Trappes Épopées : d’un projet artistique à un projet urbain !

Mot sur un mur pour une demarche urbain
23 Mar 2017

Le 7 janvier 2015, la France est frappée par les premiers attentats à l’encontre du journal satirique Charlie Hebdo. A la suite de ce déferlement de haine, la DRAC Ile-de-France décide d’agir à son échelle. Quel outil, sinon la culture, pour fédérer les individus sur un territoire ? A cela, Thierry Payet propose un projet qui aborde la transformation de la ville à partir du vécu des habitants. L’objectif est de reconnecter les politiques publiques aux individus. Le projet Trappes Épopées, c’est l’histoire des habitants. Comme pour une cueillette d’histoires locales, Thierry Payet part à la chasse aux personnages. A travers divers supports d’exposition, l’artiste donne ensuite une valeur à leurs récits en les légitimant dans l’espace public. Mais qu’apportent-elles au développement de la ville ?

Trappes Epopées est un projet sur 4 ans, que l’artiste amorce au terme d’une carrière, d’un développement personnel, de découvertes et de nombreux tâtonnements. Artiste-plasticien, il a déjà travaillé à de nombreuses reprises avec des architectes et urbanistes. Au cours de ses expériences, son intuition le pousse à penser qu’il manque quelque chose dans le processus de construction des villes : les habitants. Si plusieurs formes de démarches participatives ont déjà pu être mises en place dans les projets d’aménagement, Pour Thierry Payet, cela ne fonctionne pas !

Thierry Payet se demande alors comment intégrer cette dimension dans les diagnostics d’urbanisme ? Trappes Epopées, c’est donc aussi un moyen de permettre aux habitants l’appropriation de leur territoire par la prise en compte de leur vécu. S’il ne prétend pas avoir trouvé LE moyen d’y parvenir, ses premiers mois d’expérience permettent déjà de mettre en lumière certains enjeux dans la recomposition d’un lien entre les pouvoirs publics et leurs habitants.

photo portrait de Thierry Pagnet

© Lumières de la ville

Trappes Epopées : un projet de long terme pour l’artiste

Thierry Payet est un véritable couteau suisse ! Son travail ? Lui-même ne sait pas vraiment le définir. Et quand il doit en parler, il utilise des raccourcis. « C’est simple, je fais un boulot qui n’existe pas. Je fais ce que j’aime ! » La mission qu’il se donne est de connecter les habitants, leurs histoires, leurs projets, leurs compétences, leurs situations… Trappes Epopées, c’est un peu la mise à profit de la synthèse de ses propres expériences.

Pour Thierry Payet, Trappes c’est d’abord le reflet des sujets d’actualité en France. La ville est construite sur une structure de cellule de village traditionnel, qui comprend le triptyque école, mairie, église. Elle accueille la vague d’immigration de l’industrie. Les premières tours d’habitations. Les premiers problèmes liés à la drogue. La naissance de mouvements artistiques identitaires forts comme le hip-hop. Donc, quand la France est frappée par le terrorisme, Trappes se sent concernée par les questions du djihadisme. Au lendemain des premiers attentats, les questions d’intégration et de dialogue se posent. En 2015, la DRAC Ile-de-France lance un appel à projet en collaboration avec les différents services de la ville de Trappes au sujet du vivre ensemble. Les attentes des services publics sont claires : il s’agit de comprendre comment créer un lien entre les institutions publiques et les habitants en s’intéressant particulièrement au sujet de la transformation urbaine.

Thierry Payet souhaite donc s’investir dans ce contexte et pour cela il compte y apporter son expérience pour le moins atypique. Après une maîtrise de physiques fondamentales, Thierry Payet s’est en effet intéressé aux situations de conflits. Son intuition de l’époque, « aller à la rencontre d’habitants ordinaires dans des situations extraordinaires ». Ce qu’il fit pendant plusieurs années au Cambodge, au Zaïre, au Rwanda, et au Guatemala.

Parti à la rencontre des locaux, il leur pose des questions sans intermédiaire, sans filtre. Comment est la vie là-bas ? Qui sont ces gens ? Thierry Payet c’est aussi dix ans en tant que commissaire d’exposition au Pavillon de l’Arsenal. Une position qui lui apporte une vision des données techniques et maîtrisées de l’urbanisme. Il travaille ensuite à de nombreuses reprises sur des projets d’architecture et d’urbanisme. Mais fort de son background de voyageur, l’artiste se rend compte dans cette dernière expérience de construction de la ville, qu’il manque quelque chose à ce processus : les gens !

« Les gens qui vivent le territoire ont une expertise qui n’est jamais prise en compte dans la réhabilitation. On tient compte de ce qui existe et on y ajoute une expertise technique sans gens ! »

 

Une démarche sensible et adaptable

La démarche de Trappes Épopées s’articule en trois étapes juxtaposées dans le temps : la récolte d’histoire, leur valorisation et leur intégration dans les démarches publiques.

L’aventure commence avec une démarche sensible liée à la capacité d’écoute de Thierry Payet. Elle consiste à aller à la rencontre des habitants, « des personnages » comme il les appelle. Récolter ces histoires jamais racontées, c’est exprimer un premier lien entre les individus et leur territoire.

« Ce qui est important, c’est de demander aux gens ce qu’ils font et pas ce qu’ils voudraient faire. Ce qui est récurrent dans les rencontres, ce sont les promesses déçues de ces personnages, à qui on a demandé ce qu’ils voulaient, sans jamais rien en faire. »

« Ce qui m’intéresse c’est de profiter de leur expertise de la ville. Ce sont des experts d’usages. Il y a quelque chose qui se noue entre l’individu et le territoire dans sa pratique, c’est d’ailleurs ce qui en fait la définition. »

« A Trappes, les gens déboitent ! » : une démarche qui cherche à mobiliser le potentiel de tous les acteurs sous-estimés et à créer des connexions.

Une fois les histoires récoltées, il s’agit de les légitimer en les mettant en forme, et en les transmettant. Pour cela, Thierry Payet s’appuie sur toutes les forces vives et créatives de Trappes, et elles sont nombreuses ! Installé au cœur du service technique municipal, il vit littéralement avec ces artisans de l’ombre. La première étape a été de géolocaliser les histoires sur Google Maps.

La première matérialisation passait par neuf panneaux d’affichage public : un par quartier. Ils ont été exposés ponctuellement. Les installer de manière temporaire, c’est un moyen de leur donner de la valeur.

post it sur un mur sur la demarche artistique

© Lumières de la ville

L’idée générale n’est pas de s’arrêter à cet affichage, mais de développer divers moyen d’expression et de partage. C’est à ce stade que le regard de l’artiste intervient. En s’installant au centre technique municipal, et en rencontrant des personnages, il s’est rendu compte des compétences locales ignorées, mais aussi que beaucoup de gens allaient dans le même sens sans jamais se rencontrer.

Mot sur un mur pour une demarche urbain

© Lumières de la ville

Les participants aux ateliers d’arts plastiques sont les premiers à se prêter au jeu. Ensemble, ils réalisent des tables sur lesquelles les histoires sont gravées. Celles-ci vont ensuite être exposées dans les espaces publics, pour que les habitants se les approprient, comme un symbole de leur histoire.

Mot sur un mur pour une demarche urbain

© Lumières de la ville

C’est ensuite avec Laurent que Thierry va travailler. Le passe-partout de Trappes ! Il possède toutes les clefs des bâtiments officiels. Ils vont créer des porte-clefs qui auront chacun leur histoire. Après avoir équipé toutes les clés publiques, ils investiront les clés privées en effectuant une distribution dans les rues.

 

La participation actuelle : « Il y a quelque chose de déloyal là-dedans ! »

Thierry Payet jette un regard négatif sur les démarches habituelles de participation : « Il y a quelque chose de déloyal là-dedans ! On demande aux gens de devenir urbanistes, on leur demande de développer un avis imaginaire sur un chez eux concret, du quotidien, de leur vécu pour lequel ils ne sont pas compétents et ensuite on leur demande d’assumer. C’est déloyal parce qu’on met ces gens dans une situation compliquée ! Ce sont des métiers compliqués et on leur demande de jouer à être urbanistes. »

C’est donc une expertise d’usage qu’il manque à l’urbanisme. Ces formes narratives doivent être réinjectées dans les programmations des différents services publics pour que cette expertise des usages puisse être bénéfique à la construction de la ville. Cette démarche cherche à faire en sorte que la ville ne soit pas uniquement quelque chose qui emmène les gens quelque part, mais que le processus soit à double sens. Cet échange permettrait d’exprimer l’identité de la ville de Trappes.

« Les gens de Trappes ce sont des gens extraordinaires ! La réalité du territoire, c’est la manière dont on le vit. Ce sont les gens qui apportent un côté mystique à la ville. La ville doit se poser ces questions du facteur humain parce que cela révèle des enjeux majeurs. Pour le moment, on fait comme avec des marchés financiers. L’humain est le truc qui viendra en dernier. Ca se fera ! »

Les productions réalisées pour le moment permettent de dégager des formes de cartographies narratives. Celle des lieux qui se rencontrent : sur des lieux différents, des gens ont les mêmes usages. Celle des histoires qui se rencontrent : sur un espace, des usages divers se développent.

Les habitants ont également soulevé des questions récurrentes, jamais abordées par les services publics, comme le deuil des bâtiments. La destruction des tours ou la disparition de l’école de Trappes sont des événements marquants : chacun se souvient de ce qu’il faisait ce jour-là. Ils ont aussi abordé la désillusion générée par les promesses déçues liées au système de participation actuel.

L’artiste au cœur de nos sociétés a historiquement une fonction dénonciatrice ou de mise en abyme de ses dysfonctionnements. L’artiste, « c’est un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue et sans voiles » disait Bergson. Par ce regard extérieur que Thierry Payet apporte à Trappes en particulier, et aux villes en général, il semble intéressant de se questionner sur la place laissée à l’expertise humaine dans le processus de projet. Dans une période où on parle d’urbanisme local, d’identité et de patrimoine cela semble d’autant plus justifié.

LDV Studio Urbain
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