Vers un ralentissement du rythme urbain ?

Mexico City ©️ Jezael Melgoza via Unsplash
4 Nov 2020 | Lecture 5 minutes

Dans la plupart des villes européennes, la place de la voiture tend à se réduire d’années en années. Piétonnisation des rues, création d’espaces publics sans voiture, création de boulevards urbains privilégiant les mobilités douces, les mesures incitatives se multiplient. Avec ces transformations, s’opère alors un ralentissement du rythme urbain.

Quels sont les impacts sur la vie dans l’espace public ? Assistons-nous à un ralentissement global du rythme urbain ? Cet apaisement des villes engendre-t-il d’autres dynamiques ?

La notion de temps dans la ville, qu’il s’agisse de sa gestion ou de son influence sur les urbains et sur l’urbanisme, est un sujet qui intéresse de plus en plus de professionnels de la fabrique urbaine. Ville malléable, ville chronotopique, ville réversible, ville du quart d’heure sont autant de concepts qui abordent cette problématique et de nombreux experts étudient quotidiennement les divers enjeux liés à ce sujet. Des professionnels comme Carlos Moreno ou Luc Gwiazdzinski ont par exemple concentré une grande partie de leurs travaux et études sur cette notion qui concerne conjointement l’hyper proximité, l’intensité des villes ou encore l’étalement urbain.

Sans nécessairement être de véritables spécialistes de la notion de temps dans la ville, les habitants des villes peuvent également constater les dynamiques générées par les rythmes urbains. Les temporalités de la ville sont en effet clairement visibles : l’utilisation d’un espace urbain évolue selon les heures, les jours de la semaine ou même les saisons. Ces divers rythmes sont en fait façonnés par celles et ceux qui habitent les villes, par leurs déplacements, leurs activités, leurs usages, ce qui en fait un phénomène facilement appréhendable. Chacun s’attend à voir du monde dans les transports au moment des heures de pointe ou dans les restaurants aux heures du déjeuner. Bien que des variables telles que la densité urbaine ou l’animation culturelle d’un territoire influent sur la richesse des rythmes urbains, c’est principalement la mobilité qui caractérise ces dynamiques et qui les fait évoluer.

La mobilité et les temporalités urbaines

La notion de mobilité englobe des enjeux liés aux déplacements des urbains et aux transports, mais aussi aux activités, aux localisations, aux proximités. Elle peut être choisie par les usagers, qui ont la liberté d’être à l’initiative de leurs divers parcours. Elle peut également être subie, selon l’aménagement d’un territoire et son organisation spatiale, économique et résidentielle.  Dans les deux cas, la mobilité participe grandement à façonner une certaine cadence, un mouvement aux villes. Les rythmes urbains créés par la mobilité sont d’autant plus structurants pour un territoire qu’ils s’effectuent principalement dans l’espace public, donc dans des lieux accessibles et visibles, voire même souvent audibles, par toutes et tous.

Le trafic automobile, caractérisé par une lente congestion ou à l’inverse par une vitesse effrénée, façonne les voies de circulation urbaines et entraîne de ce fait une certaine rythmique urbaine. Les réseaux de transports en commun, eux aussi, matérialisent diverses temporalités et peuvent devenir une étape longue et déplaisante, ou au contraire être à l’origine d’un gain de temps non négligeable.

Hanoi ©️ Florian Wehde via Unsplash

Hanoi ©️ Florian Wehde via Unsplash

Les mobilités actives enfin se développent, dynamisent les espaces urbains et engendrent un nouvel aménagement durable de nos territoires. Aujourd’hui, l’utilisation croissante du vélo ou de la trottinette réinventent l’organisation des voiries. La marche à pied, quant à elle, est un mode de déplacement qui existe depuis la naissance des villes : autrefois la norme, elle a aujourd’hui un rôle de pacification des rythmes urbains.

La marche incarne aussi toute une palette de modes de vie, de la course irrégulière d’enfants, au pas décidé de jeunes actifs, en passant par le trajet plus lent de personnes âgées. Elle est le reflet de l’organisation spatiale d’un territoire, de marches plus sinueuses et saccadées dans un espace façonné de rues étroites, aux marches fluides et déterminées des grands boulevards. Notre façon de marcher rend visible les rythmes urbains, le mouvement individuel devenant une cadence collective au sein d’un même espace. Dans de grandes villes comme Paris, Munich ou New York, il est par exemple reconnu que les citadines et citadins marchent particulièrement vite et entraînent collectivement un mouvement organisé et rapide dans leur marche.

Les rythmes urbains au ralenti

La majorité des villes sont aujourd’hui caractérisées par leur densité et leur rythme effréné. Contrairement aux espaces ruraux, tout doit être accessible rapidement et facilement. Les citadines et citadins doivent pouvoir se rendre sur leur lieu de travail, d’activités sportives, de vie culturelle, de consommation alimentaire, en un temps record. Cela a notamment permis la rebaptisation de New York en “Ville qui ne dort jamais” ou encore de Paris en “Ville Lumière” puisque toujours éclairée, signe de son mouvement perpétuel. Pourtant, ce constat s’est renforcé de manière conséquente pendant la période de confinement, le rythme des villes tend aujourd’hui à ralentir…

En urbanisme mais aussi dans les mentalités citoyennes et urbaines, nous assistons en effet à un changement de paradigme. Nous opérons progressivement une transition d’un rythme urbain rapide vers un rythme urbain plus lent. Tout d’abord par les nouvelles politiques publiques mises en place depuis quelques années concernant l’impact de l’utilisation de la voiture individuelle sur l’environnement et sur la santé des citadines et citadins. Des villes comme Nantes se sont ainsi engagées dans la réduction du trafic automobile et le ralentissement des voies urbaines. Cela fait maintenant un mois que la ville de Nantes expérimente le passage de la quasi totalité de son territoire en zone 30.

La diminution du trafic automobile entraîne nécessairement le renforcement des réseaux de transports collectifs ainsi que le réaménagement des voiries pour favoriser l’émergence de mobilités actives. Ces modes de déplacement viennent presque naturellement ralentir le rythme des espaces publics, n’étant généralement pas aussi rapides que la voiture individuelle, hormis durant les périodes de congestion automobile. C’est ainsi que l’on parle de pacification.

Un phénomène que l’on a particulièrement observé à l’occasion de la période de confinement qui a mis un arrêt soudain aux rythmes de nombreuses vies urbaines. Ce phénomène a également donné l’impression d’un temps presque suspendu, avec l’arrêt de multiples activités, dont une partie des déplacements pendulaires. Pourtant, ce changement inédit n’a pas été perçu de manière négative par une partie des citoyennes et citoyens. D’ailleurs, selon une enquête réalisée par le centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, ce sont près de 80% des français qui aspirent aujourd’hui à “ralentir leur cadence afin de prendre plus le temps”.

Un ralentissement des rythmes urbains, mais encore ?

Ces nouvelles dynamiques entraînent donc de façon assez immédiate le ralentissement des rythmes urbains, mais pas que ! En effet, en plus de transformer les temporalités urbaines, ces nouvelles organisations spatiales induisent d’autres impacts. La valorisation des mobilités actives, par exemple, agit de manière positive sur la santé physique et morale des urbains. Avec le développement des aménagements urbains favorables au vélo ou à la marche et la réduction des nuisances sonores des voitures, les citadines et citadins bénéficient d’un environnement urbain plus propice à l’accroissement d’activités physiques mais aussi moins stressant au quotidien.

Ferrara ©️ Eugene Zhyvchik via Unsplash

Ferrara ©️ Eugene Zhyvchik via Unsplash

Dans la même logique, la réduction du trafic automobile et le développement de modes de déplacement alternatifs à la voiture participent au développement durable des territoires. Réduction de la pollution, amélioration de la qualité de l’air, diminution des nuisances sonores, fin de la bétonisation des sols sont autant d’aspects bénéfiques qu’engendrent ces nouvelles mesures urbaines.

Enfin, ces nouvelles mobilités facilitent l’émergence, sur de nombreux territoires, d’expérimentations urbaines. À la recherche de nouveaux usages, plus adaptés à l’évolution des modes de vie et à la transition de nos villes, divers actrices et acteurs de la fabrique urbaine agissent aujourd’hui pour développer des solutions innovantes. Des initiatives comme Park(ing) Day en France ou encore comme le réaménagement de la Delancey Street Plaza à New York  permettent ainsi d’investir temporairement un espace public et d’activer de nouveaux usages.

Demain : un nouveau rythme urbain ?

Avec la situation inédite de crise sanitaire que vivons en ce moment-même et qui a profondément modifié les rythmes urbains, nous n’avons pas encore assez de recul pour affirmer si la tendance verra demain la reprise d’une rapidité effrénée en ville, ou si au contraire les dynamiques qu’a engendré le confinement vont finalement se pérenniser.

D’années en années, on assistait à une fragmentation de l’espace, avec d’une part des lieux dédiés à la rapidité, comme les noyaux de transports où transitent quotidiennement biens et personnes et d’autre part, des espaces plus pacifiés dédiés à une temporalité apaisée. Aujourd’hui, un rythme plus lent s’empare de nos villes, y compris d’espaces autrefois dédiés à une circulation rapide, comme par exemple les boulevards. Les urbains manifestent une réelle volonté de retrouver des espaces de vie plus adaptés à leurs aspirations de bien-être et de cadre de vie apaisé. Cette dynamique entraîne également le développement de lieux de sociabilisation et d’espaces publics qui ne sont plus seulement à traverser, mais surtout à investir.

Ce regain d’intérêt pour l’apaisement des espaces urbains s’inscrit dans une tendance de fond qui vient durablement renouveler les rythmes de nos villes. Dans une vision prospective, nous pouvons également nous interroger sur les effets des nouvelles technologies et l’émergence de smart cities sur les temporalités urbaines. Le smart ré-instaurera-t-il une course à la vitesse et à la précipitation, ou au contraire développera-t-il de nouvelles solutions qui permettront de rendre durable l’apaisement et le temps long de nos villes… ?

LDV Studio Urbain
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