La cohabitation est-elle l’avenir de l’architecture ?

Espace de travail partagé de The Collective Old Oak à Londres
17 Oct 2018

En 2016 a été inaugurée à Londres la « plus grande colocation du monde ». The Collective compte 546 chambres, des espaces de co-working (= cotravail), des cafés et restaurants, des espaces de sport et de loisirs, une laverie, ainsi qu’une bibliothèque. Un tel lieu suggère un nouveau concept d’habitation en ville, le co-living qui offre un espace de vie où prévalent les principes de communauté et la convivialité entre voisins.

Contrairement aux apparences, The Collective Old Oak à Londres n’est pas une auberge de jeunesse mais une colocation géante

Contrairement aux apparences, The Collective Old Oak à Londres n’est pas une auberge de jeunesse mais une colocation géante ©The Collective (thecollective.com)

Du co-working au co-living : concepts d’une nouvelle génération

Même si ce concept de colocation londonien a été le premier, ce n’est pas le seul qui ait vu le jour. En effet, de nouvelles formes de cohabitation apparaissent ces dernières années dans le monde entier. Phénomène répandu depuis la fin du 19ème et début du 20ème siècle, ce mode d’habiter qui a pris un essor avec les mouvements “hippies” des années 60 est devenu un véritable concept dans les années 1980, d’abord dans les pays anglo-saxons, puis petit à petit en Europe.

Au début des années 1970, alors qu’on assiste à l’arrêt de la construction de grands ensembles et à l’essor de la maison individuelle, la pénurie de logements étudiants s’accentue malgré le développement de cités universitaires. Or, cette époque connaît  une démocratisation de l’enseignement supérieur, ce qui amène les étudiants à opter pour ce modèle importé et la colocation se propose donc comme une solution.

Celle-ci reprend différents modèles de logements communautaires : elle abrite habituellement deux à cinq personnes mais peut s’élargir jusqu’à l’occupation d’un immeuble entier. Par défaut d’offre, les colocataires logent pendant longtemps majoritairement des habitations aux typologies classiques, non destinées à ces fins et ce n’est que ces dernières années que le modèle de la colocation entre véritablement dans la conception architecturale.

Ainsi, en France, c’est suite à la crise immobilière consécutive à la crise des subprimes que l’architecte Bruno Thomine-Desmazures réfléchit en 2015 au premier concept d’immeuble entièrement adapté à la colocation. Il imagine alors un lieu à plusieurs chambres dont chacune dispose d’une salle de bain individuelle et qui comporte une grande pièce commune avec une cuisine partagée. Pour le développement de cet habitat, l’accent est mis sur l’aménagement des espaces collectifs, mais aussi sur la préservation des espaces d’intimité, d’où l’importance notamment des salles de bains individuelles.

Cohabiter au 21ème siècle. Quel intérêt ?

Contrairement aux aprioris, l’actualité de la cohabitation ne s’explique pas uniquement par des raisons financières : des facteurs sociaux comme le déclin du modèle de la famille nucléaire et l’émergence de nouvelles formes de travail la rendent de plus en plus attractive. Les concepts nouveaux se caractérisent par le mélange de générations, et se distinguent ainsi clairement des modèles de colocation traditionnelle, jusqu’alors majoritairement occupée par des étudiants. Elle n’est désormais plus envisagée comme habitat temporaire, mais comme une solution où jeunes et vieux apprennent à vivre ensemble, en respect et solidarité, pour un logement commun à long terme.

S’y ajoute la numérisation, qui offre la possibilité de travailler depuis chez soi et qui intensifie l’importance qu’ont les sociabilités au sein de l’habitat. En effet, faute d’un bureau partagé avec les collègues, ces personnes qui pratiquent le home office (= c’est-à-dire qu’elles travaillent depuis chez elles) sont poussées à nouer des contacts ailleurs.

Espace de travail partagé de The Collective Old Oak à Londres

Espace de travail partagé de The Collective Old Oak à Londres ©The Collective (thecollective.com)

Êtres humains et modes de vie : la nécessité d’une habitation adaptée

Bien que les modèles de cohabitation gagnent en popularité sur l’ensemble de la planète, ils sont particulièrement développés en Europe, aux États-Unis et au Japon. Au pays du soleil levant, le succès de cette forme d’habitat est particulièrement fort. Cela s’explique par la présence de nombreux architectes novateurs, mais aussi et surtout, parce que la société nippone compte de plus en plus de personnes célibataires.

Dans ce contexte, la cohabitation introduit une nouvelle forme de vie qui offre des possibilités de créer des liens sociaux grâce à ces espaces partagés, ce qui facilite le quotidien des personnes âgées et des jeunes familles monoparentales. Les architectes japonais soulignent que cela permet aux générations âgées d’être animées par les jeunes, alors que ces derniers peuvent gagner en expérience et en sagesse.

Salon de la maison partagée

Salon de la maison partagée LT Josay à Nagoya, imaginée par Naruse Inokuma Architects ©Naruse Inokuma Architects (narukuma.com)

 

Parties communes de la maison partagée LT Josay à Nagoya, imaginée par Naruse Inokuma Architects

Parties communes de la maison partagée LT Josay à Nagoya, imaginée par Naruse Inokuma Architects ©Naruse Inokuma Architects (narukuma.com)

La création des logements se fait souvent aussi en collaboration, ou par les futurs habitants eux-mêmes. Car en effet, les concepts mettent en avant que cohabiter signifie plus que vivre dans une même résidence : c’est aussi une volonté de partager des habitudes, de cultiver ensemble le quotidien, mais aussi et surtout de s’impliquer personnellement dans la création d’un environnement partagé. Autrement dit, le but n’est pas simplement de vivre sous le même toit, mais de partager un ensemble de valeurs.

S’ajoute parfois aussi l’aspect écologique, point crucial dans la conception architecturale d’aujourd’hui : car de par le partage de certaines surfaces, du mobilier et des appareils ménagers et par la prise de décision des habitants par eux-mêmes, la cohabitation représente souvent un mode de vie plus « vert », plus durable et plus économique. En effet, afin de s’engager au quotidien dans une démarche environnementale collective, certains optent pour des colocations “écolo” pour une véritable expérience humaine autour de l’écologie. Celles développent alors de nombreux projets commun : de l’élevage de poules à la réduction de déchets, passant par l’utilisation d’énergies renouvelables. Les projets se multiplient partout en France à l’image de la Maison bleue ou des colocations écologiques du mouvement Colibris.

La cohabitation, quel impact sur l’architecture ?

Cette popularité toujours plus grande des différents concepts de cohabitation, a fait émerger de nouvelles sociétés, comme par exemple la jeune entreprise française Coloc&Vie, spécialisée dans la rénovation, l’aménagement et la gestion de biens immobiliers qui deviendront des colocations. Ce succès attire aussi d’autres acteurs qui ne visent pas la rénovation de l’ancien bâti, mais la construction de logements neufs destinés à la cohabitation.

Celle imaginée par l’agence de co-working WeWork et développée par sa société sœur WeLive à New York, ressemble de prime abord davantage à un hôtel qu’à une colocation. Située au quartier d’affaires de la mégapole, ce projet envisage la création de 200 logements et proposera, en plus des pièces communes, différentes chambres (individuelles, doubles, triples…), dont le prix variera selon la taille de l’unité choisie. Meublés, les appartements mettront à disposition certains équipements comme des draps, des serviettes, des outils de cuisine et garantiront l’accès à internet et à la télévision. Des boissons, des livres, des produits hygiéniques seront ainsi compris dans le loyer.

Si ces logements laissent un doute sur leur fonction, ils sont pourtant destinés à la résidence à long terme et se distinguent ainsi des hôtels ou des auberges, habituellement destinés à de courts séjours. En outre, avec l’organisation d’événements communs, comme des ateliers de cuisine ou encore des soirées ludiques, les investisseurs souhaitent établir un bon rapport entre voisins et créer des liens de proximité.

Chambre dans un des logements de WeLive à New York

Chambre dans un des logements de WeLive à New York ©WeLive (welive.com)

Ainsi, la cohabitation fait revivre un modèle communautaire, où le partage (de locaux, mais également du savoir et du savoir-faire) est au centre. En France, les formes de cohabitation et de colocation connaissent souvent encore aujourd’hui une mauvaise réputation. Les propriétaires craignent un usage du bien beaucoup plus élevé à cause du jeune âge jeune et du nombre d’occupants.

Or, on le voit, désormais ce ne sont plus des particuliers mais des sociétés ou des groupements de futurs résidents qui sont à l’initiative. Même si elles proposent des loyers souvent plus abordables, ces “entreprises” génèrent pourtant des sommes importantes. En effet, par le principe d’un loyer individuel pour chaque habitant, ces grandes cohabitations sont bénéfiques aux investisseurs.

La cohabitation, est-elle l’avenir de l’architecture ?

Pour que la cohabitation puisse s’instaurer comme norme dans la conception architecturale, elle doit devenir accessible à un plus grand nombre de citadins, mais aussi parvenir à mélanger les différentes générations et classes sociales. Car si ces nouveaux modèles d’habiter portés par des investisseurs offrent un logement plus abordable, ils sont souvent d’un standing assez élevé et restent majoritairement réservés aux classes moyennes, car ils ne sont pas suffisamment adaptés aux moyens et aux besoins de la classe populaire. Le modèle de cohabitation semble subir une gentrification progressive et perdre son intérêt social pour finalement doucement fabriquer une forme d’entre-soi.

Par le développement des concepts et projets, mais aussi grâce à la baisse des loyers, la cohabitation a pourtant le potentiel de devenir une nouvelle forme d’habitat qui propose non seulement un cadre de vie plus écologique, mais également un modèle de vie partagé et autogéré par des individus d’horizons divers, qui ont tous une vision commune : le vivre ensemble en ville. Ainsi, la cohabitation s’inscrit dans un mouvement plus large, celui de la tendance “co” où se traduit par le partage des lieux, du savoir, du savoir-faire, et qui va jusqu’au partage de valeurs qui prend à nouveau une place centrale.

Enfin, dans ce contexte de densification des villes, où de moins en moins d’espaces habitables sont vacants, la cohabitation propose une réelle solution pour l’avenir pour limiter la consommation d’espace par de nouvelles construction. Elle peut être porteuse d’une philosophie plus écologique, basée sur la mutualisation et le partage de parties communes permettant de créer des liens de sociabilités et répondant à la tendance actuelle de nos sociétés qui aspirent de modes de vie urbains communautaires. Cohabiter pourrait alors permettre de bâtir une société nouvelle plus humaine et écologiquement viable.

LDV Studio Urbain
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