Vers des villes frugales et smart ?

9 Nov 2012

Deux visions de la ville de demain semblent s’opposer : d’un côté la « ville smart », bourrée de technologie. De l’autre, la « ville frugale », économe en ressources. Et si ces deux visions étaient enfin réconciliées ?

Songdo City, en Corée du Sud

Songdo City, en Corée du Sud

L’image s’impose à longueur de colloques, de dessins audacieux, d’expérimentations ludiques : la ville de demain sera smart, intelligente car truffée d’électronique. Un cloud au-dessus de nos têtes, des interfaces intelligentes au bout de nos doigts, et des capteurs qui suivent, en tant réel, le pouls de la cité, les déplacements, les émissions de CO2, les activités. Comme un malade branché à des tuyaux – ou un sportif de haut niveau aux performances computerisées en phase d’entraînement.

La ville smart, avant d’être une image sci-fi propice aux rêves les plus fous, constitue déjà un business florissant. Selon le cabinet ABI research (New York), le marché pour des technologies accompagnant les projets de villes intelligentes devrait passer de 8 milliards de dollars en 2010 à près de 40 milliards de dollars en 2016. Un appétissant gâteau, dont les premiers spécimens sont en cuisine un peu partout dans le monde. SmartAmsterdam aux Pays-Bas, PlanIT Valley au Portugal, Masdar City aux Emirats Arabes Unis sont autant de chantiers qui mettent le numérique au cœur de développement urbain avec, à chaque fois, un maître mot au cœur du processus : l’énergie. En Corée du Sud, la ville nouvelle de Songdo City, édifiée en un temps record sur des terres prises sur la mer, au sud d’Incheon, est le plus ambitieux projet urbain depuis Brasilia (1960). 35 milliards de dollars ont été mis sur la table pour générer une « ville ubiquitaire », où la consommation d’énergie est suivie en temps réel, depuis un imposant centre de commandement conçu par la firme américaine Cisco.

Ce futur, smart comme un Iphone, pourrait s’annoncer paisible : et si la technologie sauvait nos cités de la pollution ? Le débat est crucial, en effet : alors que les villes occupent, aujourd’hui, 2% de la surface du globe, elles abritent 50% de la population mondiale, consomment 75% de l’énergie produite et sont à l’origine de 80% des émissions de CO2. À la fois énergivore et principale source de pollution, la ville et ses habitants sont les premiers concernés par le réchauffement climatique. Et l’association entre monitoring numérique et technologies vertes est certainement la promesse de centres urbains sachant gérer le combo déchets/rejets efficacement.

Innovations « sociotechniques »

Des voix viennent pourtant critiquer le super-pouvoir des smart technologies comme solutions miracle aux maux urbains, en invoquant un paradigme tout aussi alléchant : la ville frugale. Développé par l’urbaniste et philosophe Jean Haëntjens dans un essai du même nom, cette ville de l’après-pétrole, dont le nid premier serait l’Europe, a pour objectif de « produire plus de satisfactions avec moins de ressources ». Cela en maîtrisant les coûts énergétiques et les coûts urbains (loyers, carburant, impôts locaux, etc.). D’après lui, la population serait déjà prête à prendre ce virage, tant sont déjà valorisées, aujourd’hui, les notions de santé, de simplicité, de retour à la nature. Une ville adaptée aux problématiques actuelles, en somme, pas un délire futuriste.

Pour les tenants de la ville parcimonieuse, le clash entre ces deux visions – smart vs frugal -, résiderait dans le coût inaccessible de la ville high-tech. Des technologies qui, par ailleurs, font souvent poindre la crainte d’un flicage global, une sorte de big brother appliqué à l’urbanisme, réduisant les citoyens à l’état de consommateurs reluqués en tant réel, dans leurs déplacements comme dans leurs activités, au bénéfice d’une gestion métropolitaine rationnalisée, centralisée. Ce qui importerait ne serait pas tant le déploiement d’innovations, tel un catalogue high-tech, mais bien l’usage fait de ces nouveautés technologiques par les habitants. La ville économe s’invente aussi dans ce que Haëntjens nomme les innovations « sociotechniques » : l’amélioration des usages, l’appropriation nouvelle de l’espace et des activités productives (un peu à la manière du Vélib’ à Paris). Bref, des mariages technologiques permettant de mieux vivre la ville et de contrôler ses dépenses énergétiques.

Car oui, même d’un point de vue « frugal », le smart est à la base de l’économie d’énergie. Pas seulement pour après-demain mais dès aujourd’hui, en faisant preuve d’utilité concrète. Réduire les fuites dans les réseaux d’eau, ajuster l’éclairage public, fluidifier le trafic : les enjeux sont nombreux et influent directement sur l’empreinte carbone du centre urbain et de chaque citoyen.

Rendre la technologie transparente

La sociologue américaine Saskia Sassen s’alarme devant le glissement incontrôlé vers la ville smart, ultra-digitale : « Quand on parle de villes intelligentes, le problème est que bien souvent on évoque des systèmes techniques qui désurbanisent la ville. Nous devons travailler à urbaniser les technologies plutôt que d’utiliser des technologies qui désurbanisent la ville. Les technologies déployées dans la ville doivent être adaptables… La ville doit pouvoir être hackée. Sinon, nous risquons de tuer les capacités d’adaptation qui ont fait sa force à travers les siècles. »

Hacker la ville ? Le commandement peut paraître surprenant. Il fait pourtant le lien entre les potentialités high-tech pour améliorer l’empreinte carbone dans la vie de tous les jours, et la nécessité pour les citoyens de rester maîtres de l’espace urbain, d’être les éléments moteurs de la cité économe. Ne pas laisser la high-tech façonner une ville froide et totalitaire, mais accompagner, en acteurs impliqués, les changements de mode de vie. La technologie doit être utile, et utilisée, pour favoriser l’émergence d’une « ville allégée », comme la conçoit la Fing (Fondation internat nouvelle génération) dans ses enthousiasmants travaux.

Comme le souligne Olivier Mongin, dans La Condition urbaine (Seuil, 2005), les caractéristiques techniques et les possibilités technologiques d’une cité ne suffisent pas à constituer une ville. Une coquille high-tech n’est rien sans les interactions, échanges et contestations entre les populations différentes qui la peuplent, lui donnent son dynamisme, la font évoluer – bien mieux que par le truchement des versions améliorées des logiciels de monitoring. Du smart, certes, mais pas en considérant la ville comme une simple entité fonctionnelle, voire interchangeable. Prendre en compte les caractères, l’histoire, la personnalité des espaces. Mettre en valeur le local.

Comme l’expose encore Saskia Sassen, il faudrait que les fils soient visible partout, pour faire en sorte que les flux d’informations, les « yeux » de la ville soient compris par les citoyens. Mettre en place un « espace heuristique ». Rendre l’intelligence transparente. Faire exploser la boîte noire du contrôle, mettre Big Brother à nu. Car la logique de l’ingénieur n’est pas toujours celle du citoyen. Il faut laisser la place aux rencontres, à l’imprévu, à la mixité. Imaginer une agora digitale pour soutenir les bonnes pratiques environnementales, et les échanges. La ville smart et économe ne méritera ce qualificatif que si elle est co-créée par ses habitants. En bonne intelligence.

Dans le scénario d’une ville « smart », seriez-vous prêt à laisser
des pouvoirs accrus à des « centres de commandement »
gérant les données des citoyens ?

Liens :

smartcity.fr
smartgrids-cre.fr
fing.org

Bibliographie sélective :

Jean Haentjens, Urbatopies (L’Aube), 2010
Jean Haentjens, La ville frugale (FYP), 2012
Daniel Kaplan (dir.), La ville 2.0, plateforme d’innovation ouverte (FYP), 2009
Olivier Mongin, La condition urbaine : la ville à l’heure de la mondialisation, (Points) 2007

 

Usbek & Rica
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Vos réactions

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14 décembre 2012

Very energetic article, I loved that bit. Will there be a part 2?

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