Un guide pratique pour les mobilités bas carbone

Le convoi inaugural de la ligne E du tramway de Grenoble en juin 2014 - Wikipédia
10 Avr 2020 | Lecture 5 minutes

Comment mettre en place une politique de mobilité bas carbone ? Sans méthode claire et sans moyens pour lutter contre l’automobile, les collectivités peuvent parfois tâtonner et prendre des mesures contre productives. Pour les accompagner, le think tank Shift Project a produit un guide pratique à partir de l’étude de cinq cas concrets en France.

 

Accompagner les collectivités

Il est de plus en plus clair pour les collectivités que le modèle tout voiture n’est plus adapté à la crise environnementale et sociale, pourtant nombre d’entre elles se trouvent démunies lorsqu’il s’agit de prendre des mesures concrètes pour favoriser la transition vers les mobilités décarbonées. Partant de ce constat, le think tank Shift Project « qui oeuvre en faveur d’une économie libérée de la contrainte carbone » a publié début février un guide pratique visant à donner des clés opérationnelles de mise en marche de cette transition. 

Si la voiture est aussi incontournable dans nos sociétés, c’est parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un véhicule, mais bien d’un système complet composé des infrastructures, des services, de la fiscalité et d’un imaginaire puissant, construit depuis des décennies par des campagnes publicitaires. L’alternative doit nécessairement s’appuyer sur un système aussi abouti, où les véhicules, les infrastructures, les services, la fiscalité, et l’imaginaire « font système ». 

Toute la philosophie du rapport est de développer un système qui viendrait remplacer l’actuel. Il faut pour cela penser les mesures les unes par rapport aux autres, les lier et les compenser. 

Centrer sur l’utilisateur

Laura Foglia, consultante indépendante en politiques des mobilités et en charge de l’étude du Shift Project détaille ce propos : « C’est important parce que jusqu’à la fin du XXème, on pensait en terme de transports. C’est à dire qu’on pensait à la production de moyens et d’offre. Chaque opérateur produisait une offre (la RATP du transport urbain, la SNCF du ferroviaire…) et on voyait ensuite comment l’utilisateur se l’appropriait. Aujourd’hui, on pense en terme de mobilité. On réfléchit à comment se déplacent les citoyens, on s’adapte en fonction de leurs besoins. Le changement sémantique est important, il accompagne un changement de perspective et d’imaginaire ».

En effet, la mobilité est centrée sur l’utilisateur et sa pratique. Au lieu d’envisager un usager à partir du moment où il monte dans un bus par exemple, on voit déjà comment il y accède. À pieds ? Exit les Abribus perdus en rase campagne, sans trottoir ni information. En vélo ? Peut-on accrocher un vélo à proximité de l’arrêt de bus ? Peut-on monter avec un vélo dans le bus ? Ainsi, la mobilité n’est plus centrée sur le service de transport, mais le trajet de porte-à-porte, dans la continuité. Cela implique nécessairement la question de l’intermodalité, c’est à dire l’utilisation de plusieurs modes de transports pendant le trajet.

À l'échelle du Grand-Ouest, la plateforme OuestGo propose du covoiturage dans près de 40 intercommunalités

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Une LOM mal lotie

Justement, la loi d’orientation des mobilités (LOM) promulguée en décembre 2019 acte dans le Code des Transports le changement sémantique de « transports » à « mobilités ». Comme le raconte Laura Foglia, l’idée même d’élaborer un guide à destination des collectivités se veut comme un prolongement de la loi LOM. « On voyait de plus en plus se profiler le fait que la loi d’orientation laisserait beaucoup de marge de manœuvre aux collectivités. Il fallait apporter des solutions concrètes aux collectivités locales ». 

En tant que loi cadre, celle-ci doit définir les grands principes de la stratégie nationale. Elle met à jour la loi cadre précédente, en l’occurrence la loi LOTI dont le règne a duré près de 40 ans. C’est donc un texte majeur qui va marquer durablement les mobilités françaises. Parmi les défis à relever, la LOM identifie « le manque de solutions de nombreux territoires » qui sont comme « assignés à résidence », mais aussi l’urgence climatique et « les impasses d’une politique d’infrastructures tournée vers les grands projets ». Elle se veut ambitieuse et appelle ni plus ni moins à une « révolution des pratiques ».

Efficacité socio-environnementale

« On a commencé à travailler sur ce sujet un peu au flair, à l’été 2018, à partir de ce qu’on a ressenti sur le terrain. Rapidement l’actualité a confirmé nos intuitions ». En effet, quelques mois plus tard, lorsque le texte de loi est présenté en conseil des ministres, le Shift Project s’inquiète que la loi manque ses objectifs. Au même moment, le mouvement des gilets jaunes s’inaugure autour de la taxe carbone sur les carburants. Cette juxtaposition d’événements confirme soudain l’utilité d’un tel guide. « Le mouvement des gilets jaunes nous a permis de peaufiner notre positionnement, notamment sur le fait que la dépendance énergétique au pétrole fragilise l’économie des ménages » observe Laura Foglia.

En charge de la planification des mobilités, les autorités organisatrices (AOM) sont représentantes de la puissance publique : elles définissent les tarifs, les objectifs et les missions de service public. Des lignes peu rentables pour l’exploitant peuvent être maintenues par l’AOM au titre qu’elles desservent des secteurs défavorisés ou qui font l’objet d’une politique de la ville. Les AOM veillent ainsi à l’efficacité des investissements dans la poursuite des objectifs poursuivis. Laura Foglia parle non pas de rentabilité financière, mais de rentabilité socio-environnementale.

Si j’investis un euro dans ce mode de transport, la question est : combien de personnes vont l’utiliser, et combien vont passer de la voiture en solo à ce mode plus sobre ?

Urbanisme et transport

Du doigt, les AOM touchent donc à la planification urbaine. Faire ce lien entre urbanisme et mobilités est un point central du rapport, mais dont il peine à contenir tous les enjeux. Faut-il relier en transports des zones peu denses quitte à contribuer à terme à l’étalement urbain ? Comment appréhender la question foncière ? Certaines questions restent difficile à arbitrer. À Grenoble, les travaux de la ligne E de tramway ont donné naissance à la charte Urbanisme et Transport. Cette démarche innovante noue le développement des transports au développement urbain. Les différentes communes concernées s’engagent à accompagner le développement du tramway.

« L’intercommunalité s’engage à développer un service de tramway de qualité et les communes s’engagent à construire des logements, à amener des accès piétons, apaiser la circulation en centre ville » détaille Laura Foglia. C’est particulièrement vrai dans les communes de moyenne ou faible densité. Loger à prix raisonnable, densifier et permettre l’accès aux transports, l’équation est fragile et demande de la concertation. La consultante y voit un urbanisme raisonné, qui doit nécessairement s’appuyer sur les dynamiques démographiques pour ne pas provoquer inutilement de l’étalement urbain.

Le rôle des entreprises

Enfin, la collaboration est particulièrement importante entre les entreprises et les collectivités. En effet, la loi impose aux entreprises de plus de 100 employés de réaliser un plan de déplacement d’entreprise (PDE) pour optimiser les déplacements de leurs salariés. Pourtant, peu d’entreprises le font d’après Laura Foglia, même lorsqu’elles y sont tenues. « C’est fort dommage parce que c’est un outil très intéressant pour participer à la décarbonation des déplacements. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de sanctions et que les entreprises ont du mal à s’approprier le sujet. En fait, elles ne sont pas habituées à considérer la mobilité comme un sujet qui les concerne. EIles considèrent que c’est du ressort de la sphère privée des salariés. » 

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Parking à vélo, bornes de rechargement, pistes cyclables sur l’ensemble du trajet, cabines de douche, atelier de réparation… Un ensemble d’infrastructures doivent être déployées pour « faire système » et accompagner le changement. Pour cela, la concertation avec la collectivités est essentielle. Et sur le terrain, les collectivités jouent le jeu. 

Mais rendre désirables les alternatives à la voiture ne permet pas complètement d’inciter le changement de mode de transport. Le guide du Shift Project appelle à prendre le taureau par les cornes et mettre en place des mesures de restrictions de la voiture, notamment par la gestion rigoureuse du stationnement. Autrement dit, pour acter la transition des mobilités, l’incitation ne suffit plus. 

Le guide est disponible en version intégrale et en version synthétique sur le site du Shift Project, accompagné des études de cas dans les villes de Grenoble, Arras, Saint-Nazaire, Poitiers et Strasbourg.

Usbek & Rica
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