Quand les murs de nos villes s’ouvrent

Le mur végétalisé du musée du Quai Branly, inauguré en 2012, rencontre un grand succès.
6 Avr 2017

La récente élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a fait couler beaucoup d’encre, en particulier à propos de son projet de mur de séparation avec le Mexique. On le sait, nous vivons dans une période où les murs sont légions et où l’idéal de frontières ouvertes comme l’espace Schengen se fissure petit à petit. Si les murs sont donc de plus en présents dans nos villes et nos territoires, certains essayent de les sublimer en les embellissant ou en y inscrivant des messages de paix ou d’hommages. Ces murs sublimés peuvent aller jusqu’à devenir des hauts lieux de tourisme, quid alors de leur fonction séparatrice ? Plus encore, bien que les décisions politiques semblent pousser les architectes à construire des murs de plus en plus hauts et hermétiques, ces derniers se jouent de ces injonctions et proposent des murs aux formes pour le moins singulières. Leur inventivité et leur optimisme vont même dans certains cas, transformer la vocation première des murs en les changeant en points de passage ou points de refuge. Alors, paradoxalement, faut-il se réjouir de ces murs qui fleurissent et offrent des possibilités inattendues d’expression et de dialogue entre les peuples ?

Les murs comme support d’expression plastique et politique

Dans des sociétés et une géopolitique globale qui insistent sur la sécurité des États-nations, les murs se démultiplient sur la planète. Au-delà de ces murs politiques, souvent inaccessibles et défendus par toutes sortes de barrières et de grillages, il existe d’autres types de murs, ceux que rencontrons au quotidien. Ce sont les murs aveugles de nos immeubles, les murs d’enceinte de tous les bâtiments, les murs qui construisent nos villes en somme. Ces derniers, au-delà de leur caractère utilitaire, connaissent de nouveaux visages. En particulier, le botaniste et chercheur français Patrick Blanc a généré un nouveau regard sur nos murs grâce à son concept horticole de mur végétal sur support de feutre horticole. Ce concept qui se développe depuis une vingtaine d’années connaît l’une de ses réalisations les plus célèbres, le mur végétalisé du musée du Quai Branly, inauguré en 2012 qui rencontre un grand succès. Cette innovation a permis de donner de nouveaux visages à bon nombre de nos façades urbaines.

Le mur végétalisé du musée du Quai Branly, inauguré en 2012, rencontre un grand succès.

Crédit photo : www.murvegetalpatrickblanc.com

Si on tente donc de magnifier nos murs à grands coups de végétaux, certains collectifs comme les artistes du Boa Mistura ont à cœur d’agrémenter les murs des quartiers défavorisés comme ceux des favelas brésiliennes. À l’aide de couleurs vives, ce collectif peint des mots d’espoir sur les murs de ces ruelles tels que « amour », « force », « bonheur »… Ce genre d’actions s’inscrit dans la lignée plus générale du street-art.

Si, on le sait, et les exemples en la matière sont nombreux, les street-artistes investissent les rues pour exprimer des messages politiques, nous ne garderons qu’une illustration de murs particulièrement parlants. Ces murs sont ceux de la ville de Belfast, capitale de l’Irlande du nord. Cette ville a été séparée en deux par un mur suite au conflit religieux qui a déchiré l’Irlande dans les années 80 et est encore bien visible dans la ville. Depuis, le mur de séparation a été largement investi et les habitants expriment leurs convictions politiques par de grandes fresques à l’effigie de leurs héros comme Bobby Sand. Le résultat est à la fois impressionnant et particulièrement émouvant car on peut littéralement lire l’actualité de ce conflit sur les murs de la ville. Ces murs sont singuliers car, plus qu’une simple revendication, ils deviennent le support d’un hommage à l’échelle de la ville.

Les murs : éléments du tourisme ?

 Si donc les murs de Belfast démontrent bien l’utilisation qu’on peut en faire pour dépasser cette fonction première, on peut observer ce même phénomène avec l’un des murs les plus célèbres du globe : le mur de Berlin. Ce mur, tombé en 1989 semble être l’archétype de murs qui ont définitivement changé de fonction : autrefois craint et évité, il est devenu un véritable lieu de pèlerinage, sorte de “must-see”. La transformation de cette cicatrice urbaine à la symbolique particulièrement forte met en lumière l’avenir de certains murs en tant que lieux touristiques.

En ce sens, l’une des plus vieilles barrières de l’humanité, la Grande Muraille de Chine est un modèle probant du devenir d’un mur, vidé de sa substance. Accueillant entre quinze et seize millions de visiteurs par an et visible depuis une basse station spatiale, la Grande Muraille de Chine nous interpelle quant au potentiel touristique et à la capacité d’adaptation et d’intégration de murs a priori clivants.

Certains poussent l’aspect touristique des murs jusqu’à la polémique. C’est le cas de l’artiste Banksy avec son projet « Hotel Walled-Off ». Le célèbre street-artiste, connu pour ses positions engagées, en particulier au sujet du conflit israélo-palestinien a décidé d’investir un bâtiment vidé de ses habitants à quelques mètres du mur pour en faire un hôtel. Avec humour et sens du décalage, il souhaite montrer « la pire vue que l’on puisse avoir d’un hôtel ».

Le célèbre street-artiste Le célèbre street-artiste Banksy, connu pour ses positions engagées, en particulier au sujet du conflit israélo-palestinien a décidé d’investir un bâtiment vidé de ses habitants à quelques mètres du mur pour en faire un hôtel.

Crédits photos : http://www.lefigaro.fr/

Il n’en reste pas moins que ce projet très discuté n’est pas compris par tous et interpelle sur notre capacité et volonté à changer de regard sur les murs. Si certaines initiatives individuelles cherchent donc à inverser la perception que l’on a de ces formes urbaines clivantes, peut-être que nous ne sommes pas encore prêts à regarder les murs pour autre chose que ce qu’ils sont : des frontières.

Des murs qui n’en sont plus

Néanmoins, face à la demande grandissante de la part des autorités de construire de nouveaux murs-frontières, certaines voix et crayons s’élèvent afin de transformer la nature même de ces barrières et non plus seulement leur fonction.

Ainsi, les murs peuvent être investis de fonctions mémorielles, par leur évocation. C’est le cas du mur de Berlin, à l’occasion du très beau projet qui a été mis en place à l’occasion des 25 ans de sa chute. Ainsi, 8000 ballons lumineux ont été disposés selon l’ancien tracé du fameux mur. Les ballons étaient accrochés au sol pendant deux jours avant d’être lâchés dans le ciel le jour de la date anniversaire de la chute du mur.

Si les artistes ont la liberté de réinventer les murs pour les détourner, les architectes, bien que tenus par nombres de contraintes ne sont pas en reste. Ils font usage d’une grande créativité afin de proposer d’autres types de murs. C’est le cas du projet Open Border dessiné par l’agence de design Atelier Ari. Ce projet prend la forme d’un mur de quatre mètres de long, en plastique rouge, qui borne une piste de patin à glace le long de la rivière Assiniboine, à Winnipeg, au Canada. Effrayant au premier abord, ce mur est en réalité poreux et on peut donc passer au travers, comme son nom le suggère. Dans l’épaisseur de la structure, composée de deux pans principaux de PVC se trouve en réalité un abri destiné à réchauffer les patineurs. Le mur est donc bel et bien envisagé à l’inverse de son usage habituel, il devient accueillant, chaleureux et lieu de réconfort.

Le projet Open Borders prend la forme d’un mur de quatre mètres de long, en plastique rouge, qui borne une piste de patin à glace le long de la rivière Assiniboine, à Winnipeg, au Canada.

Crédits photos : http://www.atelierari.nl/

Au-delà de cette initiative, d’autres propositions, plus politiques, voient le jour. C’est le cas du projet imaginé par l’agence DOMO Architecture+Design qui veut remplacer le mur entre les U.S.A et le Mexique par un creux qui s’intégrerait au paysage. Ce projet rendrait de facto la frontière invisible et permettrait aux deux pays de s’apprécier dans un vis-à-vis direct.

Dans cette même idée, et toujours à la frontière américano-mexicaine, l’agence d’architecte Estudio 314 détourne complètement la fonction du mur en proposant d’en faire ni plus ni moins … qu’une promenade !

L’agence d’architecte Estudio 314 détourne complètement la fonction du mur en proposant d’en faire une promenade

Crédits photos : http://e314.mx/

Ce projet fictif, hommage au compatriote et confrère Luis Barragan joue sur l’affirmation monumentale de la frontière pour qu’elle devienne le tremplin d’échanges, de points de vue, de rencontres. À travers cette attraction touristique caustique, les concepteurs prouvent leur volonté de transformer la commande et démontrent que la fermeture des espaces n’est pas toujours une fatalité.

Ainsi, nous avons compris que le mur n’est plus nécessairement cette façade aveugle qui divise et qui oppose. Les architectes, artistes, riverains, s’emparent des murs pour les transformer et nous offrir une relecture de cet objet difficile à intégrer spatialement. Alors, devons-nous envisager le mur comme espace en soi et non plus comme ligne entre nous ?

LDV Studio Urbain
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