Rio, 4 ans après : Que retenir des Jeux Olympiques ?

Le musée de Demain (2015), symbole des grands travaux entrepris à Rio avant les JO
25 Mar 2020 | Lecture 10 minutes

Nous commençons aujourd’hui une nouvelle série d’articles consacrée aux smart cities. A travers la Learning Expedition (LEX) de deux étudiants de Sciences Po et d’Hec, nous allons partir à la découverte de villes qui se distinguent par leurs stratégies d’aménagement innovantes, par les initiatives digitales qu’elles portent, et par leur capacité à mobiliser les citadins grâce à la donnée. Tout au long de leur voyage, les deux explorateurs d’Across The Blocks expérimenteront les nouveaux les usages de la ville connectée, et feront part de leur résultats.

 

Nous débutons cette série avec Rio de Janeiro. 4 ans. Voilà le (petit) nombre d’années qui nous séparent des Jeux Olympiques de Rio 2016… Et de ceux de Paris 2024. A mi-chemin entre ces deux grands événements, un coup d’œil sur l’héritage des Jeux dans la Cidade Maravilhosa doit nous faire réfléchir, pour nous permettre de nous inspirer de leurs succès sans en rééditer les erreurs.

En accueillant les Jeux, une ville devient de facto, pendant près d’une quinzaine de jours, le centre du monde. Et cela se sent. A l’image d’Athènes en 2004, grisées par l’approche d’un tel événement, les villes-hôtes se sont souvent lancées dans des projets d’infrastructures sportives ou immobilières trop ambitieux, tombant dans l’oubli le lendemain de la cérémonie de clôture. Pourtant, avec tous les investissements qu’ils génèrent, les Jeux restent une opportunité unique de transformation urbaine : solutions de mobilités, nouveaux aménagements, redynamisation de certains quartiers… Leur organisation doit être l’occasion pour une ville de se réinventer.

Qu’en est-il donc de Rio ? La Cidade Maravilhosa a-t-elle répété les mêmes erreurs que certaines de ses prédécesseurs ? Ou bien est-ce qu’au contraire les projets lancés pour les JO 2016 sont devenus les vecteurs d’une transformation urbaine pérenne ? Enquête.

Les JO 2016, l’occasion du siècle pour la ville de Rio.

Accueillir les Jeux Olympiques de 2016 était pour Rio l’aboutissement d’une stratégie urbaine de long terme, consistant à se transformer progressivement en capitalisant sur l’accueil de grands événements internationaux. Pendant près de 10 ans, la ville a conservé les yeux du monde rivés sur elle, en recevant notamment les Jeux Panaméricains de 2007, les Journées mondiales de la jeunesse en 2013, et la Coupe du Monde de Football en 2014. L’objectif de cette stratégie était clair : faire venir des investissements pour soutenir les transformations de la ville… et la faire changer de statut à l’international. Fini l’image d’une station balnéaire rongée par l’insécurité et les inégalités socio-spatiales entre quartiers riches et favelas : Rio se rêvait en ville mondiale, capable d’organiser avec succès les événements internationaux les plus prestigieux.

Et à l’approche des Jeux Olympiques, cette stratégie semblait porter ses fruits. Soutenue notamment par le secteur du pétrole, l’économie carioca était en plein boom, et les habitants en étaient les premiers bénéficiaires : au début des années 2010, leurs revenus augmentaient en moyenne deux fois plus rapidement que dans les autres métropoles brésiliennes. Les problèmes liés à l’insécurité diminuaient, et des entreprises s’associaient à la ville pour la moderniser, comme IBM, qui l’aidait à créer en 2010 un centre de contrôle ultramoderne.

Dans ce contexte favorable, les JO de 2016 devait permettre à Rio de parachever sa transformation de trois manières différentes : en structurant l’expansion de la ville vers le Sud-Ouest, en repensant son système de transport, et en redynamisant certains quartiers du centre-ville, jusqu’alors complètement marginalisés. Trois grands axes pour une transformation d’ampleur, destinée à redonner à la ville sa centralité historique à l’échelle du Brésil.

En cherchant à tout prix à capitaliser sur les JO pour s’étendre vers le Sud, Rio n’a pas su intégrer durablement ses sites olympiques à la vie urbaine locale.

Couvrant plus de 12 fois la superficie de Paris, la ville de Rio est en constante expansion, notamment le long de sa côte Atlantique. Avec les JO, l’un des objectifs majeurs de la municipalité était donc d’accompagner l’étalement urbain de la ville par la construction d’infrastructures. Le choix de la zone Sud-Ouest de Rio, appelée Barra de Tijuca, pour accueillir le Parc et le Village olympiques, s’est donc fait avec un objectif clair : miser sur l’extension de la ville vers de nouveaux espaces, et accompagner le développement d’un nouveau pôle d’activité à plus d’une heure et demie du centre et des plages touristiques. Et en matière de développement urbain, le pari est plutôt réussi. Pratiquement déserte il y a 20 ans, Barra de Tijuca est aujourd’hui devenue un quartier relativement dynamique, où les marécages ont laissé place aux gratte-ciels, méga-centres-commerciaux et routes à quatre voies.

Seulement, voilà. Quatre ans après les jeux, une grande partie des sites olympiques qui y ont été construits sont tombés en désuétude. Au cœur d’une zone où tous les projets de construction semblent avoir été arrêtés nets, le Village olympique fait figure d’îlot solitaire, et ne compte que quelques appartements occupés à cause de la spéculation des promoteurs. Quant au Parc olympique, une promenade à l’intérieur laisserait penser que le temps s’y est arrêté. Malgré l’accueil occasionnel de festivals de musique ou de grands événements sportifs, la plupart des infrastructures de sport ne sont pas utilisées de façon régulière par les Cariocas, et certains sites, comme la piscine, ont tout simplement été abandonnés. La municipalité n’avait-elle donc pas intégré le devenir des sites dans ses plans de construction ? Justement, si : ces projets de long-terme étaient mêmes relativement bien pensés. Après les Jeux, certains stades devaient servir aux équipes de sport nationales, d’autres aux habitants, et le reste devait être démonté pour construire des écoles dans les quartiers alentours. Le Village olympique lui-même avait été conçu comme une future résidence de luxe, pour garantir son appropriation rapide par des habitants après les JO.

Le village Olympique aujourd’hui : Une résidence de luxe en majorité inhabitée

Le village Olympique aujourd’hui : Une résidence de luxe en majorité inhabitée

Que s’est-il passé alors ? La réponse est simple : en 2015, soit un an avant la fin des travaux, le Brésil est atteint par une grave crise économique, altérant la capacité des habitants à acheter les luxueux appartements du Village Olympique, et celle des pouvoirs publics à financer la maintenance et le suivi des infrastructures sportives. Résultat : les équipes nationales de sport ne viennent pas s’installer à Barra de Tijuca, pas plus que les stades ne sont démolis pour construire des écoles. Est-il possible de tirer des leçons de cet échec ? Dans le cas de Rio, le choix de concentrer une grande partie des infrastructures sur un site périphérique unique semble avoir été une erreur. S’il s’est révélé efficace pour soutenir le développement économique de la zone Sud, il s’est fait au détriment de la capacité des Cariocas à s’approprier ces nouveaux aménagements de manière durable.

Certains stades du parc Olympique ont été temporairement fermés en janvier dernier pour des raisons de sécurité

Certains stades du parc Olympique ont été temporairement fermés en janvier dernier pour des raisons de sécurité

Accueillir des milliers de touristes sur 15 jours, c’est aussi l’occasion de repenser son système de transports publics. À Rio, mission accomplie.

Avec une grande partie des sites situés dans le Sud-Ouest de la ville, et donc difficilement accessibles, la mobilité des habitants pendant et après les Jeux était la deuxième question d’ampleur soulevée par les JO de Rio. La ville a saisi cette occasion pour repenser son système de transport, donnant naissance à des projets d’aménagements réussis. Premier chantier d’ampleur : la ligne de métro 4, qui dessert les quartiers les plus touristiques du centre, a été prolongée de 6 stations vers le Sud, afin de rallier rapidement les installations olympiques. Parallèlement, plus de 100 km de routes ont été construits pour accueillir un nouveau système de « Bus Rapid Transit » (BRT) sur un total de 125 stations dans le Sud de la ville. Enfin, Rio s’est dotée d’un nouveau tram électrique appelé « Véhicule Léger sur Rail », permettant de desservir le centre-ville et l’aéroport. C’est bien simple : avec ces trois projets localisés, la ville a doublé le nombre d’infrastructures de transports publics à disposition de ses habitants.

Et aujourd’hui ? Appropriés et utilisés par les cariocas, le métro et le BRT sont devenus indispensables, et nécessiteraient même de nouveaux investissements pour répondre à une demande grandissante et à la surexploitation de certaines lignes. Certes, sans la crise de 2015, cette métamorphose des transports publics aurait pu être encore plus profonde : certaines lignes de bus n’ont pas été construites, et des projets de téléphériques urbains ont été abandonnés car ils coûtaient trop chers à maintenir… Mais 4 ans après l’événement, la municipalité semble avoir rempli son contrat en parvenant à créer de nouveaux services de transport que les habitants se sont durablement appropriés.

Les Jeux Olympiques comme opportunité pour la revitalisation urbaine : le succès de Porto Maravilha.

Et en matière d’appropriation urbaine, accueillir les Jeux Olympiques était aussi l’occasion pour Rio de redonner accès aux habitants à des quartiers désaffectés, abandonnés jusqu’alors par les pouvoirs publics. Comment ? Par la revitalisation d’un pan entier de son centre-ville, le quartier de Porto Maravilha. Jusqu’alors complètement exclus du champ des politiques urbaines, propices aux trafics et à la prostitution, les anciens docks de Rio ont été complètement redessinés : l’ancienne autoroute surélevée a été détruite, des allées piétonnes décorées de peintures murales grandioses ont été créées… Le quartier a fait peau neuve et aujourd’hui, familles cariocas et touristes instragameurs ont pris l’habitude de s’y retrouver, en semaine ou même les weekends. Mais la grande vitrine de cette revitalisation, c’est surtout le Musée de Demain. Structure magistrale futuriste signée par l’architecte Santiago Calatrava Valls, il présente des expositions sur le thème de la science et est devenu le musée le plus visité du Brésil dès 2015, l’année de son ouverture.

Construit en 2015, le musée de demain est devenu la vitrine de Porto Maravilha

Construit en 2015, le musée de demain est devenu la vitrine de Porto Maravilha

Depuis sa mise en place, le projet de Porto Maravilha a essuyé plusieurs critiques. Alors que certains pointent du doigt le manque de concertation citoyenne dans les aménagements, d’autres soulignent la difficile intégration des communautés des favelas voisines. Si le projet n’a pas eu les retombées escomptées pour les quartiers alentours, il montre néanmoins que la réception des Jeux Olympiques peut être l’occasion pour une ville de se réinventer par endroits, au-delà des simples infrastructures sportives.

Le principal enseignement de l’expérience de Rio, c’est finalement la place fondamentale que doivent occuper les habitants dans l’organisation d’un tel événement.

À Rio ou ailleurs, les Jeux ne seront jamais une solution miracle. En revanche, ils peuvent donner un coup d’accélérateur à des projets spécifiques, comme la redynamisation d’un quartier, ou la création de solutions de mobilité localisées. À partir de là, l’héritage laissé par les JO de Rio semble contrasté : certains aménagements ont perduré, d’autres sont véritablement entrés dans le quotidien des habitants, beaucoup ont été abandonnés…

Finalement, ce qui a probablement le plus manqué à la ville, c’est une vraie stratégie d’information sur les objectifs des projets entrepris, accompagnée d’un réel dialogue avec les habitants sur toutes leurs différentes phases. Une grande question subsiste donc pour Paris 2024 : les Parisiens seront-ils impliqués dans le processus de transformation ou subiront-ils les travaux sans les comprendre ? Pour saisir l’opportunité de la transformation offerte par les JO, il faut avant tout s’atteler au défi de la participation.

Across The Blocks
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