Quelle place pour l’humour dans la ville ?

Bruxelles Dmitry Risenberg qualité vie
1 Avr 2016

C’est bien connu, l’occasion fait le larron. Aussi, en ce premier jour d’avril, nous avons souhaité nous pencher sur une question de fond : quelle place pour l’humour en ville ? La question peut paraître anecdotique, et pourtant : la boutade a beaucoup plus à apporter à la ville qu’on ne pourrait le penser. L’urbanisme contemporain ne gagnerait-il pas, en effet, à se dérider un peu ?

Existe-t-il un humour « urbain » ?

Commençons par poser les bases du sujet : de quoi l’humour est-il le nom dans un contexte urbain ? La palette est bien large, peut-être même trop, allant de la toponymie potache (fièrement représentée par la bourgade de Montcuq) aux graffitis rigolos qui parsèment nos murs (parfois à leurs dépens), en passant par les nombreux gags prenant la ville pour décor. La culture populaire s’en est d’ailleurs largement inspirée, à l’image du célèbre gag de la bouche d’égout dans de très nombreuses bandes dessinées ; des héros tels que Quick et Flupke offrent à ce titre une inventivité inégalée en terme d’humour urbain… Et l’on pourrait multiplier les exemples tant le sujet offre d’itérations, à l’image des caméras cachées qui souvent s’immiscent dans le quotidien de la ville, mais la place nous manque. Voilà donc pour ce qu’on pourrait qualifier d’humour « citadin » : un humour prenant les formes urbaines pour sujet, mais non-directement lié à la fabrique de la ville à proprement parler. Qu’en est-il, dans ce cas, des acteurs urbains qui en ont la tutelle ? Autrement dit : existe-t-il un humour « urbanistique » ?

Bruxelles Dmitry Risenberg qualité vie

Crédits : “Vaartkapoen” (sculpture de Tom Frantzen installée dans le quartier Molenbeek, à Bruxelles) – Photographie par Dmitry Risenberg

Il semblerait malheureusement qu’en matière d’humour, les acteurs de la ville soient loin d’être très fanfarons ! On notera tout de même les créations farfelues de certains architectes, une profession pourtant régulièrement accusée de se prendre un peu trop au sérieux… Le 1er avril offre toujours quelques pépites en la matière, à l’image de la “Tour Rectangle” imaginée par Le Moniteur l’an passé. Certaines constructions apportent d’ailleurs leur contribution humoristique de manière bien involontaire, à l’image de l’architecture-canard et ses bâtiments ridiculement drolatiques. Quant à l’urbanisme, comment dire… Force est de constater que le rire est rarement la priorité des PLU, AVAP et autres normes HQE. On peut le comprendre, évidemment, mais rien n’interdit de le regretter. Certains se sont d’ailleurs donnés pour mission de pourfendre ce trop-plein de sérieux : on pensera évidemment à l’inénarrable agence Deux Degrés, qui tente de dérider l’urbanisme depuis plus de cinq ans maintenant. Et l’on aurait grand tort de ne pas s’en inspirer…

Un peu de légèreté dans un monde de béton brut

On le voit : il existe indéniablement un humour citadin et, de manière bien plus ténue, la possibilité d’un humour urbanistique. Mais la problématique dépasse ce simple constat, et vient directement interroger la « fonction » de l’humour en ville. Quel est le rôle de l’humour dans la fabrique de la ville ? Égayer les passants, bien sûr, et donc in fine réenchanter le quotidien des citadins. Certes, cela pèse finalement bien peu par rapport aux fonctions traditionnelles de la ville – permettre aux gens de vivre sous un toit ou de se déplacer sans encombres, notamment -, mais cela revêt pourtant un rôle primordial dans un contexte urbain toujours plus anxiogène.

Jamais la ville contemporaine n’aura en effet semblé si pesante : les bancs publics se raréfient, les murs se hérissent de pics anti-SDF, et les rues se bardent d’uniformes en vertu de l’état d’urgence. Les événements de novembre dernier ont montré la volonté des Parisiens de profiter de leur ville avec légèreté : « Aux actes ineffables, répondons par une ville affable », écrivions-nous à l’époque. Et quoi de plus affable que l’humeur rieuse ? Coïncidence malheureuse, l’écriture du papier que vous êtes en train de lire a été entamée la veille des attentats de Bruxelles… Bruxelles qui représente peut-être l’une des villes les plus souriantes qui soient, et dont nous avions souhaité chanter les louanges dans la première mouture de cet article, pour son sens de la bonhomie et ses héros de papier tapissés sur les murs. S’il y a donc une ville qui incarne l’humour urbain, c’est bien la capitale européenne.

Demain, la ville riante ?

D’autres suivent cette voie, par exemple à travers l’organisation de grands raouts humoristiques (« Juste pour rire » à Montréal, « Festival du rire » de Montreux…), et finissent par acquérir une certaine notoriété dans le cercle très fermé des villes riantes. D’autres encore choisissent des voies alternatives, à l’instar des collectivités faisant appel à des groupuscules apportant leur sens de la dérision dans l’austère monde de l’urbain, tels que les Deux Degrés précédemment évoqués ou la jouissive Agence de Psychanalyse Urbaine. Une manière de faire rire avec la morphologie urbaine et les diagnostics de territoire, comme quoi tout est possible !

Un pavé dans la mare de la sériosite, la maladie de se prendre au sérieux de la part des architectes et des urbanistes

Dans la même veine, on pensera à l’intervention du hacking urbain (parfois sur commande d’événements ou associations locales), dont le potentiel humoristique a maintes fois été démontré par un Florian Rivière, par exemple. A travers des créations tantôt sérieuses et tantôt corrosives (tels que l’horodateur / décapsuleur ou le poteau / presse-agrumes), l’“hacktiviste” transforme la ville en scène ouverte pour comiques en herbe. Plus généralement, on remarquera l’influence d’Internet et des réseaux sociaux dans l’émergence d’une vraie culture de l’humour urbain, grâce à la viralité de photos et vidéos recueillies à travers le monde. A titre personnels, nous avons d’ailleurs une veille dédiée à cette culture du « LOL urbain », comme nous aimons à l’appeler…

Lentement mais sûrement, à force d’initiatives plus ou moins spontanées, le monde urbain semble donc être de plus en plus détendu. Les jeunes générations, biberonnées à ces nouveaux formats d’interventions urbaines, semblent en effet prêtes à en découdre avec l’austérité urbaine qui les entoure malgré eux. La ville de demain aura beau être intelligente, ludique, vivable, sportive ou encore marchable, elle ne sera jamais vraiment aboutie tant qu’elle sera privée d’humour. Si le rire est le propre de l’homme, comme dit l’adage, pourquoi en irait-il autrement pour le citadin ?

{pop-up} urbain
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