La cité des électriciens, une reconversion patrimoniale réussie ?

Vue aérienne de la Cité des Électriciens
5 Sep 2019 | Lecture 5 minutes

La cité de la Croix-de-Pierre à Dechy, la cité du Pinson à Raismes, la cité des Alouettes à Bully-les-Mines, toutes sont des cités ouvrières du Nord-Pas-de-Calais, qui aujourd’hui, sont en phase de réhabilitation dans le cadre du renouveau du bassin minier. Alors que ce patrimoine industriel de la région nord fut longtemps abandonné, un constat qui remonte aux années 1990, ce renouveau révèle un nouvel intérêt autour de projets uniques de revalorisation d’un important patrimoine culturel et industriel !

Entre rénovation énergétique, redynamisation économique, solutions visant à recréer du lien social et de la solidarité, la réhabilitation des cités ouvrières traite, au-delà du bâti, des enjeux sensibles qui présentent ce patrimoine, souvent aujourd’hui délabré, comme un héritage de pauvreté et de dur labeur. Mais alors, comment mettre en valeur un patrimoine, une culture et un mode de vie si marqués par la mémoire ?

Certains projets se démarquent déjà par leur ambition et leur créativité, comme celui de la reconversion patrimoniale d’une des plus anciennes cités ouvrières du Nord-Pas-de-Calais : la Cité des Électriciens. À l’occasion des 36èmes Journées européennes du patrimoine organisées les 21 et 22 septembre, découvrons ce projet inauguré le 18 mai dernier afin d’en extraire les caractéristiques d’une reconversion aboutie !

La Cité des Électriciens, un imaginaire et une identité à reconstruire…

Construite entre 1856 et 1861 par la Compagnie des mines de Bruay, la Cité des Électriciens est la plus ancienne cité ouvrière du bassin minier de la région. Elle logeait les mineurs et leurs familles qui travaillaient à la fosse n°1 de la ville de Bruay-La-Buissière. Progressivement vidée et longtemps abandonnée depuis l’arrêt de l’activité minière dans la ville en 1979, la Cité des Électriciens ne jouissait pas d’une très bonne image. Vétuste, elle alimentait un imaginaire qui ne mettait pas son histoire à son avantage.

Contre toute attente, après l’inscription aux Monuments Historiques de la Cité des Électriciens en 2009, le bassin minier est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO en tant que “Paysage culturel, évolutif et vivant” en 2012. Témoin des conditions de travail difficiles et de la très faible qualité de vie des ouvriers de cette époque, la démarche de réhabilitation du site en friche portait en elle des enjeux importants pour la région : architecture, environnement, patrimoine, économie, etc.

Bien qu’il s’agisse de la plus ancienne cité minière du Pas-de-Calais, témoin de l’architecture des premiers corons et point de départ de l’évolution de l’habitat ouvrier, le site est alors promis à la démolition.

Pour tenter de résoudre cette contradiction et sauver la cité, la Ville et la Communauté d’agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane, en accord avec le bailleur social Maisons & Cités (propriétaire de la cité jusqu’au début des travaux), font appel à des collectifs d’artistes pour ouvrir le site au public. Entre 2009 et 2013, les activités artistiques menées avec les habitants du territoire et les riverains ont donné naissance à des œuvres éphémères et à des événements festifs dans la cité.

Ainsi, la compagnie marseillaise Les Pas Perdus, les artistes Gilles Bruni ou encore François Andès y ont mené des expérimentations artistiques avant que ne commencent les travaux de réhabilitation. Ils ont contribué à faire connaître le site auprès du grand public.

En ré-enchantant les lieux, l’enjeu fut donc de reconstruire progressivement une identité par les usages, puis par la réhabilitation et la reconversion du patrimoine. Il s’agissait de restaurer l’image perçue des cités ouvrières et d’inviter les habitants à s’intéresser à leur histoire, en acceptant et en se réappropriant leur mémoire afin de la percevoir autrement. La finalité était donc de fédérer les habitants autour d’un projet et de permettre que le lieu puisse s’ouvrir à une réhabilitation contemporaine, dans la continuité d’une histoire mais aussi projetée vers l’avenir. Cette ouverture a donc pris forme grâce à des fonctions qui évoluent encore aujourd’hui afin de s’adapter aux nouveaux enjeux.

La Cité des Électriciens avant réhabilitation et reconversion

La Cité des Électriciens avant réhabilitation et reconversion © Ville de Bruay-La-Buissière

Découvrir les modes de vie en cités ouvrières minières : une reconversion originale !

Créer un fil rouge d’hier à demain pour sauvegarder une identité de territoire et la mettre en valeur, c’est aussi une façon de remettre l’économie au cœur du projet afin de créer un potentiel de développement. La Cité des Électriciens s’est ainsi inscrite dans une démarche globale de développement durable mêlant diverses fonctions culturelles, économiques et sociales organisées autour d’un fil conducteur : l’évolution du paysage, de l’urbanisme et de l’habitat miniers.

En partenariat avec Maison & Cités, le parti pris de ce projet a été de conserver du logement social : dix logements répartis dans trois barreaux conservent ainsi leur fonction initiale. Par ailleurs, les maisons, les jardins et l’organisation des rues de la cité sont préservés.  Il est ainsi possible de visualiser et de s’immerger dans une cité minière. L’immersion est encore renforcée par le centre d’interprétation ouvert au public. Apparaissant comme une entrée patrimoniale sur le site, il joue le rôle de conteur de l’histoire industrielle et ouvrière du bassin minier, de l’urbanisme et de l’habitat miniers, ainsi que des modes de vie, en ne s’appuyant pas exclusivement sur l’exemple de la Cité des Électriciens mais en s’ouvrant à bon nombre d’autres cités.

Centre d’interprétation

Centre d’interprétation ©Antéale

Des visites ludiques et didactiques des barreaux, organisées régulièrement, permettent aussi d’en savoir plus sur les caractéristiques des cités minières et la vie de leurs habitants. Ainsi, au détour d’une voyette (ruelle), on découvre les différents usages des bâtiments d’une cité ouvrière et d’en observer leurs reconversions. Ainsi, des carins, ces espaces qui faisait autrefois office de latrines, buanderies ou clapiers/poulaillers ont été préservés et maintenus dans leur usage ancien ou transformés. On trouve toujours à la Cité des Électriciens un clapier et un poulailler, une buanderie pour les résidents. Mais, plus original, un sauna permet aux touristes des gîtes de profiter d’un moment de détente. Et un restaurant permet aux visiteurs et aux habitants du quartier de savourer les produits cultivés sur place dans les potagers.

Il est d’ailleurs impossible de passer à côté de ces jardins dans lesquels on retrouve les variétés cultivées par les anciens mineurs. Les reconversions ont essentiellement remis d’aplomb des sites d’exploitation du charbon tels que le Centre Historique Minier à Lewarde, les sites de Wallers-Arenberg et du 9-9bis à Oignies, ou encore la base 11/19 à Loos-en-Gohelle. Ainsi, pour se démarquer et mettre en avant un site d’habitat ouvrier, près de 40% du financement de la Cité des Électriciens a été alloué à l’aménagement paysager qui comprend les réseaux et voiries, les jardins, les aires de jeux et de pique-nique : des espaces prépondérants dans le sentiment de convivialité que l’on ressent en entrant à la Cité.

Jardins de la Cité des Électriciens

Jardins de la Cité des Électriciens ©Antéale

Pour vivre aujourd’hui l’expérience d’un habitat minier, des gîtes touristiques occupent la partie ouest de la Cité. S’il s’agit d’en apprendre davantage sur la culture des mineurs, c’est aussi un moyen d’attirer des visiteurs et de développer le tourisme dans le bassin.

Ce projet est donc l’occasion de prendre conscience des enjeux du passé et de ceux d’aujourd’hui, afin de prendre un certain recul sur l’histoire de cet héritage minier. Il prouve que le patrimoine minier et les enjeux de développement durable peuvent être compatibles. Même si un site industriel est à l’abandon et véhicule le souvenir d’une ère passée, il est possible de transformer ce passé tout en sauvegardant sa mémoire, telle une leçon pour les villes de demain.

Vers un projet ouvert et créatif, un levier de renouveau au service du territoire

Si le projet réussit à exposer la vie des mineurs au service d’un développement économique du territoire, il vise également à insuffler une dynamique régulière dans le temps et créative pour assurer sa réussite. Positionné à l’Ouest du territoire, à la jonction d’une zone rurale agricole et du centre-ville, il se veut être un quartier ouvert sur les habitants et tourné vers l’avenir.

À destination des habitants, car le quartier fait partie intégrante de la ville et qu’il a volontairement été rendu accessible. Cette volonté s’incarne sur le site car il est possible d’y circuler librement dans les espaces extérieurs et les jardins ouverts comme le jardin d’agrément en prairie et mis à disposition du public pour des pique-niques, des promenades ou des activités sportives.

Co-construit avec les habitants depuis le début, aux côtés d’artistes, le projet se veut également être tourné vers l’avenir. Ce renouveau s’inscrit dans une dynamique de développement durable intégrant une démarche de production/consommation en circuit-court révélée par le lien entre le restaurant et les potagers, les logements sociaux et leurs parcelles cultivables ou encore les projets artistiques des paysagistes qui mettent le local et le bio au centre de leurs préoccupations.

Ainsi, la volonté de remettre l’habitant au cœur du projet, comme le présente la réhabilitation d’une dizaine de logements en logements sociaux par le bailleur social Maisons et Cités, recycle un modèle social des anciennes cités ouvrières, qui reste finalement bien actuel. Ce modèle fait preuve de sens et de durabilité par la mise en place de petits potagers à disposition de chaque foyer, une manière de revenir à la terre, de consommer ce qui est produit, de faire des économies et d’être fier de ses récoltes.

La résidence d’artistes, quant à elle, se trouve également dans une démarche à la fois sociale, environnementale et créative. Accueillant des artistes et des paysagistes, les projets participent donc à créer continuellement ce lien entre cité du passé et ville du futur. La cité se dirige ainsi vers la ville de demain par sa capacité à créer continuellement, notamment en sauvegardant cette notion d’ancrage au territoire, incarnée par le jardin des artistes. Il est amené à être renouvelé tous les deux ans par un paysagiste et la première thématique mise en avant est celle des vagues migratoires avec un assortiment de légumes issus de ces migrations. Parmi eux, le chou polonais arrivé dans les années 1920 ou encore le piment et le poivron en provenance d’Afrique du Nord.

Cette diversité de fonctions inscrit la reconversion du site dans un projet de développement du territoire et de mémoire collective. L’objectif est de se projeter vers le futur et la mémoire sert de tremplin vers l’avenir incluant tous les habitants, acteurs de leur territoire.

Logements de la cité des électriciens

Logements de la cité des électriciens ©Julien Lanoo

Mais au-delà de tous ces aspects, la Cité des Électriciens met enfin en avant une réhabilitation singulière, à l’image d’un patrimoine vitrine du bassin minier. Aujourd’hui, cette réhabilitation exemplaire, fait de la Cité une véritable locomotive pour les autres projets de réhabilitation inscrits dans le projet de revitalisation de la région. Et à ce propos, ces autres projets, visent surtout à redynamiser la vie quotidienne des habitants par des économies d’énergie induites par la réhabilitation et l’isolation du bâti, un accompagnement vers l’emploi et un renforcement du lien social et de la solidarité entre les habitants de ces territoires longtemps délaissés.

Si la reconversion patrimoniale de la Cité des Électriciens a donc transformé un patrimoine délaissé en une fierté pour ses habitants, il restera donc à découvrir dans les prochaines années, les retombées futures de ce projet, au travers de l’impact qu’il aura pour le territoire, alors que le coût financier s’élève à 15 millions d’euros. Un investissement certainement nécessaire en vue de tirer le territoire minier vers le haut ! Un défi pour lequel les acteurs du territoire se donnent 10 ans. Il est donc fort possible que la réhabilitation des cités minières encore habitées puisse se poursuivre et contribuer à recréer une mémoire heureuse tournée vers l’avenir.

LDV Studio Urbain
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