Mobilier urbain : pour en finir avec la ville hostile

22 Oct 2014

Plusieurs pétitions ont été lancées en juin 2014 pour réclamer la suppression du mobilier urbain anti-SDF et réclamer un espace public plus accueillant. Explications.

Les rampes ont remplacé les bancs dans la plupart des grands métros, comme ici à Yokohama, au Japon. Copyright : Dddeco / Wikimedia

Les rampes ont remplacé les bancs dans la plupart des grands métros, comme ici à Yokohama, au Japon.
Copyright : Dddeco / Wikimedia

Pourquoi une pétition contre la « ville hostile » ?

Le 11 juin, le site change.org publiait une pétition pour protester contre les piques anti-SDF installées devant l’entée d’un immeuble londonien du quartier de Southwark. Quelques heures plus tard, le texte était signé par plus de 90 000 citoyens… Constatant la mobilisation populaire sur ce sujet, le politologue Sébastien Thierry, l’urbaniste Yoann Sportouch, l’architecte Roland Castro et Jacques Bérès, co-fondateur de Médecins sans Frontières, publiaient à leur tour une pétition sur le Huffington Post et le site Lumières de la Ville, intitulée « À Paris comme à Londres : halte à la ville hostile ! ».

Les cosignataires de ce texte regrettent que les deux métropoles mènent une politique de la ville consistant à faire la chasse aux populations indésirables, en particulier aux SDF. Dénonçant des « plans de « nettoyage » de l’espace public », ils regrettent que cette politique finisse par transformer le citadin en simple spectateur du décor urbain et produise « une violence protéiforme à l’encontre du passant, du flâneur, de l’errant (…) productrice d’exclusion et de marginalisation à large échelle. » Loin de favoriser le vivre ensemble, l’aménagement de dispositifs rendant la ville toujours plus hostile ne peut, à terme, qu’entraver l’hospitalité et la construction d’un espace commun digne de ce nom : « Nous faisons l’expérience de la rue non plus comme un espace de rencontres, mais comme un univers où s’expriment la peur et la méfiance, où la violence faite à l’expression de chacun se fait de plus en plus forte. »

Assiste-t-on vraiment à une chasse aux SDF ?

« Paris s’enrichit depuis une dizaine d’années de dispositifs d’éloignement de quiconque n’est pas socialement convenable », écrivent les cosignataires de la pétition. Difficile de les contredire. Piques, arceaux, galets de pierre, grillages, pans métalliques inclinés au pied des immeubles… C’est toute une gamme de dispositifs censés dissuader les SDF de squatter la rue qui s’est développée ces dernières années, à Paris mais aussi dans d’autres villes de taille plus modeste. En 2009, le collectif d’artistes The Survival Group avait d’ailleurs fait parler de lui en publiant des photos des différents types de mobiliers anti-SDF. « Tout est mis en place pour rendre cette population invisible. L’été, à Paris, c’est tolérance zéro, comme à Londres : les SDF sont chassés de la ville durant la journée, même s’ils réapparaissent le soir venu », déclarait en 2013 l’anthropologue Daniel Terrolle dans les colonnes du magazine Usbek & Rica.

Boulons anti-SDF sur le perron d’un immeuble de Marseille (Bouches-du-Rhône).  Copyright : DocteurCosmos / Wikimedia

Boulons anti-SDF sur le perron d’un immeuble de Marseille (Bouches-du-Rhône).
Copyright : DocteurCosmos / Wikimedia

Le mobilier anti-SDF est-il pour autant efficace ? Difficile à dire. Transformer un banc public en sièges individuels est forcément dissuasif. Mais le développement de ces équipements n’a pas pour autant repoussé les SDF hors des villes, loin de là. En France, ils seraient encore aujourd’hui plus de 130 000 à dormir dans la rue… D’ailleurs, les politiques eux-mêmes commencent à reconnaître que l’installation de tels dispositifs est contre-productive. Peu après la publication de la pétition sur change.org – qui lui était directement adressée – le maire de Londres Boris Johnson a jugé sur Twitter que les piques anti-SDF étaient « moches, inefficaces et stupides », plaidant lui aussi pour leur retrait. « On juge que c’est inadmissible d’utiliser de telles techniques, qui sont dégradantes », a déclaré quant à elle Valérie Plante, la conseillère de Ville-Marie, un arrondissement de Montréal où fleurissent également de tels dispositifs.

Le problème, c’est que malgré leur bonne volonté, les municipalités n’ont pas forcément le dernier mot sur ce sujet. La plupart du temps, ce sont en effet les bailleurs sociaux ou bien des établissements commerciaux privés (banques, supermarchés, etc.) qui décident d’installer ces dispositifs inhospitaliers. Et si les villes luttent contre « l’occupation abusive » de l’espace public, c’est plutôt en signant des circulaires et des contrats locaux de sécurité leur permettant notamment d’installer des caméras à leur guise.

Interpeller les autorités municipales, comme le font les auteurs de la pétition, est néanmoins une démarche utile. Fixer un cap politique et tout faire pour rendre en pratique la ville plus accueillante ne coûte, en effet, pas grand-chose. Pour autant, c’est moins au niveau du mobilier urbain que de la politique de logement que les villes pourront lutter efficacement contre le « sans-abrisme ». « Aujourd’hui, environ 30 % des salariés parisiens gagnant 450 à 600 euros par mois sont SDF parce qu’ils ne peuvent pas se payer un logement dans la capitale », rappelait Daniel Terrolle à Usbek & Rica. « Il faut donc construire des immeubles abritant de petits logements individuels avec salle de bains pour accueillir les personnes à la rue qui sont dans des situations de transition. Malheureusement, on n’en prend pas le chemin : les villes préfèrent construire des bureaux… »

Du mobilier urbain DIY en dernier recours ?

À défaut de pouvoir compter sur les villes pour rendre les rues plus accueillantes, on peut toujours mettre les mains dans le cambouis pour concevoir soi-même du mobilier urbain. Une logique do it yourself mise en pratique depuis plusieurs années déjà par l’« hacktiviste » urbain Florian Rivière, que Demain la ville avait pris le temps d’interroger en mai 2013. L’idée : construire soi-même un banc public, une balançoire ou une table avec des matériaux de récupération, par exemple des palettes en bois. Une solution conviviale, ludique, originale, mais vouée à être éphémère. Pour des raisons légales, il est en effet impossible que le mobilier urbain conçu par les citoyens reste indéfiniment en place. Mais bon, c’est toujours mieux que rien…

Usbek & Rica
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