Thierry Paquot s’attaque à « l’aliénation spatio-temporelle »

La « gated community » de Brickell Key à Miami (Floride). Crédits : Marc Averette / Flickr
2 Oct 2015

Dans son nouveau livre, le philosophe de l’urbain se livre à une critique radicale du modèle urbain hérité des grandes heures de la « société productiviste » et plaide pour inventer des villes plus « économes et stimulantes ».

Thierry Paquot voit dans le gratte-ciel une forme de démesure urbaine pas forcément souhaitable. Ici, le quartier de la marina de Dubai. Crédits : Citizen59 / Flickr

Thierry Paquot voit dans le gratte-ciel une forme de démesure urbaine pas forcément souhaitable. Ici, le quartier de la marina de Dubai. Crédits : Citizen59 / Flickr

Éditeur de la revue Urbanisme, producteur de l’émission Permis de construire sur France Culture, fondateur de la revue L’esprit des villes, philosophe et professeur d’urbanisme à l’institut d’urbanisme de Paris, Thierry Paquot démontre une nouvelle fois la pertinence de son esprit critique dans son dernier livre, au titre éloquent : Désastres urbains : les villes meurent aussi (La Découverte, 2015). Concis et incisif, l’ouvrage s’attaque aux principaux dispositifs 
« architecturalo-urbanistiques » qui contribuent à « l’enfermement et l’assujettissement » des individus qui y vivent ou y travaillent. L’auteur pèse ses mots : un désastre, rappelle-t-il, c’est un « événement funeste ou un malheur d’une grande ampleur ». Et Paquot fait rentrer dans cette catégorie plusieurs grandes « trouvailles » urbanistiques des dernières décennies, comme les grands ensembles, les centres commerciaux, les gratte-ciel ou encore les gated communities, ces quartiers ultrasécurisés où les riches vivent en vase clos. À chaque fois, de purs produits de la société productiviste.

Éloge du tiers-lieu

L’ouvrage foisonne de références littéraires et philosophiques qui viennent étayer le propos de Thierry Paquot. Le philosophe de la chose urbaine a d’ailleurs pris soin de compléter chaque chapitre d’une « digression », à la manière du sociologue Georg Simmel dans son ouvrage Sociologie (1908), dont l’auteur se revendique.

L’essai se présente comme une « géohistoire critique environnementale pour réécrire l’histoire dominante », celle qui fait passer le « progrès » pour une course au gratte-ciel le plus haut. Préoccupé par « l’aliénation spatio-temporelle » provoquée par tous ces dispositifs, Thierry Paquot estime qu’ils mettent en danger la pleine réalisation de « l’homo urbanus ». Pas question pour autant de se résoudre au fatalisme. L’auteur cite ainsi comme motif d’espoir l’émergence de concepts comme le « tiers-lieu » cher au sociologue Bruno Marzloff, qui utilise ce terme pour qualifier les nouveaux espaces urbains hybrides (fablabs, cafés associatifs, incubateurs de start-up, espaces de coworking) permettant de nouer de nouveaux rapports sociaux et économiques : « Le tiers-lieu est un environnement social qui n’est ni la maison, ni le travail, c’est un lieu de partage, de socialisation, d’innovation et d’entreprenariat dont le modèle émergent est différent des catégories habituelles ».

Pour une ville économique et stimulante

La « gated community » de Brickell Key à Miami (Floride).  Crédits : Marc Averette / Flickr

La « gated community » de Brickell Key à Miami (Floride). Crédits : Marc Averette / Flickr

Autre concept qui trouve grâce aux yeux de Thierry Paquot, la « biorégion urbaine » telle que la définit l’architecte et urbaniste italien Alberto Magnaghi, fondateur de la « société des territorialistes ». Magnaghi envisage l’espace urbain comme un « bien commun », où le dialogue entre l’homme et son environnement serait complètement renouvelé. La biorégion urbaine devrait ainsi permettre de définir « de nouvelles modalités d’habiter et de produire tout en valorisant une citoyenneté active et des formes d’autogestion », estime Magnaghi.

Thierry Paquot rappelle également que l‘urbanisme doit se concentrer sur la prise en compte des caractéristiques essentielles de l’homme, cet « être sensoriel, relationnel et situationnel. » Il appelle donc à réinventer la ville, de manière à ce que celle-ci soit « économe et stimulante » afin de pouvoir être éprouvée réellement. La ligne qu’il défend n’est pas sans rappeler celle soutenue par Olivier Piron dans son récent essai L’urbanisme de la vie privée (L’aube, 2014), qui refusait lui aussi de faire de la densité l’unique horizon en matière d’aménagement urbain. Et si le temps de la ville démesurée et verticale était déjà révolu ?

– Désastres urbains : les villes meurent aussi, de Thierry Paquot (La Découverte, 2015).

Quelques phrases clés :

« Il nous faut nous préoccuper de l’aliénation spatio-temporelle. La biopolitique à l’œuvre, en effet, ne s’emploie pas seulement à contrôler les territoires (logement, commerce, loisir, travail, etc.), elle cherche aussi à définir les emplois du temps (organisation du travail, rythmes du quotidien, absence de « temps morts », valorisation de la vitesse comme mesure du progrès et de l’excellence, etc.) »

« Le shopping center s’affirme comme l’expression ultime de l’artificialité du monde urbain, tout le faux dont il se pare est perçu comme vrai par les visiteurs. Dans cet espace privé se donnant les atouts d’un espace public, les rencontres imprévues, les mixités sociale et culturelle, la surprise, la gratuité et l’accessibilité sont parfaitement minutées, contrôlées, combinées entre elles selon le respect du règlement intérieur. À cet urbanisme sécuritaire de la consommation correspond un comportement social uniformisé, mimétique, indifférencié, mais néanmoins public. »

« Des constructions, un paysage urbain, un agencement spatial peuvent être pathogènes et influer sur le psychisme. Personne n’est indifférent à son environnement, certaines volumétries de bâtiments écrasent le passant, certains matériaux ou revêtements se révèlent être répulsifs,  certains parcours imposés ne sont pas seulement contraignants mais autoritaires.  »

« En ce qui concerne l’urbanisation des territoires et des populations (« l’urbanisation des mœurs »), le logement, les villes, les modes de vie et les pratiques des citadins, tout reste à faire. Cela devient d’autant plus urgent que l’imitation qui affecte le milieu des professionnels de l’urbanisme et de l’architecture  et des élus politiques, – et parfois même des habitants, répand à l’échelle planétaire des modèles qui uniformisent les architectures, homogénéisent les manières de penser et de faire les milieux habités et nient toute réflexion critique. Or nous avons besoin d’expérimentations nouvelles pour rompre avec ces modèles du « toujours plus », devenus profondément antagoniques à ceux du « toujours mieux. »

Usbek & Rica
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