Vers de nouvelles formes pour nos villes ?

8 Sep 2021 | Lecture 4 min

L’organisation de nos villes, leurs formes urbaines et spatiales, ne sont pas neutres. Elles traduisent des modèles urbains pensés pour permettre une optimisation des villes et sont associées parfois à un idéal conceptuel.

D’ailleurs, le modèle de la ville durable s’est fortement diffusé avec l’avènement des enjeux de développement durable, comme une réponse clé à ces derniers. Est-ce toujours le cas ? Assistons-nous à des changements dans notre manière de penser les formes urbaines ? Quelles sont les évolutions futures de nos territoires ?

La forme des villes : chercher à atteindre un modèle urbain idéal

Dès les débuts de la sédentarisation de l’espèce humaine, les hommes ont bâti des villes sous des formes spécifiques leur permettant ainsi d’organiser la vie de la cité. En lien constant avec l’environnement dans lequel elles s’implantent, les formes des villes varient en fonction de la géographie des sites, de leur proximité avec des zones dangereuses, mais aussi du rôle qui leur est conféré, qu’il soit marchand ou défensif par exemple.

Il existe donc autant de morphologies que de villes. Cependant, de grandes familles peuvent se dessiner. Les périodes historiques successives ont largement influencé la transformation des villes, leur attribuant des rôles évolutifs permettant de répondre aux aspirations contemporaines de chaque époque, pour tendre vers un modèle urbain idéal. Par exemple, la période du Moyen-âge, en plus du rôle défensif qui est largement dominant depuis la création des premières villes, amène avec elle de nouvelles formes spatiales. Elles viennent notamment structurer l’organisation sociale des villes avec, au  centre, le donjon qui abrite le Seigneur, dominant alors ses vassaux. Pendant la Renaissance, c’est la recherche d’un idéal qui guide ainsi les concepteurs de villes. De la Città ideale d’Urbino, à la ville idéale de Romorantin de Leonardo Da Vinci, les exemples sont nombreux. Chacun de ces projets de ville souligne l’importance d’une esthétique soignée, dictée par des notions mathématiques qui structurent les espaces et les architectures, cherchant à se rapprocher d’un idéal de perfection.

La Saline royale d’Arc-et-Senan est le symbole d’un idéal social et de travail ©Ortillebis sur Flickr

La Saline royale d’Arc-et-Senan est le symbole d’un idéal social et de travail ©Ortillebis sur Flickr

À la fin du XVIIIème siècle, le dessin des nouvelles villes se concentre sur la réponse à un certain idéal social et organisationnel. La Saline Royale d’Arc-et-Senan, construite par l’architecte Claude Nicolas LEDOUX en est un parfait exemple. Sa forme circulaire permet de mettre en place à la fois une égalité sociale entre les différents ouvriers travaillant dans la Saline, logés à la même enseigne et ayant accès aux mêmes droits, mais aussi l’organisation au sein du site des différentes tâches de travail pour le traitement du sel récoltés.

Les différentes avancées sociales et sanitaires qui bousculent le XIXème siècle sont l’occasion pour les aménageurs des villes de venir transformer leur forme, spatiale et organisationnelle, afin d’y réduire les nuisances. On pense bien évidemment au Baron Haussmann, qui par la création de larges avenues au détriment de la forme historique des faubourgs, transforme le visage de la capitale. Entre ordre social et principes hygiénistes, les idéaux portés à l’époque par le pouvoir marquent ainsi profondément l’aspect des villes et modèlent le visage de l’urbanité selon leurs critères.

Les progrès techniques, accélérés par l’ère industrielle, vont, au courant du XXème siècle, transformer largement les villes qui vont peu à peu s’adapter à la voiture. Les formes évoluent pour laisser place à des avenues où les véhicules peuvent se croiser et se garer, à des parkings près des lieux de consommation, de divertissement, souvent reculés des centres villes. Apparaît alors la ville fonctionnelle : chaque espace est pensé pour un usage spécifique, dormir, travailler, se divertir ou encore consommer, ce qui permet à tous d’accéder à l’ensemble des usages des villes.

Le développement durable : une nouvelle forme urbaine ?

Mais depuis le début du XXIème siècle, la ville sous sa forme fonctionnelle a prouvé ses limites. L’apparition de la notion de développement durable dans l’aménagement des villes vient requestionner le modèle et la forme de la ville fonctionnelle, dont l’étalement urbain est le principe clé. L’idée est alors de venir créer de nouvelles réponses spatiales, permettant de construire durablement, en diminuant peu à peu la place des véhicules polluants, et laissant plus de place à la nature dans les espaces bâtis.

Depuis toujours, certains penseurs ont cherché à conjuguer urbanisation et nature avec la création de formes urbaines spécifiques, dont la plus connue est la Garden-City de Howard. Ce modèle urbain, développé en Angleterre dans les années 1900, cherche à créer une ville dont la forme et son organisation permettraient à ses habitants de profiter d’un espace bâti noyé de verdure tout en proposant l’ensemble des fonctionnalités d’une ville. Quelques villes, en Angleterre mais aussi en France (dont la cité-jardin de Stains ou de Drancy), sont nées  de ce modèle, apportant alors de nouvelles réalités spatiales et architecturales.

 

Quartier Vauban, un des premiers écoquartier, dans la ville allemande de Fribourg-en-Brisgau. ©wikipedia

Quartier Vauban, un des premiers écoquartier, dans la ville allemande de Fribourg-en-Brisgau. ©wikipedia

De nos jours, et depuis une vingtaine d’années, le modèle idéal d’un lien fort entre nature et urbanisation s’exprime sous une nouvelle forme, celle de l’écoquartier. Ces nouveaux quartiers, aux principes de développement durable, adoptent des formes communes que ce soient en termes d’aménagement et d’architecture. Prenant en compte de nouveaux objectifs environnementaux, en vue de réduire leur impact et l’étalement des villes, les écoquartiers initient de nouvelles approches et formes architecturales, mêlant rapport à la nature, espace de vie confortable et densification. L’objectif est d’attirer les habitants en quête de nature, dans des contextes déjà urbanisés, afin d’éviter le mitage pavillonnaire.

Aussi, c’est tout un concept de circularité qui s’enclenche, dessinant des modèles urbains intégrant avec eux une réflexion globale sur les flux, tels que l’énergie, l’eau, les mobilités. On imagine des quartiers autosuffisants, avec par exemple, le développement de réseaux de chaleur, d’autoconsommation énergétique avec l’installation de panneaux solaires, et de circuits de récupération des eaux de pluies. Pour permettre cela, de nouvelles manières d’organiser l’espace se dessinent, jouant avec les contraintes et les opportunités induites par l’intégration de ces enjeux écologiques. C’est aussi des quartiers sans voiture qui se concrétisent, initiant un renouvellement du rapport à l’espace public. Cette logique s’installe progressivement dans la conception des villes, impulsant de nouvelles formes, favorisant le développement d’usages plus apaisés et réduisant considérablement la place de la voiture.

Des formes de ville de plus en plus flexibles ?

Les crises climatiques, sanitaires et sociales qui ont secoué notre société ces dernières années, nous poussent à repenser constamment la forme de nos villes pour les adapter à l’ensemble des enjeux de notre monde contemporain, toujours plus complexes, de notre monde contemporain. La notion de résilience des espaces urbains et le développement d’usages alternatifs, vecteurs de vivre-ensemble, vont certainement guider l’aménagement futur des villes. Mais alors, quelles formes vont prendre les villes de demain ?

Les réflexions autour des performances énergétiques et thermiques des bâtiments et des îlots forcent alors à réadapter les formes traditionnelles des villes. D’îlots fermés et artificiels, on cherche désormais à produire des îlots ouverts, permettant d’optimiser l’apport en lumière naturelle, notamment en hiver, et faire circuler l’air, pour rafraîchir en été. Les cœurs d’îlots sont végétalisés pour permettre une meilleure gestion des eaux pluviales et ainsi éviter les inondations lors de fortes pluies, mais aussi contrer l’effet d’îlot de chaleur, symptômes de la mauvaise gestion thermique des villes. Des principes ancestraux peu à peu effacés par l’avènement de la ville moderne auxquels les concepteurs des villes redonnent du sens. Un bref aperçu des évolutions en cours, preuve d’une adaptation rythmée par les différents arbitrages sans cesse en renouvellement.

 

Principe d’îlot ouvert de l’Atelier Christian Portzamparc ©wikipedia

Principe d’îlot ouvert de l’Atelier Christian Portzamparc ©wikipedia

Il semblerait alors que les formes tendent à se diversifier à petites échelles, du bâtiment à l’îlot mais pas forcément à l’échelle de la ville tout entière. En effet, le début du XXIème siècle marque la prise de conscience de l’impact de l’aménagement urbain sur la santé de la planète. Il est désormais souhaitable de limiter l’étalement urbain, engendrant l’artificialisation de sols fertiles. Face à ce phénomène, les formes de villes ne se sont pas réinventées, mais tendent à se complexifier. De nouveaux critères entrent ainsi en compte, sur la qualité des usages, des questions temporelles ou encore des densités des interactions.

Ainsi, friches et espaces sont réinvestis par des acteurs variés de la fabrique urbaine. Que ce soit pour quelques mois, grâce à un urbanisme temporaire, ou alors de manière plus pérenne par une redéfinition de leurs usages. La question des différentes temporalités de la ville est elle aussi mise sur le devant de la scène. On cherche désormais à diversifier les usages dans l’espace mais aussi dans le temps. Ainsi, un bâtiment peut accueillir différentes fonctions au fil de la journée et de la nuit, mais aussi entre la semaine et le week-end, ou encore en période d’activité ou de vacances.

Plus que par des changements de forme, les nouveaux idéaux de résilience des villes contemporaines se traduisent par de nouveaux modèles et modes de faire. Expérimentations, urbanisme alternatif et temporel, viennent ainsi forger à leur image la ville de demain, preuve en est : les 47ème rencontre de la FNAU, la fédération des agences d’urbanisme, a eu pour thème “La forme des villes en 2040”, de quoi intéresser l’ensemble de la profession à cette thématique. En attendant 2040, une chose est sûre, d’un cadre spatial hérité, il s’agit maintenant de penser de nouvelles pratiques qui pourront adapter la ville aux enjeux futurs et, qui sait à terme, venir créer de nouvelles formes urbaines.

LDV Studio Urbain
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