Mobilités et enjeux scénaristiques dans les séries TV

Les routes de L.A. et ses voitures : on croirait presque que c’est un décor de série avant d’être une réalité urbanistique (tant on les a vues à la télévision !) -Crédits Shalom sur Flickr
6 Déc 2017

Nous en avons déjà parlé ici par le passé : les séries TV sont des réservoirs à urbanités. Après tout, en tant qu’avatars modernes de la culture populaire, les séries TV renvoient à une certaine réalité pour pouvoir se connecter aux spectateurs.

Cela passe donc aussi par un ordre social et environnemental qui nous sont un tant soit peu familiers. Dès lors, la question des mobilités est quotidiennement présente sur nos petits écrans. Cependant, souvent, ces urbanités sont d’abord des “décors”, avant d’être des éléments de scénario à part entière.

Les routes de L.A. et ses voitures : on croirait presque que c’est un décor de série avant d’être une réalité urbanistique (tant on les a vues à la télévision !) -Crédits Shalom sur Flickr

Les routes de L.A. et ses voitures : on croirait presque que c’est un décor de série avant d’être une réalité urbanistique (tant on les a vues à la télévision !) -Crédits Shalom sur Flickr

Heureusement, que ce soit par simple contrainte d’écriture ou par choix artistique, les transports ont parfois trouvé une place de choix dans les séries TV ! Ci-dessous, on vous a sélectionné deux exemples particulièrement parlants…

24 : réduire l’espace pour gagner du temps

Commençons par un classique des séries qui a changé l’art télévisuel à jamais – dixit Alan Sepinwall[1] – avec 24 (ou 24 heures chrono en français). Dans son acception originelle, cette série, diffusée sur la Fox entre 2001 et 2010, suit l’agent Jack Bauer, membre de la Counter Terrorist Unit[2], durant les pires 24 heures de sa vie. Chaque saison compte 24 épisodes, d’une durée exacte d’une heure chacun (pub comprises). Car c’est une des spécificités de 24 : tout s’y déroule “en temps réel”. Cette contrainte temporelle devient un ressort scénaristique – les auteurs faisant en sorte que chaque cliffhanger majeur ait lieu à intervalle régulier, toutes les heures.

A cette contrainte temporelle s’ajoute une contrainte spatiale. Les 6 premières saisons de 24 ont essentiellement lieu dans la ville tentaculaire de Los Angeles et ses environs (désert de Mojave inclus) ; la 7e et la 8e saison ont migré sur la côte Est, entre Washington D.C. et New York. Evidemment, les ennemis de la liberté ne mettent pas leurs oeufs dans le même panier, et prennent donc soin de disperser leurs différentes bases dans des lieux opposés. Aussi, Jack Bauer doit crapahuter d’un endroit à l’autre, dans un laps de temps limité.

Photo rare d’un véhicule sur Canoga Avenue sans dérapage contrôlé - Crédits 24wikia.com

Photo rare d’un véhicule sur Canoga Avenue sans dérapage contrôlé – Crédits 24wikia.com

Ces déplacements incessants, la plupart du temps en SUV (véhicule de choix des équipes de terrain de la CTU), ou en hélicoptère, mettent d’abord en avant un pays où les moyens de transport – et en particulier l’automobile individuelle – sont reines. On a tout loisir d’admirer les larges autoroutes américaines sous le soleil californien.

Rien de tel qu’une course-poursuite en hélico pour compter les voitures fusant sur l’Interstate 5 - Crédits 24wikia.com

Rien de tel qu’une course-poursuite en hélico pour compter les voitures fusant sur l’Interstate 5 – Crédits 24wikia.com

Surtout, ils apparaissent pour des raisons scénaristiques. Et pour ne pas ennuyer le public avec des voyages interminables entre East LA et Downtown, il faut des moyens de transport rapides. Autre conséquence de ce postulat : la voiture-habitacle devient un lieu d’échange ou de confrontation. La première dame de Russie y racontera ses souvenirs d’enfance (saison 5, épisode 10) là où Jack tentera d’extirper des informations d’un suspect en mettant en pratique des méthodes de torture soviétiques (saison 1, épisode 11).

L’usage constant des véhicules dans 24 participe non seulement à l’immersion dans un environnement – les métropoles américaines sur-urbanisées – mais également au scénario, offrant ainsi des pauses narratives à un contenu dense dans son ensemble.

Transports et ruralité : l’exemple de Love Live! Sunshine!!

Laissons les larges avenues angelenas et partons au Japon pour notre deuxième exemple, avec la série animée Love Live! Sunshine!! Adapté d’un jeu de rythme mobile très populaire[3], la licence a connu à ce jour deux adaptations en séries. C’est la seconde adaptation qui nous intéresse ici. L’action se déroule dans la petite ville côtière de Uchiura (rattachée à Numazu)[4], dans la préfecture de Shizuoka. Là, un lycée pour jeunes filles risque de fermer, faute de nouvelles inscriptions. Pour résoudre ce problème, Chika, en classe de première, monte un groupe d’idols (pop-stars japonaises jeunes et souriantes) nommé AQOURS, espérant ainsi se faire remarquer et attirer de nouvelles futures étudiantes.

Dans ce contexte de dépeuplement des communes rurales, un épisode nous intéresse : l’épisode 3 de la deuxième saison, intitulé Niji (arc-en-ciel). Dans cet épisode, les filles d’AQOURS sont confrontées à un problème : elles doivent performer le même jour à deux endroits radicalement opposés. Manque de chance, le car local qui relie les deux endroits ne passe que toutes les 3 heures. Impossible, donc, de participer à ces deux événements cruciaux à temps.

Le (disco)bus de Uchiura ou l’incarnation des transports collectifs guillerets - Extrait de Love Live! Sunshine!!

Le (disco)bus de Uchiura ou l’incarnation des transports collectifs guillerets – Extrait de Love Live! Sunshine!!

Cette contrainte met en avant une conséquence majeure du dépeuplement rural : l’isolement accru des dernières poches d’habitation, délaissée de plus en plus par les services de transport en commun, contraignant les locaux à utiliser la voiture. Les membres d’AQOURS étant mineures, elles ne peuvent donc opter pour cette solution.

La résolution du problème viendra de l’astuce de Chika, faisant appel à ce que l’on pourrait considérer comme du bon sens paysan. Les pentes des collines entourant Uchiura sont plantées de mandariniers. Pour faciliter la récolte des fruits, les locaux ont installé des tracteurs monorail, afin de descendre chargés de fruits. C’est évidemment ce moyen de transport alternatif peu commun que vont utiliser les filles pour pouvoir se rendre à temps à leur deuxième concert.

Monorail & Mandarines - Extrait de Love Live! Sunshine!!

Monorail & Mandarines – Extrait de Love Live! Sunshine!!

Monorail & Mandarines - Extrait de Love Live! Sunshine!!

Monorail & Mandarines – Extrait de Love Live! Sunshine!!

Contrairement à ce que l’on a vu avec 24, la question du transport joue ici un rôle de contrainte. Cependant, l’astuce trouvée par les héroïnes pour pallier l’offre réduite de car locale a évidemment une portée scénaristique des plus importantes.

Si avec ces deux exemples, nous n’avons pu qu’effleuré la question des mobilités dans les séries TV, il serait plaisant de poursuivre cet observatoire avec d’autres exemples significatifs… En attendant que nous remettions le pied à l’étrier dans un billet prochain, n’hésitez pas à laisser un commentaire pour partager vos modes de déplacements préférés piochés dans les séries !

[1] L’application compte plus de 22 millions d’utilisateurs dans le monde.

[2] Quelques fans se sont amusés à répertorier les lieux de la série animée dans la vraie ville de Uchiura.

[3] Alan Sepinwall est un célèbre critique TV américain, auteur de The Revolution was Televised et de TV (The Book).

[4] La CTU est une agence fictive, chargée de protéger le territoire américain contre toute éventualité terroriste.

Thomas Hajdukowicz

{pop-up} urbain
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