Les rues aux enfants: modèles pour le partage des usages urbains ?

© Katharina N. de Pixabay
9 Août 2023 | Lecture 4 minutes

Depuis quelques années, de nombreuses collectivités et associations ont pris conscience du besoin de sécuriser les abords des écoles et se sont lancées dans la reconquête de leur rue pour les offrir aux enfants. À Lyon, ce sont désormais plus de 7500 écoliers qui bénéficient d’espaces rendus piétons et accueillant de nouveaux usages ludiques devant leurs écoles. Entre apaisement des flux, concertation, design urbain et chronotopie, le modèle des rues des enfants explore de nombreuses thématiques qui sont expérimentées en ville. Mais alors que les sujets de piétonnisation sont souvent sources de tension, comment pouvons-nous nous inspirer du succès des rues aux enfants afin d’imaginer des espaces urbains apaisés ?

Les enfants ont disparu des rues. C’est le constat que beaucoup se font. Pourtant, les rues ont pendant longtemps été le terrain favori de ces derniers : à la sortie de l’école, les mercredis ou encore les week-ends, tous se retrouvaient spontanément en bas de chez eux pour jouer à la balle dans les rues que les voitures n’avaient pas encore envahies. Car, en effet, ce sont bien  les dangers liés au tout-voiture qui ont peu à peu fait disparaître les enfants des rues durant le siècle dernier. Augmentation du nombre de véhicules motorisés, perception accrue de l’insécurité, conflits d’usages, autant d’arguments qui ont fini de convaincre les parents de privilégier les aires de jeux dans les squares et parcs à la spontanéité de la rue. Pourtant, la ville est souvent considérée dans les imaginaires comme un véritable terrain de jeu qui participe pleinement au développement sensoriel et à l’épanouissement des plus jeunes.

En disparaissant physiquement de la rue, il se pourrait bien qu’ils aient aussi disparu des préoccupations de celles et ceux qui fabriquent la ville. Pendant de nombreuses années, ils ont été les grands oubliés des politiques publiques de l’aménagement, rendant ainsi les espaces publics stériles à l’épanouissement infantile. Mais ces dernières années, la tendance s’inverse tant dans la prise en compte des usages liés aux enfants que dans la co-construction des espaces avec eux. Et un modèle symbolise particulièrement ce changement : celui de la rue aux enfants.

La rue aux enfants, ça consiste à quoi ?

C’est en 2015 qu’un collectif d’associations se forme pour œuvrer collectivement à rendre la rue aux enfants. Pour cela, il s’organise à l’échelle nationale pour proposer plusieurs appels à projets. Ces derniers consistent, pendant un temps limité ou de façon pérenne, à fermer une rue à la circulation automobile pour y installer des usages dédiés aux piétons et plus particulièrement aux enfants. Depuis quelques années, des initiatives fleurissent ainsi un peu partout en France.

C’est le cas à Nantes, l’une des premières ville à avoir accueilli l’initiative en 2016. Depuis, ce sont quatre éditions qui ont été réalisées et portées par des associations différentes avec la même envie : celle de redonner la place à l’enfant dans l’espace public.

 

Des initiatives qui se révèlent être non seulement très appréciées des usagers piétons et enfants, mais aussi de véritables aventures collectives pour celles et ceux qui se mobilisent et qui  prouvent qu’il est possible d’agir sur l’espace public, et donc de se le réapproprier. Car ce qui est intéressant dans la démarche la rue aux enfants, et bien évidemment la mixité d’usages qu’elle apporte, mais aussi, par-dessus tout, sa capacité à concrétiser des pratiques qui ne sont que rarement pris en compte dans l’aménagement des voiries : concertation auprès des usagers, empowerment des associations locales, chronotopie, voir utopie… Autant d’actions qu’il est bien souvent compliqué de mettre en place. En effet, le partage des voiries est un sujet tendu, où les différentes parties prenantes (usagers, commerçants, collectivités…) parviennent avec difficulté à se mettre d’accord. Alors que la tendance est à la diminution de la place des véhicules motorisés, la piétonisation des rues peinent à s’imposer notamment sous le poids des unions commerciales qui y voit une diminution de la fréquentation de leurs établissements.

La rue aux enfants a pour le coup, et particulièrement par le biais du temporaire, réussi à fédérer l’ensemble de ces acteurs, et ce de manière concertée. Une preuve qu’il est donc possible d’agir collectivement pour le partage de l’espace public.

Ces collectivités qui souhaitent rendre aux enfants la rue

Certaines fois, ce sont les collectivités qui mènent de véritables politiques d’aménagement en faveur de la place des enfants dans les rues. À Lyon, l’équipe municipale s’est emparée à bras-le-corps du sujet en piétonnisant les voies aux abords d’écoles et de crèches. Depuis l’été 2020, ce sont 29 sites qui ont été désignés pour prendre part à ce mouvement. Élargissement des parvis, trottoirs, diminution de la circulation automobile à 20 km/h ou encore interdiction totale de la voiture, autant d’actions qui ont pour vocation de rendre l’espace de la rue au jeune public. Car plus que les enjeux de sécurisation, c’est surtout la capacité de la rue à accompagner l’évolution de l’enfant dont il est question. En effet, ces aménagements sont tous pensés pour favoriser l’autonomie, la stimulation des sens, la diminution de la pollution de l’air et sonore et avant tout l’épanouissement des écoliers.

Tweet de Vincent Monot pour l’inauguration de la nouvelle rue Saint Michel

Au cœur du 7ᵉ arrondissement, l’école maternelle et élémentaire Gilbert Dru a été l’une des premières à bénéficier d’aménagements pour rendre la rue aux enfants. En effet, dès la rentrée de septembre 2021, la rue a été fermée aux voitures. Une décision concertée par un comité de pilotage incluant représentants des parents d’élèves, directeurs des écoles, conseil de quartier, élus et services techniques, qui a permis de définir collectivement les objectifs de la mutation de la voirie et assurer un suivi du chantier. Le résultat est surprenant : la voirie initialement dédiée à la circulation des véhicules a complètement été rendue aux piétons, et s’est vu dotée de mobiliers ludiques et sportifs, de plantation permettant de créer des espaces ombragés indispensables au bien-être des enfants et parents lors des mois les plus chauds. Des idées qui ne sont pas sorties de nulle part, car ce sont bien les élèves eux-mêmes qui ont imaginé la rue idéale lors de temps pédagogiques dédiés.

Une réalisation qui s’est révélée être un véritable succès, à la fois d’un point de vue des enfants qui apprécient particulièrement les zones de jeux installées, mais aussi des parents séduits par la sécurisation proposée.

Et si on généralisait l’approche ?

Les efforts en termes d’aménagement des espaces dédiés aux enfants réalisés ces dernières années sont autant nécessaires qu’inspirants. Ils sont la preuve que le partage des usages sur les voiries est non seulement possible, mais aussi largement apprécié de toutes et tous. Pour le moment, même s’ils tendent à être de plus en plus nombreux, ils restent malheureusement trop ponctuels. Alors qu’on parle de rue des enfants, pourrions-nous imaginer la ville à hauteur d’enfants ? Donner un cadre urbain pour l’épanouissement et le développement des plus jeunes est un défi collectif pour construire des villes inclusives.

 

LDV Studio Urbain
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