Le roi bois

© Mjøstårnet en Norvège est la deuxième tour en bois la plus haute du monde - Facebook
28 Déc 2022 | Lecture 3 min

Énièmes démonstrateurs ou vrai virage ? Pour parvenir aux objectifs européens de réduction des émissions de carbone, le BTP se passionne pour le bois. Pourtant, des méthodes de calcul à la gestion des forêts, l’avènement du bois est plus compliqué qu’on ne pense.

Cet été, le plus haut bâtiment en bois du monde a été inauguré à Milwaukee, aux États-Unis. Cette tour de logement de 25 étages et 87 mètres vient détrôner à 2 mètres près la tour norvégienne Mjøstårnet qui détenait le record depuis 2019. Tous deux sont des prouesses technologiques. Ils utilisent notamment du bois lamellé croisé (CLT), constitué de planches de bois collées perpendiculairement les unes aux autres pour renforcer le matériau. Leurs structures sont hybrides, alternant l’utilisation de bois ou de béton selon les besoins. Enfin, Ascent, la tour du Milwaukee, a utilisé le BIM pour être érigée, confirmant l’intérêt de la technologie de modélisation numérique.

Testé et approuvé

Ces dernières années, ce types de projets se sont multipliés dans le monde. À Amsterdam, le quartier « Mandela » – intégralement en bois – devrait accueillir 2100 résidents d’ici 2025, dont 80% de logement social. La France a vu s’élever notamment la tour « Sensations » à Strasbourg et la tour « Hyperion » – du nom de l’arbre connu le plus haut du monde en Californie – à Bordeaux. La première, de 38 mètres, a été construite intégralement en bois (à part le rez-de-chaussée), tandis que la seconde fait 58 mètres de haut, avec des fondations et un noyau en béton. D’autres projets de moindre envergure voient aussi le jour. En réalité, la part des projets de construction en bois représente en France 6,5% dans le logement et 16,8% en non résidentiel. Et elle est en augmentation.

« On a franchi un seuil, affirme ­Céline ­Laurens, déléguée générale de Fibois, association qui fédère les acteurs de l’interprofession. Avec un saut qui est à la fois quantitatif et qualitatif. » Techniquement, tout semble avoir été testé. Le secteur de la construction bois, s’il était frémissant depuis quelques années, est en train de se mettre en ordre de marche. Il est d’ailleurs boosté par législation, en particulier la réglementation environnementale RE2020 qui s’inscrit dans la stratégie nationale bas carbone.

La voie de la réglementation

Créée en 1974 à la suite du choc pétrolier, la réglementation thermique est la première pierre législative visant à maîtriser la consommation d’énergie fossile. Elle impose la mise en place d’isolants thermiques dans les bâtiments et l’emploi d’appareils à thermostat. Cette logique de maîtrise de l’énergie s’est développée pendant plusieurs décennies avec en point d’orgue la RT 2012. Celle-ci a fait apparaître des bâtiments « basse consommation », « zéro émission » voire à « énergie positive ». On ne pouvait pas faire beaucoup mieux…

© Isolation en laine de bois - Heol

© Isolation en laine de bois – Heol

Alors s’est posée la question des émissions en dehors de l’utilisation du bâtiment. En ajoutant l’analyse du cycle de vie (ACV) comme outil de calcul des émissions carbone d’un immeuble, la RE 2020 a imposé la prise en compte des émissions à la construction et à la fin de vie du bâtiment. De l’extraction des matériaux, à leur transport, leur transformation, leur assemblage, à la destruction du bâtiment quelques décennies plus tard, tout le carbone est comptabilisé. La conséquence ? Une prime aux constructions bois car l’arbre stocke naturellement du CO2 en poussant (on parle de carbone biogénique) et un malus aux bétons traditionnels qui nécessitent la production de ciment très émetteur.

Le puit et la filière

Selon l’Ademe, « l’emploi du bois d’œuvre permet d’être crédité d’émissions négatives », c’est la fonction puit de carbone. Dès lors, on comprend bien l’intérêt pour un constructeur soucieux de son bilan carbone. Deux conditions sont absolument nécessaires à cela. La première est que le bois « provienne d’une forêt « bien gérée« , c’est-à-dire d’une forêt où les coupes et les plantations se compensent ». La seconde est que le bâtiment ait une durée de vie suffisante. Car il n’y a pas de tour de magie : si le stockage est inférieur à la durée de pousse d’un arbre adulte, le calcul n’est pas bon. D’autant plus que si le bois est incinéré en fin de vie, le CO2 stocké pendant la durée de vie du bâtiment est relâché dans l’atmosphère. Ces deux conditions soulignent des problématiques essentielles, l’une concerne la gestion des forêts en France, l’autre les débouchés pour le bois en fin de vie.

On entend souvent que les forêts françaises sont en croissance, c’est vrai. La déforestation ne touche pas la France métropolitaine qui possède la 4ème surface forestière d’Europe. Mais selon l’accessibilité des terrains ou les essences disponibles, toutes ne sont pas exploitables pour produire du bois de construction. En 2010, plusieurs acteurs du secteur tiraient déjà le signal d’alarme. Par ailleurs, les forêts doivent faire face à de lourdes menaces liées au réchauffement climatique (incendies, parasites, adaptation des essences…). Dans certains territoires, la prolifération des ongulés (cerfs, sangliers, chevreuils…) empêche aussi les forêts de se renouveler.

Stratégie forestière

D’après un rapport de la Cour des Comptes de 2020, « la filière forêt-bois est, depuis au moins deux décennies, en crise structurelle, entretenue par un sous-investissement chronique et une compétitivité insuffisante. Cette crise révèle un manque d’intégration entre l’amont et l’aval, entre l’offre et la demande de bois. » Comme un trou dans la chaîne de production, qui fait que la France « exporte beaucoup de bois brut et importe de plus en plus de produits transformés ».

L’activité de la filière forêt-bois représente aujourd’hui 60 milliards d’euros. En 2020, à l’initiative de la fédération de professionnels Fibois Île de France, un pacte a été signé par des structures du monde de l’aménagement et de l’immobilier. Aujourd’hui ce sont 45 signataires qui se sont engagés « à réaliser jusqu’à 40% de leur production francilienne en bois et biosourcés d’ici 2025 », ce qui représente 1,3 millions de mètre carrés à construire. Un élan puissant et prometteur, à condition que les enjeux forestiers et de fin de vie du matériau soient pris en compte sérieusement.

© Label PEFC de gestion durable - PEFC Auvergne

© Label PEFC de gestion durable – PEFC Auvergne

Usbek & Rica
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