Les sous-sols urbains, plus qu’un gain de place, une intelligence pour la ville de demain ?

L’Université féminine Ewha de Séoul
5 Fév 2018

Imaginons que la ville ne soit pas uniquement construite en surface ? Par ville, nous entendons tout ce qui crée aujourd’hui l’urbanité, à savoir les lieux culturels que nous fréquentons, les espaces privés que nous habitons, les espaces publics que nous vivons, les réseaux que nous empruntons et les fonctions annexes qui nous permettent aujourd’hui d’être plus de la moitié de la population mondiale à vivre au cœur des centres urbains.

Parmi les principales raisons avancées par les promoteurs du développement d’une architecture et d’un urbanisme souterrains, se trouvent aujourd’hui, le développement durable et la nécessité de produire la densité urbaine, après une époque où la tendance était au contraire à son extension horizontale. Alors qu’il existe des exemples de villes souterraines un peu partout dans le monde, ces sous-sols habités posent cependant la question des activités qu’il serait possible d’y intégrer. Les avis divergent. Mais même s’il reste aujourd’hui difficile d’imaginer vivre à cinquante mètres sous terre, ces expériences nous prouvent qu’il est possible d’imaginer une autre forme de ville souterraine et peut-être même plus intelligente que celle que l’on imagine seulement en surface

La ville de demain doit-elle donc être sous terre ? Répondre à cette question par oui ou par non ne suffirait pas, car la vision d’une ville souterraine peut véritablement révolutionner notre façon de construire la ville si l’on considère cette question à son juste niveau. En effet, alors que les sous-sols des villes ont longuement été ignorés dans la planification urbaine, réfléchir de manière systématique à cette perspective souterraine pourrait nous ouvrir des horizons encore inconnus, à savoir trouver des convergences positives entre les ressources des sous-sols et les besoins de la surface. Alors la ville souterraine, sommes-nous-y vraiment prêts ? Et comment y parvient-on ?

Dédramatiser un lieu de la ville trop dramatique

«Ignoré, voire rejeté, le dessous de nos villes est un trésor vital».

Cette phrase, elle est inspirée du travail de Dominique Perrault qui a ouvert depuis la rentrée 2013, une chaire consacrée à l’architecture souterraine à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

L’architecte français reconnu dans le monde entier pour ses réalisations est en effet, aujourd’hui, considéré comme l’un des rares experts de la construction souterraine. Et pour cause, les édifices souterrains emblématiques qu’il a réalisés sont nombreux, à commencer par la Bibliothèque nationale de France qu’il termina en 1995.

Comme il aime le rappeler, on ne voit de l’édifice portant le nom d’un ancien Président de la République, que « la partie émergée de l’iceberg », puisque plus de la moitié des volumes de la bibliothèque est enterrée à plus de 14 mètres en dessous du niveau de la Seine. Là où à Paris on perçoit encore des tours, à Berlin, l’architecte français a souhaité laisser au promeneur la possibilité de deviner ce qu’il se passait sous terre. Car en effet, alors qu’on se trouve au beau milieu d’un parc agrémenté de pommiers, on ne perçoit que les toitures circulaire du vélodrome dont il est le concepteur et celle, rectangulaire de la piscine olympique, qu’il réalisa de la même manière.

Enfin à Séoul, l’architecte français propose une immersion dans l’université, au sens propre du terme. Incroyable mais vrai, c’est une vallée creusée artificiellement dans une colline de la ville qui nous amène au cœur même de cet univers de savoir et de transmission. Un ouvrage unique en son genre.

Ne plus réserver aux sous-sols les fonctions seulement techniques

Au-delà de ces réalisations ponctuelles, promues par un seul architecte, quand bien-même fut-il de renommée internationale, certaines villes s’approprient les souterrains depuis bien longtemps déjà, à commencer par Montréal, Hong-Kong, ou même bien plus tôt encore en Turquie, à Derinkuyu.

Construire dans les sous-sols de la ville n’est pas une idée neuve, bien au contraire. Dans un district de la province de Nevşehir, en Anatolie centrale, actuelle Turquie, a été découverte en 1963 une cité souterraine qui pouvait accueillir en son sein plus de 11 000 habitants. Le district tout entier recensait même jusqu’à un peu plus de 24 600 habitants.

Ce que l’on a pu découvrir sur les origines de cette cité de Derinkuyu, nous laisse croire que la ville souterraine servait principalement de refuge aux premiers chrétiens grecs, face aux persécutions de l’Empire romain entre le Ve et le VII siècle de notre ère.

Au-delà de ces innombrables tunnels reliant les différents lieux publics et privés de cette ville, la cité était organisée autour de plusieurs dizaines de cheminées d’aérations, dont certaines descendaient assez profondément pour atteindre un 13e et dernier étage situé en dessous de la surface.

Dans un temps beaucoup plus contemporain, à Montréal, 33 kilomètres de galeries relient des dizaines de bâtiments, que ce soit des bureaux, des centres commerciaux, mais aussi des universités et même des résidences ! Construit dans les années 60, ce RESO – pour réseau piétonnier souterrain – est surnommé par les montréalais,  « la Ville intérieure ». Et personne ne pourra dire que cette partie de la ville est boudée, puisque cette ville souterraine est fréquentée chaque année par plus de 180 millions de personnes. Une véritable aubaine pour ces usagers quotidiens quand on pense au climat singulier de la ville canadienne.

Bien entendu, construire dans les sous-sols des villes n’est pas qu’une manière de se protéger du froid, c’est aussi une façon de retrouver de la place en ville, pour créer de nouveaux usages, ou prolonger ceux déjà existants. Alors que le problème de place se fait de plus en plus sentir dans nos centres urbains, des espaces libérés en surface permettraient de voir s’y développer une intensité urbaine agréable et propice à un espace public retrouvé par ses habitants.

Envisager le bucolique et la flanerie souterraine ?

Mais au-delà des fonctions techniques qu’il faudrait enterrer pour laisser à l’urbanité plus de place en surface, ou bien au-delà des fonctions commerciales, éducatives ou même résidentielles que l’on pourrait tout aussi bien retrouver sous terre, d’autres usages sont envisagés dans les sous-sols de nos villes. Alimenté par un système de tuyaux et de loupes qui transporte la lumière, un parc souterrain new-yorkais baptisé Lowline devrait d’ailleurs voir le jour en 2018. Situé à 4 mètres 50 de profondeur et remplissant une surface de 10 000 mètres carrés, ce parc en sous-sol réhabilite un vieux terminal de tramway situé dans le Lower East Side et abandonné en 1948. L’heure n’est donc plus seulement à l’idée de remplir les sous-sols de nos fonctions nécessaires en ville, ils pourraient aussi être un lieu de flaneries. Quand on pense au succès rencontré par les nombreuses photos prises par des street-artistes dans les anciennes rames de métro parisiens, il n’y a plus à douter, les souterrains sont un univers bucolique emplis de rêveries, que nous pourrions sans doute réinvestir poétiquement.

L’idée développée par James Ramsey et Dan Barasch fait d’ailleurs des émules et pas qu’aux Etats-Unis, puisque suite à un appel à idées lancé en novembre 2016, la RATP étudie en ce moment même un projet de végétalisation du métro parisien. D’autres idées émergent à Paris, à la Défense bien sûr avec ses 45 000 mètres carrés vides, présents sous sa célèbre dalle de béton, ou encore dans toute la métropole, qui compte à elle seule plus de 20 souterrains qui pourraient être reconvertis.

Sous la Place des Invalides à Paris, 15 000 mètres carrés sont exploitables. L’ancienne gare du même nom aujourd’hui inutilisée, accueille déjà une déchèterie qui gère les encombrants de la ville de Paris ainsi qu’un site de stockage. Mais une grande partie de ces sous-sols sont aujourd’hui vides ou simplement « encombrés ». Ce qui n’a pas laissé la nouvelle municipalité parisienne insensible, bien au contraire, car elle a récemment lancé un appel à projet visant à « réinventer » ce lieu. Pour Jean-Louis Missika, adjoint à l’urbanisme de la ville de Paris, « L’idée c’est que les touristes et les parisiens redécouvrent un lieu absolument magique, qui a été conçu à l’époque comme un lieu pour les gens et non comme un lieu qui devrait stocker des matériaux ».

Envisager la ville souterraine comme la possibilité d’un nouveau paradigme dans la planification urbaine.

Mais les sous-sols ne sont pas tous constructibles. La ville d’Amsterdam, par exemple, rencontrera de grandes difficultés à investir ses souterrains, puisque la composition de ses sols est sablonneuse. Mais si l’on arrive à cette conclusion c’est d’abord et avant tout parce qu’on raisonne d’une certaine manière à savoir réfléchir aux ressources que la ville et ses souterrains nous offrent, en fonction des besoins que l’on a aujourd’hui. Mais si l’on inversait tout simplement notre manière de raisonner ? Si l’on décidait plutôt de nos besoins en ville, en fonction de nos ressources ?

Cette vision s’est développée en Suisse, sous la houlette du Professeur Aurèle Parriaux, géologue et hydrogéologue conseil à l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Cette méthode pourrait permettre de changer radicalement notre façon de concevoir la ville. Son idée repose sur le constat suivant : Les villes ont aujourd’hui tendance à envisager de construire sous terre, uniquement en fonction des besoins, à savoir plus précisément, lorsque nous n’avons plus aucune possibilité de nous étendre, soit en hauteur soit en surface. La méthode Deep City, développée par Aurèle Parriaux, consiste au contraire à analyser les ressources souterraines d’une ville ou d’un quartier avant même d’envisager les équipements qui pourraient s’y développer. On passe donc  d’une approche dite « du besoin aux ressources » à une approche « des ressources aux besoins ».

Grâce aux cartographies des sous-sols établies pour chaque quartier d’une ville, Aurèle Parriaux propose aux urbanistes, de planifier bien plus en amont quels types de constructions ils pourraient entrevoir. Et surtout il leur propose grâce à cette méthode de trouver des cohérences entre les compositions des sols et les équipements qui pourraient être construits mais aussi entre les équipements eux-mêmes.

Il existe en effet 4 ressources principales dans les sous-sols de nos villes. L’espace bien sûr, mais aussi l’énergie géothermique, les géomatériaux, et les eaux souterraines. En considérant l’ensemble de ces ressources souterraines, il s’agit donc d’analyser « les interactions à long terme, dans un concept multi-usage des ressources ». En résumé, avant même d’envisager ce qui doit être construit dans les sous-sols. nous devons définir ce qui est compatible avec quoi et dans quelles conditions. Ainsi, à chaque fois que l’on imaginerait un nouveau métro, on pourrait tout à fait y associer un système de récupération de chaleur.

Les sous-sols de notre ville sont donc un nouveau monde plein de potentiel pour la planification urbaine. Mais lorsqu’on parle de nouveau monde, il faut aussi se rappeler les erreurs du passé. Car au-delà des avancées non négligeables que nous ont permis la découverte des Nouveaux Mondes, celles-ci ont surtout été réalisées par des hommes en quête d’aventures, de nouveaux savoirs et de de nouveaux horizons. Et malheureusement les erreurs qui ont suivi les découvertes de nouvelles régions du globe ont été fréquentes et trop nombreux sont les peuples qui en ont subi le prix, le plus lourd pour certains. Si la ville souterraine est un monde nouveau que nous pouvons explorer, il nous convient de le considérer de manière concertée, en envisageant les sous-sols dans leur intégralité, mais aussi en croisant les capacités, les intelligences et les apports de tous les acteurs de la ville. Avant d’envisager les souterrains comme un nouvelle manière de nous étendre, considérons-les donc comme une chance à ne pas gâcher.

LDV Studio Urbain
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Vos réactions

Gravelle
26 février 2018

Beaucoup d’intérêt pour ce que l’on appelle la « 4 dimension « .

Cordialement

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