Le bidonville, laboratoire d’un urbanisme en bottom up

Devant une des maisons construite par URBZ. Crédits : Clément Pairot
23 Sep 2015

Face aux échecs des plans de « re-développement » des bidonvilles organisés par les autorités publiques et conçus par des promoteurs privés, quelles solutions émergent pour permettre une amélioration des conditions de vie des habitants des bidonvilles de Mumbai? Comment ces approches singulières ouvrent une nouvelle voie dans la réflexion sur la construction de la ville?

Le plan de re-développement. Crédits : Clément Pairot

Le plan de re-développement. Crédits : Clément Pairot

Le re-développement : une logique de table rase qui ne fait pas ses preuves

Quand on entre à Dharavi par le nord du slum on dépasse un panneau affichant le découpage prévu du « plan de re-développement » du quartier conçu dans la deuxième moitié des années 2000.  Jamais réalisé, toujours repoussé, à l’exception de quelques rares îlots, ce projet projetait de transformer radicalement Dharavi en découpant son territoire en 5 quartiers vendus à des promoteurs immobiliers qui avaient pour mission de construire des  immeubles de logements pour les habitants délogés et pouvaient en contre-partie utiliser la surface libérée au sol pour construire d’autres logements ou bureaux.

Avant la crise, le projet avait de quoi faire rêver : un grand espace au coeur de Mumbai  à la jonction de plusieurs lignes de trains, emplacement  idéal sur le papier.

Cependant, le plan de re-développement s’est heurté à plusieurs écueils : la crise économique qui a frappé le secteur immobilier, l’opposition d’une bonne partie des habitants et l’échec relatif des premiers essais.

En effet, le type de densification des bidonvilles que soutient cette logique administrative pose de nombreux problèmes. Le mode de vie et l’habitat sont fortement connectés dans les bidonvilles; aussi changer d’habitat brise les modes de vies et les dynamiques locales avec des conséquences économiques et sociales souvent très négatives. Par ailleurs, les immeubles construits par les promoteurs en charge des projets de « re-développement » de bidonvilles présentent des charges de maintenance plus élevées et souvent trop coûteuses pour les foyers modestes auxquels ils sont destinés. Ainsi, d’un côté, la nouvelle forme d’habitat change les modes de vies et assèche les sources de revenus traditionnelles de nombreux foyers (petit artisanat etc.), d’un autre  elle augmente les charges liées à l’habitat…équation impossible. C’est pourquoi nombreux sont les foyers relogés qui mettent l’appartement en location et retournent vivre dans le bidonville.

Et pourtant, une action d’ampleur est nécessaire pour améliorer les conditions de vie des habitants dans les bidonvilles notamment en termes d’accès à l’électricité, à l’eau et aux services publics.

Une prise de conscience des habitants de leur quartier

Le petit artisanat  est une source de revenus traditionnelle de nombreux foyers. Crédits : Clément Pairot

Le petit artisanat est une source de revenus traditionnelle de nombreux foyers. Crédits : Clément Pairot

 C’est dans cette logique que Mathias et Rahul, deux architectes et volontaires d’ONG à Mumbai ont fondé URBZ, une entreprise hybride entre l’agence d’architectes et l’agitateur d’idées neuves.  Rahul explique : « En 2008, nous avons organisé un atelier à Dharavi  avec des habitants, des architectes, des artistes, des designers. A cette époque, Dharavi était le coeur d’un intense débat sur le projet de re-développement. C’est à ce moment-là que nous avons fondé URBZ, convaincus de la nécessité de changer d’approche pour le développement des bidonvilles ». Mathias résume: « URBZ  était une initiative collective avec d’autres étudiants dont le principe fondateur est de s’intéresser à la question du développement urbain à partir des habitants du lieu. »

 L’atelier, centré sur le quartier de Kolivala au coeur de Dharavi, a permis d’étayer la compréhension du développement historiquement très progressif de celui-ci et de faire émerger une volonté politique des représentants élus du quartier : faire sortir Kolivala du périmètre de re-développement en justifiant cela par le fait qu’il n’était pas un bidonville à proprement parler.

Suite au succès de l’atelier , d’autres groupes d’habitants de Dharavi les ont contactés. Nombreux étaient ceux qui questionnaient la dénomination de bidonville, sujet éminemment politique comme nous l’évoquions précédemment (lien vers le premier article).

« La crise financière nous a en quelque sorte sauvé ,  nous a donné un moment de répit puisque le plan , au final, n’a pas été mis en oeuvre . Et aucune des cinq grandes sections n’a été finalement réalisée. » Le gouvernement a alors décidé de re-développer Dharavi avec une approche plus locale confiée à une agence publique appelée Mhada.

Un conception du futur quartier centré sur l’habitant et les compétences locales

Devant une des maisons construite par URBZ. Crédits : Clément Pairot

Devant une des maisons construite par URBZ. Crédits : Clément Pairot

 Nos deux architectes et leur équipe prennent à rebours la logique descendante de table rase du re-développement « classique » et insistent : « Avant de détruire et de re-développer, il faut déjà réaliser un recensement, une cartographie de ce qui existe déjà », pour comprendre ce que l’on détruit. Les références qui soutiennent leur action ne sont pas pour autant hétérodoxes; Mathias cite Le Corbusier  : « Pour être un bon architecte  il faut du talent, pour faire un bon programme il faut être un génie. » et constate que « l’usage la plupart du temps ne correspond pas à ce que l’architecte avait prévu dans son programme. »

Face à cet échec relatif, URBZ développe une autre logique :  « Au lieu de chercher à être des génies, nous essayons d’être à l’écoute du « genius locii » qui ne peut pas être traduit dans un plan. Cela touche à l’atmosphère, au caractère du lieu.  Il s’agit alors de traduire cela par des récits  qui permettent de dégager des axes fort pour le futur plan. Le genius locii est une production collective du lieu, pour le faire émerger il faut parler aux habitants et découvrir leurs histoires. »

Mathias souligne que, dans les bidonvilles, les maisons ne sont pas  construites  par les habitants eux-mêmes mais par des artisans locaux. Les matériaux viennent de l’extérieur mais les compétences sont issues du quartier. Dès lors, URBZ cherche la meilleure manière de soutenir l’économie locale de la construction en facilitant la coopération entre les artisans locaux du secteur du bâtiment , les architectes et les ingénieurs. « On crée ainsi un croisement entre les compétences locales, des modes de vie, et des compétences davantage issues d’un bagage académique et formel. » Et quand il y faut trancher, c’est l’artisan local qui a le dernier mot. Ainsi celui qui construit au final n’est pas un simple exécutant.

Une développement qui questionne les approches classiques

Mathias esquisse en fin d’entretien le résultat concret de leur approche dans une critique affirmée du mode de re-développement habituel:  « Les préjugés voudraient que dans les bidonvilles on puisse faire un bond dans la modernité en changeant la typologie. Or ce genre de politique est jusqu’à maintenant un véritable échec, ne permettant pas de fournir d’habitat convenable et générant davantage de déplacements pendulaires*. »
Afin de permettre à ce type de développement, progressif et concerté, de garder un certain équilibre , de prévenir un « laisser-faire » anarchique,  il convient de l’adosser à un cadre général, à une structure, à commencer par la question foncière.
La définition de l’occupation du sol est essentielle. « Dans les plans de re-développement on insiste sur le logement car on est dans une logique de propriété privée…alors que ce n’est pas du tout le régime prédominant dans les bidonvilles. » Ainsi, il s’agit de préserver des modes hybrides, notamment ceux fondés sur les droits d’occupations où la seule valeur est la valeur d’usage estimée par l’acheteur. Au contraire ,« la propriété privée est la première étape ouvrant la voie à la spéculation » avec ses conséquences délétères sur le devenir urbain et la mixité sociale.
Dans le même esprit, existent partout dans le monde des structures légales traditionnelles comme les « société d’habitat coopératif » . « Développer ce modèle dans nos sociétés semblerait pertinent: il sécurise la propriété et peut être centralisé sur une grande parcelle mais subdivisé en différents lots individuels. ». Bien que cette approche paraisse encore très radicale il est intéressant de remarquer que des projets divers de d’habitat coopératif émergent notamment en France, à Toulouse ou à Montreuil par exemple.

*L’expression désigne les déplacements quotidiens des personnes de leur domicile à leur lieu de travail et inversement.

Epicurban
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