointeSpec/52016/file/charte_p51.pdf ;
– Marseille : bordures en pierre de Cassis et dalles calcaires
– Montpellier : dalles calcaires des causses
– Paris : bordures et dalles de trottoir en granit breton
– Lyon : asphalte sur trottoir (mines de l’Ardèche, avant de passer à l’asphalte de synthèse de la « vallée de la chimie », une autre façon d’exprimer le « terroir »), bordures granit du Tarn, ou dalles calcaires de Villebois et Sault-Brenaz, et espace sablé en Gohre du Beaujolais
https://www.grandlyon.com/pratique/publications-voirie.html

Et au delà du matériau, il y a aussi l’appareillage : Napoléon, échantillon, mosaïque…

L’approche fonctionnaliste et normative de l’espace public, ainsi que les enjeux d’optimisation économique ont raison de ces particularismes. Rares sont les règles de conservation du patrimoine qui s’appliquent aux espaces public, alors que ça fait l’identité d’une ville et qu’il y en a toute une quantité pour le bâti.
L’Italie a su garder un sens de l’esthétique qui confère à une rue une homogénéité et un typicité architecturale d’ensemble.

Landau Bernard
7 mars 2018

merci pour cet article qui nous rappelle qu’il y a une architecture du sol des villes qui renvoie a l’identité, aux savoirs faire et aux usages des rues qu’il est grand temps de réhabiliter ! Matériaux, nivellement, maîtrise des eaux de pluie, protection des pieds de bâtiments ont toujours été les questions auxquelles les « bâtisseurs » ont du trouver des solutions adaptées a la géographie, au climat et aux matériaux locaux pour aménager les rues de leurs villes.Cette histoire des sols urbains reste a écrire elle est aussi un patrimoine qui revisité pourrait nourrir la reconquête des espaces publics « envahis » au 20ème siècle par la suprématie des auto-mobiles !

yacea
20 mars 2018

Il n’y a pas d’automobiles sur les Trottoirs! … il est temps en france d’en finir avec l’asphalte pour piétons, les solutions sont nombreuses, comme on le voit dans d’autres pays.
Passons aux trottoirs BIO, sans produits pétrochimiques.

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