Qu’apprenons-nous de Växjö, « la ville la plus verte d’Europe » ?

La ville de Växjö, l’alliance entre modernité et tradition pour une transition écologique réussie
12 Mar 2019

Installée en bordure d’une vaste étendue forestière, la petite ville de Växjö située au Sud de la Suède apparaît incontestablement comme une ville pionnière en matière de développement durable.

En une trentaine d’années, Växjö a réussi l’ambitieux qu’elle s’était fixé, celui de réduire ses émissions de gaz à effets de serre de manière considérable. À l’heure où les effets du réchauffement climatique sont de plus en plus visibles dans notre quotidien, et où une réelle prise de conscience des enjeux écologiques devient nécessaire, la ville de Växjö nous prouve qu’il est déjà possible d’atteindre les objectifs fixés par la COP 21, qu’environ 200 pays ont signé dans le but d’éliminer toutes émissions de gaz à effet de serre entre 2050 et 2100.

Dans un monde qui peine à prendre le virage radical et prometteur qu’a décidé d’emprunter Växjö, quels enseignements pouvons-nous tirer de cette ville moyenne de 60 000 habitants engagée dans une transition écologique certaine ?

La ville de Växjö, l’alliance entre modernité et tradition pour une transition écologique réussie

La ville de Växjö, l’alliance entre modernité et tradition pour une transition écologique réussie ©Mats Samuelsson/Växjö kommun

Un déclic écologique qui engendre trente ans de politiques durables

C’est dans les années 1970 que la ville de Växjö opère une réelle prise de conscience écologique. Dans une époque où les préoccupations climatiques n’étaient pas encore d’actualité, la ville établit un constat : le fort développement industriel et agricole de la région au cours du 20ème siècle a pollué l’ensemble de ses sites. Les effets sont alors visibles, avec par exemple le dégel des lacs voisins qui dévoile un désastre écologique d’ampleur pour la région. De plus, la pollution de leurs eaux a un impact alarmant sur la faune et la flore locales. En réaction, les premières actions sont entreprises par les pouvoirs politiques locaux avec une volonté ambitieuse, celle de s’affranchir des énergies fossiles dans le but de faire complètement disparaître les émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité urbaine.

Cet éveil sur les problématiques environnementales va être le déclencheur et le moteur de trente ans de mise en pratique de politiques d’aménagement durable dont les résultats sont visibles de manière considérable aujourd’hui, puisque de 1993 à 2016 les émissions de dioxyde de carbone de la ville sont réduites de 58 % (soit un passage de 4,5 tonnes à 1,9 tonne par habitant par an). Un bilan contraire aux tendances internationales où l’on atteint un record avec 5 tonnes d’émissions par habitants par an.

Les efforts fournis et les résultats obtenus par la ville de Växjö s’inscrivent plus largement dans une dynamique nationale. En effet, depuis le 1er Janvier 2019, la Suède a adopté une loi climatique ambitieuse dont le but est de contraindre les secteurs de l’industrie, de l’agriculture et des transports à des mesures écologiques sévères pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2045. Le pays possède également la taxe carbone la plus élevée du monde avec un prix de 147€ par tonne de carburant contre seulement 44,6€ en France. D’après le rapport “Energy Transition Index 2018” réalisé par WEforum, ces mesures volontaristes classent la Suède en tête des 114 pays référencés pour leur progression dans la transition énergétique. La France y apparaît en 9ème position, avec une moyenne d’émission de 4,5 tonnes de CO2 par habitant, soit un résultat 2 fois plus élevé que pour la ville de Växjö.

Les résultats spectaculaires de Växjö lui offrent le statut de ville pionnière pour ses politiques énergétiques vertueuses, et une reconnaissance européenne en terme d’innovation écologique. D’ailleurs, elle s’est vue attribuer en 2007 le prix européen de l’énergie durable, grâce à l’innovation de ses infrastructures et ses travaux sur la recherche de bio-carburant. Un prix qui vise à récompenser les villes qui réfléchissent et mettent en place des avancées majeures en faveur des énergies renouvelables.

Des infrastructures ambitieuses et innovantes au service d’une ville durable

Le succès des politiques énergétiques mises en place est largement dû à la construction d’infrastructures ambitieuses. Dès 1980, suite aux conséquences du choc pétrolier des années 70, la ville se dote d’une centrale électrique biomasse bois afin de pallier à ses besoins énergétiques. Alimentée par les déchets issus de l’exploitation forestière locale, la centrale alimente aujourd’hui 90% des habitants en chauffage et eau chaude. Les propriétaires des forêts environnantes, en fournissant à la centrale les branchages, sciures de bois et écorces des arbres à la centrale, obtiennent des revenus supplémentaires. Les déchets sont ensuite brûlés et la vapeur d’eau, récoltée lors de la combustion actionne une turbine reliée à un alternateur électrique. Les émissions de CO2, libérées par la combustion du bois sont compensées par la municipalité en plantant de nouveaux arbres.

Dans une logique de production d’énergies vertes, la ville a peu à peu doté ses infrastructures de solutions écologiques : l’université locale est chauffée aux granulés bois, et la piscine municipale par un système de panneaux solaires performants. Elle s’est de plus engagée dans la rénovation thermique de ses bâtiments les plus anciens et dans la construction de logements à hautes performances énergétiques en imposant des consommations maximales au m2 afin d’obtenir une consommation énergétique de 30 à 40 % inférieure à la législation nationale. L’utilisation du bois est hautement privilégiée dans la construction de nouveaux logements et équipements, la municipalité s’est d’ailleurs obligée à ériger 50% de ses bâtiments municipaux en bois d’ici 2020.

Future gare de la ville et de l’hôtel de ville, une construction écologique en bois répondant à la plus haute certification environnementale suédoise

Future gare de la ville et de l’hôtel de ville, une construction écologique en bois répondant à la plus haute certification environnementale suédoise ©Tegmark

Väjxö s’est également positionnée sur les questions d’aménagement et de transports en faveur d’une amélioration de leurs impacts écologiques : l’ensemble du réseau de transports s’est développé et désormais les transports en commun fonctionnent au biogaz produit par le recyclage des déchets organiques des habitants. Une utilisation de biocarburant pour les transports en commun qui n’est pas un cas unique en Europe. En effet, de plus en plus de municipalités s’inscrivent dans des dynamiques de transition écologique pour leurs transports publics. Ainsi, en France, même si les efforts sont moins importants, certaines villes engagent ce type de démarche, comme Paris où la RATP souhaite remplacer l’ensemble de ces bus par des véhicules roulants au bio-carburant. La transition reste cependant complexe à mener à cause du coût de production de ces derniers.

De plus, en une trentaine d’années, la ville de Väjxö a fait le choix de se doter de 150 km de pistes cyclables et a également modifié ses règles d’urbanisme en limitant le nombre de places de parking dans le but d’inciter ses habitants à l’utilisation de modes de transports doux.

Une sensibilisation des habitants aux enjeux écologiques par l’intelligence des dispositifs engagés

La réussite de la transition écologique qu’a entrepris la ville depuis les années 1970 ne peut s’expliquer sans les politiques de sensibilisation et d’incitation mises en place par les différents décideurs politiques. Les villes moyennes comme Växjö se confrontent souvent à des difficultés pour réduire le nombre d’utilisateurs des véhicules polluants. Et cela s’explique souvent car l’étalement urbain, souvent caractéristique de ces villes, augmente considérablement les distances entre les différents lieux des villes. L’utilisation de la voiture reste le mode déplacement le plus privilégié par les habitants des villes moyennes, avec en France une utilisation de la voiture qui représente encore 70% des déplacements d’après un rapport de l’enquête Déplacement-Villes Moyennes du CEREMA réalisée en 2012. La dépendance aux véhicules polluants par les habitants des villes moyennes s’est construite peu à peu au fil du temps. Elle oblige aujourd’hui les municipalités à mettre en place des réelles solutions incitatives pour permettre aux habitants de comprendre les enjeux qui découlent d’une transition écologique en matière de mobilité et d’intégrer dans leur pratique quotidienne des solutions alternatives à la voiture individuelle.

Même si à Växjö seul un foyer sur deux possède une voiture, la ville n’échappe pas à cette dépendance des habitants aux modes de transports polluants. Ainsi, Anna Tente, actuelle mairesse de la ville, explique que l’un des enjeux majeurs de ses politiques écologiques est donc bien la prise de conscience des habitants de la nécessaire utilisation des modes de déplacements doux.  Le changement des comportements et habitudes des habitants apparaît comme l’un des plus gros challenges, car, même si la municipalité fournit aux usagers des alternatives aux mobilités polluantes, chacun est libre de les utiliser ou non.

Les habitants de la ville sont ainsi incités à acheter des véhicules écologiques grâce à des aides financières qui leur donnent accès au stationnement gratuit en ville; les fonctionnaires disposent d’un vélo gratuit pour aller au travail; des subventions sont distribuées pour l’installation de panneaux solaires sur les maisons; et, plus insolite, les pistes cyclables sont déneigées avant le réseau routier. Ces politiques incitatives sont souvent accompagnées de rétribution financière dans le but de favoriser les modes de vie écologiques et d’encourager les plus récalcitrants à opter pour les solutions vertueuses, comme l’explique Franck Bo, président du conseil municipal : « Nous avons dû mettre en place une forte augmentation des taxes sur les énergies fossiles et une réduction des taxes sur tous les types d’énergies renouvelables ».

L’application de telles solutions incitatives dans le cas français reste cependant plus compliquée à mettre en place. Comme l’illustre Greta Thunberg, jeune suédoise de 16 ans, et militante écologique à l’initiative du mouvement de la jeunesse pour le climat, la Suède sensibilise ses habitants dès le plus jeune âge aux enjeux environnementaux. Les suédois sont plus vite éduqués aux gestes et pratiques écologiques, ce qui facilite l’acceptation et le respect des politiques écologiques mises en place par le gouvernement. L’application de ces politiques dans d’autres pays d’Europe, et notamment en France, prennent plus de temps à être intégrer dans les pratiques quotidiennes, notamment car les populations sont moins sensibles à ces enjeux environnementaux.

Redynamiser les villes moyennes grâce à la transition écologique

Le cas de la ville de Växjö apparaît donc aujourd’hui comme un modèle en termes de transition écologique. Mais comment peut-on expliquer un tel décalage entre Växjö et la majorité de nos villes moyennes françaises ? Victimes d’un développement urbanistique anarchique sans réelle anticipation, les villes moyennes françaises (dans lesquelles vivent 23% de la population nationale) sont actuellement en difficulté : dévitalisation des centres-bourgs, présence d’inégalités sociales (82 % des villes moyennes ont un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale), et vectrices d’un fort impact écologique habitant (dépendance aux véhicules polluants, mauvaise isolation thermique de l’habitat).

Pourtant, elles apparaissent aux yeux des habitants comme un cadre de vie agréable de par leur taille et les modes de vie qu’elles proposent. Il existe donc de véritables enjeux de redynamisation de ces villes, et comme l’a prouvé le cas de la ville de Växjö, la transition écologique pourrait être un levier efficace. Dans un premier temps, modifier les modes de production énergétique vers des modes de production d’énergies vertes permet la création d’emplois.

C’est le cas de la ville de Decazeville (Aveyron) qui a vu dans un ancien site industriel pollué un fort potentiel : l’opportunité d’installer une ferme à panneaux solaires permettant d’alimenter l’ensemble de la ville en énergie verte. Outre les bienfaits écologiques qu’a apporté cette installation, elle a également permis la création d’emplois locaux pour l’exploitation et sa maintenance, ainsi que l’attraction de travailleurs qualifiés disposant d’un fort pouvoir d’achat, souvent peu présents dans les villes moyennes.

Certaines villes moyennes se saisissent également des questions de mobilités pour réfléchir à une approche plus respectueuse de leur territoire qui se révèle également porteuse de dynamisme pour la ville. Par exemple, la ville d’Angers a entrepris, depuis 2017, la transformation d’une ancienne ligne ferroviaire, reliant Angers à Montreuil-Juigné situé dans son aire urbaine, en une nouvelle voie verte. Ce sont donc, jusqu’en 2020, 9,2 km qui seront ouverts et dédiés aux mobilités douces. Un projet qui s’inscrit dans une volonté plus globale portée par la municipalité : celle d’établir un véritable maillage du territoire pour favoriser les déplacements respectueux de l’environnement (vélo, marche à pied…). L’aménagement de ce maillage apparaît également pour la ville comme un véritable attrait touristique, puisque la majorité des sites d’exception (Val de Loire classé à l’Unesco notamment) seront accessibles depuis le centre-ville en vélo, ce qui permettra à la ville d’attirer de nouveaux visiteurs.

L’ancienne voie de chemin de fer réhabilitée en piste cyclable à Angers

L’ancienne voie de chemin de fer réhabilitée en piste cyclable à Angers ©angersloiremetropole.fr

Portées par les villes moyennes, ces initiatives se voient aidées, depuis mars 2018, par un programme national “Action en coeur de ville”. Ce programme, lancé par le ministère de la Cohésion des territoires, vise à aider 222 villes moyennes françaises dans leur processus de revitalisation sur 5 ans. D’ailleurs, l’un des axes portés par le programme porte sur les enjeux de transition écologique de ces villes. Par le développement économique durable et local, notamment en terme de développement des commerces dans leurs centres-villes, de transformation de leur agriculture avec la production de circuits-courts, mais aussi la rénovation du patrimoine bâti, ces villes moyennes accèdent également à la création d’emplois locaux et à l’augmentation de leur attractivité. La transformation des centres-villes rapproche les services essentiels des habitants et améliore une qualité de vie de proximité, un élément essentiel pour la vie de ces villes, mais qui permet aussi une réduction des émissions de CO2.

La ville moyenne, un terrain d’expérimentation pour la transition écologique urbaine

Les municipalités ont donc un rôle clé à jouer dans l’aménagement durable de leur territoire. Elles se doivent de penser globalement leur transition écologique que ce soit d’un point de vue des mobilités, de l’énergie, de l’immobilier, etc. C’est grâce à la mise en place d’offres alternatives que les habitants pourront pratiquer la ville de façon plus respectueuse pour l’environnement.

Finalement la ville moyenne offre un large potentiel dans l’expérimentation. Sa taille à échelle “humaine” permet tout d’abord de faciliter la mise en place de telles initiatives. En effet, contrairement aux grandes villes où les processus décisionnels sont souvent plus longs et fastidieux, sa taille permet une mobilisation habitante plus simplifiée et efficace pour soutenir des actions locales solidaires et écologiques.

Mais plus qu’un terrain d’expérimentation optimale, les modes de vie des habitants de  nos villes moyennes françaises restent, involontairement, un frein à la transition écologique. Comme le montre le cas de la ville de Växjö, l’un des enjeux premiers est donc bien la sensibilisation et la mise en place de politiques incitatives pour aider à la transformation des modes de vie et habitudes de ses habitants.

De nombreuses expérimentations innovantes en faveur d’une transition écologique sont déjà mises en place, et font leur preuve dans nos villes françaises. C’est donc bien par la créativité et la prise de risques dans l’imagination d’aménagements innovants, portées par une volonté politique forte, que les municipalités pourront peu à peu miser sur une réelle redynamisation certaine de leur ville. La place de la voiture dans ces villes est à requestionner, en proposant le développement de modes de déplacement doux (aménagement de pistes cyclables, amélioration des transports en commun..), mais également en l’incluant dans des réflexions plus globales de logique de transport (liaison entre les différents modes de transports, création de parking relais…). La question de l’énergie, à l’échelle du territoire, peut également être un bon levier dans la dynamisation de la ville. Le développement de solutions ingénieuses et écologiques est souvent porteur d’emplois et d’attractivité pour la ville (installation d’infrastructures énergétiques respectueuses de l’environnement comme des chaufferies biomasse ou des panneaux solaires, création d’une économie circulaire sur la question du traitement des déchets).

D’ailleurs, différents outils existent aujourd’hui en France pour mettre à bien des plans d’actions transversaux de développement durable qui structurent des synergies cohérentes et impliquent divers acteurs locaux pouvant agir sur ces questions. Depuis la COP 21, ces derniers ont été réactivés, notamment les Agenda 21, mais également les PCAET (plan climat air énergie territorial) désormais obligatoires pour les villes de plus de 20 000 habitants, qui permettent de mener une politique de développement durable complémentaire aux mesures prises en termes d’aménagement du territoire. Leur avantage est de s’appuyer sur les différents acteurs locaux et d’impulser une mobilisation de ceux-ci, afin d’atteindre des objectifs ajustés en amont qui ont été établis en concertation.

Véritable levier pour poursuivre des dynamiques territoriales en cours, comment rendre ces dispositifs plus pertinents et influents ? Leur démarche révèle en tout cas le rôle à jouer des acteurs locaux qui portent les initiatives et qui font émerger, en travaillant ensemble, des solutions durables pour les territoires. Car le défi est de taille et les villes se doivent d’être à la hauteur en inspirant l’exemple, mais aussi en devenant des guides efficaces qui sauront impulser ces changements pour des territoires et prendre le train de la transition. Les villes moyennes sont également confrontées à un enjeu essentiel, celui de se réinventer. Elles pourraient bien imaginer de nouveaux modèles urbains, mais aussi de gouvernance, qui deviendront demain des exemples à suivre !

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