La ville verte modifie-t-elle la fabrique de l’urbanisme ?

29 Déc 2023 | Lecture 4 min

À la jonction de Nantes, Rezé et Bouguenais se situe le quartier Pirmil-Les Isles : une zone en pleine métamorphose. “À l’horizon 2030, ce quartier ouvert sur la Loire et situé au cœur de la métropole nantaise accueillera 3 300 logements. Près de 150 hectares de Pirmil (…) vont évoluer.” (Nantes Métropole) Cette transformation se fera sous le signe de la transition écologique et de la “ville nature”. Deux experts en urbanisme ont exploré la façon dont ces objectifs de sobriété modifient en profondeur les pratiques habituelles des promoteurs immobiliers.

Les objectifs de sobriété et la mutation de la maîtrise d’œuvre urbaine

Deux enseignants-chercheurs en urbanisme, une enquête exploratoire

Sophie Eberhardt, enseignante-chercheuse en urbanisme et directrice du City Design Lab (L’École de design Nantes Atlantique) et Jérôme Rollin, enseignant-chercheur en urbanisme (Groupe ESPI), ont analysé le cas du projet urbain de Pirmil-Les Isles. Lors d’une recherche exploratoire, ils ont constaté que les modalités opérationnelles de projets urbains plus sobres et circulaires modifiaient les pratiques habituelles des promoteurs immobiliers.

D’un point de vue méthodologique, cette recherche s’est nourrie d’un corpus de 15 entretiens menés auprès de 7 opérateurs immobiliers et d’un bureau d’études spécialisé dans la transition écologique.

L’enquête examine l’ensemble du processus opérationnel s’étendant sur 12 ans : de la première étude prospective réalisée par le Cabinet Obras en 2011 à la consultation immobilière menée par Nantes Métropole Aménagement au printemps 2023. En effet, c’est Nantes Métropole Aménagement, société publique locale créée en 1992, qui détient la maîtrise d’ouvrage de ce projet.

Le surgissement de la circularité dans le projet urbain précurseur de Pirmil-Les Isles

L’objectif de circularité du projet urbain apparaît en 2017 lorsque Nantes Métropole Aménagement remporte l’appel à manifestation d’intérêt “économie circulaire et urbanisme” lancé par l’ADEME. La ville souhaite tout d’abord assurer une “transition des modes constructifs” et vise plusieurs objectifs, dont le réemploi, le recyclage, et l’utilisation de matériaux à faibles émissions de carbone.

Puis, en 2019, Le Cahier des Clauses Techniques Particulières intègre de nouvelles prescriptions relatives à la construction, à la gestion des déchets, de l’eau, aux déplacements, tout en valorisant le principe de circularité.

La rupture avec les processus traditionnels de la maîtrise d’œuvre

En 2019, le projet Pirmil-Les Isles entre dans sa phase opérationnelle. Autour de l’agence Obras, la maîtrise d’œuvre urbaine élabore un projet de transition qui implique, de facto, une rupture avec les processus traditionnels de construction décrits comme linéaires.

Cahier de vue d’ensemble de la 1ère phase, Nantes Métropole Aménagement (2022)

Cahier de vue d’ensemble de la 1ère phase, Nantes Métropole Aménagement (2022)

Le cahier des charges, généralement très précis, ne prend pas toujours en compte les éléments de contexte local. Ici, le processus d’association des acteurs se transforme : il intègre les entreprises de construction et les opérateurs en amont de l’appel à consultations. Un panel d’habitants est également associé aux réflexions précédant le lancement du projet.

D’un processus rigide, en silo, on évolue vers un processus dynamique, interactif, qui enrichit les fondations du projet grâce aux apports d’experts et de citoyens, avant même la phase opérationnelle. L’ADEME le confirme : “Dès la réponse à l’AMI, Nantes Métropole Aménagement a intégré (…) que l’aménagement devrait être en rupture avec les processus classiques de production de la ville (…) pour favoriser l’émergence de solutions innovantes.”

Atelier “Sols et végétations en transition”, Pirmil-Les Isles © Nantes Métropole Aménagement  / Novabuild

Atelier “Sols et végétations en transition”, Pirmil-Les Isles © Nantes Métropole Aménagement  / Novabuild

L’innovation fondamentale d’une co-construction du cahier des charges immobilier

Pour les promoteurs immobiliers : plus d’engagement, plus d’apprentissage, plus de coopérations

Afin d’être au plus près des réalités du terrain, un sourcing d’acteurs économiques locaux a lieu entre 2019 et 2021. Il a rassemblé des acteurs de filières liées aux matériaux écologiques (bois, chanvre, paille, ciment bas carbone, terre), des acteurs de la mobilité (vélo, services, logistiques), de l’énergie ou encore du paysagisme. En partenariat avec Novabuild, trois ateliers collectifs ont regroupé 60 à 80 de ces professionnels autour de thématiques liées à la ville circulaire.

Atelier “Sols et végétations en transition”, Pirmil-Les Isles © Nantes Métropole Aménagement / Novabuild

Atelier “Sols et végétations en transition”, Pirmil-Les Isles © Nantes Métropole Aménagement / Novabuild

Dans ce cadre, de nouvelles questions ont émergé :

  • Comment intègre-t-on les entreprises de construction et les opérateurs en amont de la construction immobilière ?
  • Comment cela impacte-t-il la façon dont les opérateurs immobiliers travaillent ?

Les deux chercheurs ont remarqué, d’une part, que les promoteurs immobiliers inclus dans le projet de Pirmil-Les Isles se sont investis sur une temporalité plus longue que les projets dits “classiques”. D’autre part, en étroite concertation avec les constructeurs et experts, ils ont contribué à l’élaboration d’éléments intégrés au cahier des charges immobilier. Ainsi, ce type de projet expérimental intensifie la contribution de promoteurs immobiliers afin d’en améliorer son impact global :  environnemental, économique et social.

Au terme de cette démarche de co-construction du cahier des charges, les promoteurs indiquent qu’ils ont été  « challengés sur tous les aspects »  et sont « montés en compétences » sur des aspects très ciblés : ingénierie, analyse du cycle de vie, réemploi, etc.

Ce changement de paradigme a engendré plusieurs conséquences :

  • développement de partenariats entre promoteurs immobiliers et nouvelles entreprises spécialisées (de la filière bois, par exemple) ;
  • augmentation de consultations auprès d’écologues ;
  • nouvelles formes de collaborations auprès d’experts issus d’instituts de recherche et d’écoles supérieures.

Les bénéfices sont doubles : les experts mobilisés interviennent davantage sur toute la chaîne du projet et les promoteurs approfondissent leurs expertises et leurs champs d’intervention.

Cette démarche novatrice aura donc permis aux opérateurs immobiliers, souvent pointés du doigt pour la standardisation de la fabrique de la ville, d’expérimenter des changements « utiles, nécessaires, voire salutaires »  dans leur mode de fonctionnement. En outre, un acteur supplémentaire pourrait jouer un rôle essentiel dans l’accompagnement de ce processus innovant : le designer. Au-delà de son expertise en design circulaire ou design régénératif, il aide les parties prenantes à prendre des décisions et à gagner en impact grâce au design de politiques publiques. Il améliore l’appropriation de la fabrique des villes et des territoires par l’ensemble des usagers, des habitants et des acteurs des sphères privées, publiques et civiles.

L'École de design Nantes Atlantique
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