A qui profite le City Branding ?

13 Sep 2013

En quelques années, le concept de “city branding” s’est largement imposé dans les gouvernances des métropoles. L’idée est simple : un territoire est une marque, avec son identité et ses valeurs propres ; l’objectif est de les mettre en valeur afin d’attirer populations, entreprises ou événements, que l’on soit une ville, une région ou un terroir (on parlera alors plus généralement de “marketing territorial”). Le chercheur Boris Maynadier qualifie “d’organisation des potentialités stratégiques de la ville” cette transformation des villes en marques, qui peut prendre des formes diverses : de l’identité visuelle caractérisée par un “logo”, à la dynamisation sous toutes ses formes du tissu économique local.

Le scope est donc particulièrement large, peut-être trop. Souvent caricaturé, le city branding ne cesse de diviser. D’un côté, ses plus fervents partisans y voient une réponse nécessaire à la concurrence exacerbée entre les territoires. En face, ses détracteurs les plus acerbes fustigent cette nouvelle marchandisation des espaces publics. Ce sont à ces critiques que l’on s’intéressera dans cette chronique, car elles méritent notre attention en soulevant de vraies questions autant urbanistiques que sociétales.

Concurrence déloyale

©David Yu/Flickr

Principal reproche fait au city branding : sa grande vacuité, surtout en comparaison d’autres secteurs jugés plus prioritaires – qui plus est en temps de crise. Ses détracteurs citent ainsi les innombrables démarches de branding que mettent en place les collectivités pour attirer les fameuses “classes créatives” : artistes, créatifs, emplois métropolitains supérieurs, etc. Dans la revue Metropolitiques, le chercheur en sciences économiques Sébastien Chantelot s’interroge ainsi sur cette étrange hiérarchisation des besoins : “On est en droit de se demander si les politiques de développement local fondées sur des dimensions artistiques et culturelles répondent aux vrais problèmes urbains que sont notamment la ségrégation, la gentrification, la violence, etc. […] Puisque ces politiques sont censées œuvrer à la dynamisation économique du territoire, qu’en est-il des retombées ? Ces questions montrent que nombreux débats restent encore ouverts…”

Prenons l’exemple concret de la ville allemande de Manheim, qui a justement décidé de  concentrer une grande partie de sa politique au soutien des artistes locaux. En misant sur cet aspect culturel particulier, l’image de la ville aurait été “renouvelée et rajeunie”. Mais cette nouvelle identité satisfait-elle l’ensemble des parties prenantes de la ville ? En poussant la logique plus loin, la “ligne éditoriale” de la marque d’une ville devrait-elle faire l’objet d’un référendum ?

Flagrant délit de simplification

©Philippe Gargov

Entre les lignes, on perçoit ici le véritable défaut du city branding : faute de moyens, chaque ville semble devoir se limiter à un nombre réduit de thématiques pour construire son image : certains choisiront de mettre en avant la culture, d’autres le patrimoine historique… mais ne mélangeront jamais ces différents aspects. Il en résulte le sentiment que le city branding ne fait que caricaturer les identités de ces territoires à travers un slogan souvent bien banal, mais surtout simplificateur.

Plutôt dommage, quand on connaît la richesse inhérente des villes concernées, et dont témoignent ces quelques exemples hexagonaux. A titre d’exemple, la Mairie de Paris a d’ailleurs récemment impulsé la création d’un pôle marketing pour tenter de rassembler ses quelques… 300 marques spécifiques. On espère que ce pôle choisira de préserver cette diversité. Car voilà toute la difficulté du sujet : comment restituer la complexité d’une métropole tout en la rendant accessible aux touristes, investisseurs ou entreprises que l’on souhaite attirer ?

Autre souci, qui va avec cette simplification des identités : on observe une forte homogénéité des slogans et logos à travers le monde, chaque métropole ayant une tendance naturelle à “copier” les territoires les plus en vue. On ne compte plus les versions localisées du fameux “I Love New York”, choisis comme logos de tel ou tel territoire… Certes, ce mimétisme est naturel et compréhensible. Mais il démontre le manque d’inventivité dont fait parfois preuve le city branding.

Comment mesurer le City Branding ?

©randstad/Flickr

Le city branding souffre en effet de nombreux paradoxes, entre ses velléités d’originalité et la réalité des initiatives mises en œuvre. Les city brandeurs ne doivent pas pour autant être pointés du doigt, répondant souvent à un cahier des charges particulièrement complexe, comme évoqué plus haut. Et si les territoires se montrent parfois relativement frileux, c’est avant tout par recherche d’un compromis qui fasse écho au plus grand nombre, cette fameuse “ligne éditoriale”,  dans laquelle se reconnaîtraient tous les citadins. Un mythe, mais un mythe tenace.

Enfin, la dernière zone d’ombre du city branding tient dans l’incapacité à mesurer son impact direct et indirect (externalités positives et négatives). Le marketing traditionnel dispose de nombreux indicateurs pour estimer l’influence d’une campagne, qui n’existent pas encore dans le city branding. En cause : sa jeunesse, mais peut-être aussi la complexité de ce “désir de ville”, qui ne saurait se résumer à la seule attractivité de populations nouvelles. C’est finalement la question la plus importante : peut-on vraiment “vendre” une ville comme on vend des oranges ?

Philippe Gargov

{pop-up} urbain
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Calypso
13 septembre 2013

« Arm aber sexy » – « Pauvre mais sexy » donc…
Berlin s’est marketée comme une pro, et ça a très bien fonctionné. L’immobilier explose, les berges du centre-ville sont aménagées pour les classes créatives (en leur nom, on a même retiré deux bouts du mur de Berlin, en avril dernier).
Problème, Berlin se transforme en une version Disney d’elle-même, bien plus fêtarde, moins engagée, bien plus street-art et beaucoup moins squat. Le punk va bientôt changer d’adresse…
Il est vrai que Berlin a réellement besoin d’activité économique, et que ces choix politiques se comprennent. Mais maintenant que Berlin est devenue tendance et que le revenu minimum n’est pas à l’ordre du jour, il va être difficile d’y trouver un job qui ne soit pas de l’exploitation. Tout le monde ne peut pas créer sa start-up, tout le monde ne peut pas faire partie des privilégiés… avec autant de monde, Berlin va crouler sous tous ces gens « Arm  » mais Berlin sera-t-elle toujours « Sexy » ?

Et il est là le vrai problème du city-branding. Les effets de modes, les foules en délires à la levée du rideau de fer, les collections de fringues qui se périment en 3 mois… comment un responsable politique peut-il avoir envie de faire entrer son territoire dans une telle logique d’attirance-consummation-rejet complétement irrationnelle ? J’utilise ici consummation car c’est une consommation accélérée, brêve mais de forte intensité.
Car si l’envolée est belle dans le cas de Berlin… je craint plutôt pour l’atterrissage.

Attia
17 septembre 2013

Merci pour ce point de vue très juste, mais j’ajouterais quand même que le city branding a le mérite de faire réfléchir aux identités d’un territoire, à ce qui le qualifie vraiment, donc il faut non pas nécessairement « mesurer » les impacts mais évaluer les contenus des marques-ville! Et ces évaluations sont qualitatives: elles passent par des études de perceptions auprès de tous les publics et usagers et ont le mérite de donner des idées aux élus sur l’image réelle (et non fantasmée) de leurs villes…
Adeline, UBTrends, Paris

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