La banlieue, le nouvel Eldorado de l’hôtellerie ?

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9 Juin 2023 | Lecture 3 minutes

À contrario de nombreux secteurs, le monde de l’hôtellerie sort grand gagnant de la crise de la Covid-19. Et pour se réinventer, les chaînes d’hôtellerie innovent non seulement dans les espaces qu’elles proposent mais aussi dans les territoires qu’elles investissent. La banlieue parisienne, voit depuis quelques années, des hôtels concept naîtrent sur son territoire, attirant ainsi touristes mais aussi parisiens le temps d’une soirée. Ces hôtels vont-ils changer le rapport entre la ville et la banlieue ? Qu’est-ce que cela traduit et raconte de l’évolution du territoire francilien ?

Le grand gagnant de la crise pandémique

Si les secteurs de la restauration, de la construction ou encore du commerce peinent toujours à se relever après les nombreux épisodes de fermetures et de confinements de ces dernières années, l’hôtellerie quant à elle, fait preuve de résilience. Toujours en bonne santé, le secteur hôtelier se porte même mieux qu’en 2019, avant l’apparition de la pandémie : C’est un secteur qui a montré sa bonne résilience post-crise [liée au Covid-19] : en 2022, le chiffre d’affaires des hôteliers a augmenté de 9 % par rapport à 2019” explique Olivier Petit, consultant du cabinet comptable In Extenso. Il semblerait donc que le temps passé en confinement ait rapidement été compensé en retrouvant les services hôteliers et leurs commodités, et ce, malgré une hausse des prix due à l’inflation et aux pertes engendrées par la crise.

D’après ce même cabinet, la tendance croissante devrait suivre son cours jusqu’au moins la fin de l’année, en s’appuyant notamment sur le retour des visiteurs asiatiques et une présence marquée de la clientèle américaine attirée par un taux de change favorable, ainsi que les gros événements tels que la coupe du monde de rugby. Les investissements ne désemplissent donc pas et certains décident même de convertir d’anciens bureaux en hôtel, comme c’est le cas à Boulogne-Billancourt où le groupe Extendam a récemment acquis 770 m² de bureaux pour en faire 41 appartements avec services hôteliers.

Dans ce contexte, le cabinet KPMG annonce la création de 18 000 nouvelles chambres en France d’ici 2025 accompagnée d’une montée en gamme du parc. Déjà depuis 2016, on constate une croissance bien plus rapide du haut de gamme que pour les autres catégories, le nombre de chambres quatre et cinq étoiles a augmenté de 4%.

L’hôtellerie lifestyle, l’authenticité au local

Bien que l’hôtellerie de plein air soit au top tendance depuis la crise pandémique avec une clientèle toujours plus désireuse de pleine nature, les hôtels de banlieue et leur nouveau genre grimpent les échelons et ne se retrouvent pas loin derrière. Jadis zone repoussoir et habituée des hôtels bon marchés de type Formule 1, l’anneau d’asphalte qui encercle Paris n’effraie plus les investisseurs et les visiteurs. Les hôtels prolifèrent le long du périphérique parisien et montent en gamme. Si aujourd’hui chaque porte parisienne possède son hôtel haut standing, c’est que le foncier y est plus disponible et accessible qu’en plein cœur de la capitale. Riche de terrains en friche ou encore de parcelles identifiées dans le cadre de grands projets de renouvellement urbain (GPRU), la petite couronne offre davantage de possibilités et d’opportunités aux hôteliers que le centre historique qui les contraint à de lourdes opérations de réhabilitation souvent très coûteuses. Les hôtels se construisent beaucoup plus rapidement en périphérie de Paris et en petite couronne, confirme Charles-Henri Boisseau, chargé d’études à l’office de tourisme et des congrès de Paris. Cela tient au manque de place dans la capitale qui est une ville petite et très dense et évidemment au prix du foncier très élevé

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L’hôtellerie parisienne est donc en plein renouvellement, et ce depuis déjà une dizaine d’années, faisant émerger de nouveaux concepts. Plus accessible avec un style “comme à la maison”, la tendance du lifestyle s’impose et propose une fréquentation plus domestique des hôtels. Pionnier en la matière, Mama Shelter a ouvert le pas dans les années 2010 avec un premier hôtel excentré à Bagnolet dans le 20e arrondissement. Dans un quartier peu propice à ce secteur, Serge Trigano, l’ancien directeur du Club Med, a tout misé sur ses animations, son bar et son restaurant. Des lieux de vie et de partage qui ne ciblent pas seulement la clientèle hébergée mais aussi l’ensemble des usagers et riverains du quartier. L’idée, à travers cette mixité, est de rassembler touristes, voyageurs d’affaires et habitants autour d’un lieu unique et animé pour créer une forme d’authenticité locale, loin des hôtels standardisés souvent considérés comme “hors sol”. Aujourd’hui revendus au groupe Accor, les hôtels Mama Shelter se développent à vive allure : Le lifestyle est le seul segment qui connaît une croissance à deux chiffres dans le monde de l’hôtellerie : + 30 % en 2022. Avoir un restaurant sexy permet de remplir les chambres, même si les marges sur la restauration sont deux fois moindres », analyse Pierre Mattei, président du fonds d’investissement Keys.

Mob hôtels, Too hôtel, OKKO ou encore Tribe hôtels, ont suivi le pas et se sont installés sur la couronne parisienne, dépassant les portes pour poser bagages à Saint-Ouen, Pantin, Saint-Denis ou encore Clichy comme c’est le cas pour l’hôtel Zoku. Avec le pari de rendre les zones périphériques vivantes et attractives tout en devenant une destination branchée, ces grands de l’hôtellerie ont finalement réussi à pousser les parisiens à explorer au-delà des quartiers déjà trendy de l’hyper-centre. Il faut dire que leur offre est alléchante et reprend tous les codes des lieux hybrides à la mode : restaurant avec cuisine ouverte et tables communes, bar à cocktails, salons de coworking avec canapés, toit-terrasse, décoration et design soigné, espaces gaming, potager… jusqu’à même faire pousser du houblon sur ses façades végétalisées pour brasser et servir sa propre bière au bar, comme il se fait à l’hôtel Zoku à Porte de Clichy.

La face cachée du Paris haussmannien

Avec ses nouvelles conquêtes, les hôtels nouvelle génération offrent de nouveaux paysages aux touristes. Loin du décor typiquement parisien, des petites ruelles pavés et des bâtiments haussmanniens sculptés et ornementés, ils donnent à voir un Paris que l’on a peu l’habitude d’admirer, la face cachée des grandes métropoles : le trafic dense autoroutier, les hautes tours d’immeubles, l’entrelacement des voies ferrées, les usines et grosses infrastructures, les chantiers… Autant d’aridités et de nuisances qui amèneraient à éviter ces lieux, mais qui pourtant en font les attraits de ce paysage très urbain digne des plus grandes villes mondiales comme New York ou Shanghaï.

Conscient du charme de ce décor, Laurent Taïeb, le fondateur du Too hôtel, s’est lancé le défi de séduire sa clientèle dans un quartier en pleine transformation en installant son hôtel à l’intérieur des tours Duo. Ces colosses de verre et d’acier construits par Jean Nouvel à la frontière entre Paris et Ivry-sur-Seine se trouvent être le troisième plus haut édifice de la capitale après la Tour Eiffel et la Tour Montparnasse. Logé entre le 17e et le 27e étage, l’hôtel profite d’un panorama singulier et privilégié sur le quartier et le boulevard périphérique, offrant à ses visiteurs une scène perpétuellement animée par le fourmillement des voitures. Finalement de quoi charmer et enchanter les usagers de l’hôtel par ce cadre surprenant mais tout aussi plaisant.

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Sur les starting-blocks pour les Jeux Olympiques

Vous le savez, la capitale française est l’heureuse élue des Jeux Olympiques pour y accueillir les prochaines éditions qui se dérouleront l’année prochaine, en 2024. Événement sportif mondial où s’affrontent des centaines de sportifs professionnels de tous les horizons, les J.O sont aussi l’occasion pour des milliers de touristes de venir visiter la ville et son patrimoine en même temps que d’assister aux différentes épreuves. Une aubaine pour l’ensemble du secteur culturel mais aussi de la restauration et de l’hôtellerie, qui devront néanmoins se préparer à pouvoir répondre aux demandes et besoins de tous ces voyageurs. Conscients qu’il est nécessaire de créer de nouvelles chambres mais aussi que cette nouvelle affluence représente une opportunité précieuse, les investisseurs n’ont pas hésité à miser sur le secteur de l’hôtellerie.

Dans ce contexte, de nouveaux projets d’hôtels fleurissent dans le nord-ouest parisien et sortent  de terre dans la périphérie et les banlieues de la capitale. À Clichy, on compte trois projets de ce type dont celui porté par Galia, promoteur spécialisé en revalorisation patrimoniale, qui a décidé de construire près de la mairie, face à l’église Saint-Vincent-de-Paul. Un investissement de trente millions d’euros qui prévoit la livraison d’un hôtel quatre étoiles de six étages d’ici 2024, construit en pierres de taille autour d’un patio végétalisé de 200 m2. Exploité par le groupe Accor, sous la marque Tribe, il intégrera le réseau des nombreux hôtels lifestyle de Paris et proposera de ce fait une décoration et un design soigné avec un restaurant de 80 couverts en rez-de-chaussée ouvert à l’ensemble de la clientèle et habitants de Clichy. Bien que le président de Galia, Brice Errera, affirme que l’arrivée prochaine des J.O n’ait pas influé sur sa motivation à porter le projet :“Nous faisons des projets sur le long terme. Nous avons fait des études préalables et en avons conclu qu’un hôtel était le projet le plus adapté”, il ne fait aucun doute que les 120 chambres du futur hôtel afficheront complet durant toute la durée des olympiades.

Si cette conquête des banlieues permet de (re)découvrir les périphéries de la capitale et en même temps d’y apporter un nouveau souffle, on peut néanmoins craindre qu’elle ne contribue à une certaine forme de gentrification. Bien que ces hôtels aient l’intention de se présenter comme accessibles et de vouloir déconstruire certains préjugés sur ces quartiers excentrés, il est évident qu’ils conservent un caractère luxueux et haut de gamme, ce qui attire une clientèle de classe supérieure. Alors qu’ils se veulent des lieux de vie ouverts et ancrés dans le quartier, notamment en travaillant avec des associations et des fournisseurs locaux, ils participent paradoxalement à rendre leur environnement moins authentique qu’il ne l’était avant eux.

 

LDV Studio Urbain
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