Renouveler les méthodes pour massifier la rénovation énergétique en France

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2 Nov 2016

On a beaucoup parlé de rénovation énergétique ces dernières années. De nombreux dispositifs publics ont été mis en place et plusieurs initiatives ont pu voir le jour sans vraiment transformer l’essai sur le plan hexagonal. Et si le problème venait tout simplement de la méthode que l’on développait ? C’est le pari lancé par les porteurs du projet EnergieSprong de la startup GreenFlex, qui sont allés chercher aux Pays-Bas une approche radicalement différente qui a fait ses preuves.

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Crédits photo : EnergieSprong

 

Avant de parler du projet EnergieSprong que vous développez, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur GreenFlex ?

GreenFlex est une entreprise assez jeune, qui a pour but d’accompagner les entreprises dans leur transition énergétique et écologique. Notre spécificité réside dans le fait que nous mêlons sous le même toit des métiers qui sont habituellement gérés par des entités distinctes et séparés. Nous réunissons en effet des consultants innovation et développement durable, des métiers d’assistance à maitrise d’ouvrage, des solutions logicielles qui aident les entreprises à prendre conscience de leur coût global, des solutions de financement, des ingénieurs énergie et enfin des spécialistes du marketing durable. Tous ces métiers réunis au sein d’une seule et même entité nous donnent la possibilité d’être un véritable catalyseur d’efficacité énergétique pour les organisations.

Et ce qui est intéressant, c’est que notre modèle est assez proche de celui développé par l’entreprise qui a mis en œuvre EnergieSprong aux Pays-Bas. C’est grâce à ce modèle très complet que nous avons trouvé des synergies communes pour importer leur modèle en France.

Quel a été le constat qui a permis cette innovation aux Pays-Bas ?

Le constat date d’il y a cinq ans. Comme dans beaucoup de pays européens, l’incantation selon laquelle le marché de la rénovation énergétique devait être plus fort, était très présente, mais entre les belles paroles et les actes il y a un vrai décalage. Les dirigeants de EnergieSprong se sont donc demandés quelle serait la meilleure manière pour développer le système. Mais le problème était à chaque fois le même : s’il n’y a pas de demande, il n’y a pas d’offre et s’il n’y a pas d’offre, il n’y aura pas de demande. Les raisons et les conséquences sont assez simples : c’est trop cher, ce n’est pas assez fiable, et la confiance dans le marché n’est pas assez présente pour développer efficacement cette filière de la rénovation.

Dans ce contexte, des financements du gouvernement hollandais sont apparus pour tester des mécanismes innovants dans le domaine de la transition. Les responsables de EnergieSprong ont donc proposé au gouvernement une nouvelle méthode de travail, qui consisterait tout d’abord à cesser de donner des fonds perdus aux maitrises d’ouvrage en les subventionnant à 30, 40, ou 50% pour chaque opération de rénovation, ou bien de procéder à des avances remboursables à des grands opérateurs du BTP. A ces solutions pratiquées habituellement, ils leur ont démontré qu’il manquait un acteur essentiel dans cet écosystème, un catalyseur qui serait capable de faire travailler ensemble l’ensemble des acteurs. Ils ont alors préconisé l’emploi de profils entrepreneurs pour faire le lien entre les différents acteurs en présence. C’est donc de cette manière que le gouvernement hollandais a jugé utile de financer leurs salaires dans l’optique de les voir développer un nouveau système. Plutôt donc de financer de l’investissement en fond perdu, il s’agissait donc de financer de l’intermédiation entre des acteurs publics et privés pour le bien commun.

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Crédits photo : GreenFlex – EnergieSprong

Et quelle est cette méthode innovante alors ?

L’idée d’EnergieSprong était donc de se situer entre les faiseurs, (les constructeurs, les industriels, les architectes, de bureaux d’études en résumé le monde des solutions) et les maitrises d’ouvrage (autrement dit tous les acteurs qui ont du patrimoine, notamment les acteurs du logement social) les administrations et enfin les financeurs pour tenter d’aligner les intérêts de tous les acteurs.

Prenons un cas classique qui s’est développé jusqu’à présent. Un bailleur souhaite procéder à de travaux de rénovation énergétique sur 300 logements. Des architectes, des bureaux d’étude et des constructeurs vont proposer un projet. Le problème c’est que toutes les études et que toutes les négociations qui auront été menées s’appliqueront à un seul objectif de 300 logements. Sur l’opération d’après, il faudra repartir de zéro et toute cette réflexion sera uniquement amortie sur 300 logements alors qu’elle pourrait l’être sur 300 000. Tout cela parce qu’on réinvente la poudre à chaque fois que l’on pense un nouveau projet.

Le parti pris qu’ils ont donc adopté a été de dire que le problème se situait sur le fait que la réflexion se faisait à chaque fois au niveau d’un seul maitre d’ouvrage alors que la réflexion devrait se mener au niveau de plusieurs maitres d’ouvrage. L’idée est de définir la meilleure manière de réfléchir à une plus grande échelle possible avec le moins d’acteur autour de la table. Pour cela il fallait donc commencer par le logement social, c’était le plus simple et le plus rapide, car les bailleurs sociaux gèrent de grandes quantités de logements. De plus, les bailleurs ont des facilités d’emprunt sur des durées longues (sur plus de 25 ans) via des organismes comme la Caisse des Dépôts en France. C’est le cas le plus simple pour commencer de l’intermédiation.

L’ambition était donc d’abord de parvenir à discipliner l’ensemble des bailleurs pour partir sur un même cahier des charges. Ensuite il s’agissait de se mettre d’accord sur un planning commun et coordonné sur plusieurs années entre tous les bailleurs et dans des typologies qui se ressemblent. Vu que les critères sont tous les mêmes, cela offre de nouvelles solutions parce que l’ensemble des maîtres d’ouvrage se coordonnent. Les entreprises responsables des solutions ne vont donc pas devoir « réinventer la roue » à chaque fois.

Pouvez-vous justement nous parler du cahier des charges commun que les hollandais ont mis au point ?

Se posait tout d’abord la question de l’ambition. Avec un tel dispositif, il a été décidé de miser dès le départ sur un taux de -100 % de performance énergétique. Les logements rénovés devraient donc être à énergie zéro. Cette solution était très simple et très lisible pour tous les acteurs et au moins, après une rénovation, il ne serait plus utile d’y revenir.

Deuxièmement, il s’agissait de créer un marché qui fonctionne sans subvention, car aujourd’hui, le marché fonctionne uniquement parce que des subventions publiques sont versées aux acteurs. L’ambition était de construire un marché qui fonctionne à grande échelle. Pour cela, il s’agissait donc de construire un modèle qui ne s’appuie sur aucune subvention publique quitte à financer la rénovation sur un temps long de 30 ou 40 ans. Certains bailleurs sociaux aillant déjà des budgets destinés à la rénovation (énergétique ou non) d’habitations, des investissements étaient déjà prévus. Il leur a donc été démontré que s’ils prévoyaient initialement 30 000 euros de rénovation par logement pour un ménage qui a 1 500 euros de facture d’énergie sur l’année, ils pouvaient utiliser ce budget d’une manière beaucoup plus efficace. En investissant donc à la fois les 1 500 euros de facture d’énergie x 30 ans (parce-que le ménage, après rénovation énergétique, n’aura aucune facture d’énergie sur 30 ans) et les 30 000 prévus initialement, on arrive à un budget total de 75 000 euros. Ce qui donne la possibilité d’aller encore plus loin dans la rénovation énergétique et donc de faire en sorte que le logement devienne un logement à énergie zéro.

Troisièmement, sachant qu’habituellement, les travaux sont de grosses nuisances pour les habitants, la promesse était de concevoir des marchés au sein desquels la rénovation devrait être réalisée au maximum sur une semaine. Beaucoup d’ingénierie en amont a donc été imaginée ainsi que l’utilisation de maquettes numériques pour pouvoir pré-fabriquer en usine les différents matériaux, de telle sorte à pouvoir une fois sur place, seulement clipser les différents éléments ensemble.

Enfin, quatrièmement, la rénovation doit toujours être dans une logique de séduction des habitants. L’idée était donc de résoudre avant tout leurs problèmes, afin de pouvoir construire des bâtiments plus beaux et qui leur conviennent mieux. Au final, il leur est donc proposé des logements qualitatifs pour quasiment le même prix et en plus ils seront à énergie zéro. Par ailleurs, parmi les règles fixées, il est aussi entendu de proposer aux habitants eux-mêmes d’effectuer certains choix constructifs en ce qui concerne des éléments de personnalisation visibles. Un tel dispositif donne donc aux habitants une importance à laquelle ils n’ont pas forcément l’habitude en tant que locataire. Et en plus de cela, s’ils acceptent ces travaux de rénovation énergétique, des travaux pour refaire entièrement la cuisine et la salle de bains seront prévus dans le package global de telle sorte à pouvoir également y installer un nouvel électroménager en accord avec l’ambition zéro énergie du logement final.

Six bailleurs sociaux s’y sont donc intéressés et quatre entreprises ont joué le jeu de répondre à ces marchés. Ils ont donc commencé à effectuer ce travail uniquement sur des maisons individuelles d’un étage. Pour créer un effet de confiance suffisant pour convaincre le marché et créer cet effet domino qui entraine cet effet de marché vertueux, il fallait faire des choix vite et aller au plus simple. Ils sont ensuite passés à du R+3 et là ils viennent de démarrer sur des bâtiments R+8.

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Un exemple de logement rénové aux Pays-Bas – Crédits photo EnergieSprong

Quel est aujourd’hui le budget pour rénover de cette manière un logement pour qu’il puisse être à énergie zéro ?

Les premières opérations ont commencé à un prix très élevé de 145 000 euros. Ce qui était complétement hors budget. C’était même plus cher que le prix de la maison. Puis les constructeurs ont eu confiance pour investir et ont donc réussi à descendre à un prix de 70 000 euros par logement. Aujourd’hui le modèle s’autofinance sur 30 ans et où il n’y a donc aucune subvention publique. Le cercle vertueux s’est donc créé.

10 000 logements sont donc dans les plannings des industriels. Un engagement est en train d’être signé entre les différents bailleurs sociaux pour mettre sur la table 100 000 logements sociaux supplémentaires à rénover de cette manière.

L’idée est donc maintenant d’importer ce modèle en France…

En effet, à un moment ils ont souhaité aller encore plus loin, en utilisant de nouvelles technologies encore plus avancées de telle sorte à pouvoir encore baisser les coûts. Pour répondre à cette ambition et investir plus encore, les industriels ont souhaité étendre le marché pour le déployer à l’échelle européenne. C’est à ce moment-là que nous nous sommes rencontrés et qu’ils ont également noués des contacts en Angleterre et en Allemagne. La Commission Européenne finance donc trois ans d’études en France pour dupliquer l’approche et c’est aussi le cas en Angleterre. Et aux Pays-Bas, elle finance actuellement le modèle de telle sorte qu’ils puissent passer du logement social au logement privé sur la base de cette même approche.

Aujourd’hui nous sommes donc alliés avec le CSTB, l’Union Sociale pour l’Habitat et le   Pôle Fibres-Energivie, avec le soutien du Plan Bâtiment Durable. Nous avons démarré au mois de mars, ce travail de duplication de l’approche et nous avons devant nous, deux ans et demi de travail. Le premier a été de rencontrer les bailleurs sociaux pour définir avec eux à quelles conditions ils seraient partants pour expérimenter cette approche sur leur patrimoine.

En quoi peut-on réellement parler d’innovation ? Quel était le process habituel avant de mettre au point cette méthodologie ?

 L’innovation c’est d’aligner les intérêts de nombreux acteurs. Il faut travailler en même temps sur le modèle d’affaire de chacun, sur un cadre juridique et contractuel qui fonctionne et bien d’autres choses à définir en commun, c’est en résumé une innovation intermédiationnelle. Nous avons actuellement une chaîne de valeur bloquée, le but est donc de la débloquer. Avant cela, beaucoup trop de sujets ont trop souvent été pensés en silos et non pas de façon systémique et éco-systémique et c’est un des blocages qui fait que la rénovation énergétique patine autant aujourd’hui.

Les solutions ne sont pas simples, elles sont complexes, elles font système. Il doit donc y avoir de nouvelles méthodologies de concertation pour mettre tous les acteurs autour de la table, pour créer un cadre rassurant et créer une confiance suffisante qui servira à créer des transversalités nouvelles. Si ces acteurs réussissent à mieux travailler ensemble, alors la confiance naîtra et transparaîtra au-devant des industriels qui vont eux-mêmes avoir confiance pour investir en outils, en méthode, en main d’œuvre et ainsi pouvoir inventer des manières de mieux rénover les logements pour moins chers.

Et quand au mécanisme de financement, qui paie l’addition ?

Une des promesses qui est faite aux ménages, c’est de leur proposer un bouclier énergétique. Cela signifie qu’on va assurer au locataire qu’il ne paiera jamais plus que le montant de sa facture énergétique passée s’il a un usage en conformité avec ce qui a été défini et s’il est encore plus vertueux, il paiera moins cher.  Pour cela, un remboursement d’investissement se substitue au paiement d’une facture énergétique dans le budget des ménages. Aujourd’hui ce cadre « bénéficiaire – payeur » qui est celui utilisé aux Pays-Bas, n’existe pas en France. Au final, la promesse, ce n’est pas moins de charges, mais un meilleur logement, parce que la question de la qualité de l’air est traitée, tout comme l’aspect extérieur du logement, la cuisine et la salle de bain pour quasiment le même prix voire un peu moins cher que les charges habituelles d’énergie du locataire.

En France, vous en êtes où actuellement ?

Nous rencontrons beaucoup d’institutions et nous avons déjà des partenaires avec lesquels nous travaillons déjà, comme l’ADEME ou la Caisse des dépôts. Nous avons actuellement une vingtaine d’opérateurs de solution avec qui nous sommes en contact (constructeurs, industriels…) et une dizaine de bailleurs. Un premier bailleur a lancé il y a trois semaines un premier appel d’offre pour tester ce cahier des charges. Trois groupements d’entreprises seront donc présélectionnés sur la base des compétences requises. Un opérateur sera retenu à l’issue de cette sélection au début de l’année 2017 et la rénovation de premiers logements pourra démarrer à partir du deuxième semestre 2017.

Quid de la personnalisation des logements ? Est-ce qu’avec un tel dispositif massifiant, nous n’arriverons pas à trop grande uniformité des logements quitte à reproduire des erreurs que nous avons trop produit dans le passé ?

 A vrai dire, c’est tout le contraire. Jusqu’à présent, dans certains quartiers, la typologie des logements était bien trop monotone. Avec ce système les hollandais ont pu personnaliser et créer de la diversité. Car même si la carcasse isolante des logements sera la même, si le groupement d’architectes veut tel ou tel type de rendu extérieur avec un bardage bois ou briques alors ce sera possible. Le rendu architectural sera donc différent en fonction de tel ou tel quartier pour une meilleure insertion paysagère. L’allègement des coûts ne se fait pas sur les matériaux qui sont visibles de l’extérieur, il se fait sur les matériaux isolants, ou au niveau des appareils à l’intérieur par exemple. Ce qui relève d’une uniformisation représente donc 80% du logement, le reste, les 20%, c’est du spécifique car effectivement, l’insertion paysagère et architecturale est importante, le quartier n’est pas le même et l’histoire qu’on veut raconter est différente. Avant toutes choses, ce sont bien des meilleurs logements que nous visons et sur tous les points.

LDV Studio Urbain
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