Immobilier : faut-il mettre sur pause ?
Depuis la Grèce classique – et les maximes antiques comme « La modération est le plus grand bien » ou « Prudence en toute chose », la sobriété est un idéal qui structure la vie politique, jusqu’à un retour en grâce récent. Mais quand, en 2010, Pierre Rabhi écrit Vers la sobriété heureuse, pouvait-il imaginer que le titre de son livre aurait, quatorze ans plus tard, une résonance aussi forte ?
Alors que le contexte économique se tend, que les prix des matériaux flambent et que les taux d’intérêt explosent, l’immobilier doit emprunter le chemin d’une sobriété choisie plutôt que subie. Mais à quoi ressemblerait une promotion immobilière sobre ? Face à la combinaison d’une crise écologique et immobilière, comment minimiser la catastrophe ? Réponses au SIMI avec Yamina Saheb, ingénieure et docteure en énergétique, co-autrice du GIEC, Alexandre Florentin, élu de Paris, président de la mission Paris à 50 degrés et Guillaume Carlier, directeur de la Stratégie Climat chez Bouygues Immobilier.
Bye bye hypercroissance, bonjour sobriété
Pour un certain nombre d’acteurs, l’idée de la sobriété se résume à des petits gestes simples : éteindre les lumières, mettre des couvercles sur ses casseroles et baisser le chauffage. Pourtant, la sobriété est un concept bien plus large qui nous invite à faire moins mais surtout, à faire autrement. Pour reprendre la formule du philosophe Dominique Bourg « La sobriété, ce n’est pas vivre plus mal, c’est apprendre à vivre mieux ». En creux, elle réalimente une réflexion de fond sur notre modèle économique et constitue un levier d’action puissant contre le dérèglement climatique.
« La sobriété, c’est se concentrer sur l’essentiel. En ce qui concerne Paris, on doit se poser la question de l’habitabilité de la ville dans 50 ans avec l’augmentation des températures », détaille Alexandre Florentin, en référence à son rapport. Or, se concentrer sur l’essentiel peut revenir pour une entreprise à couper des pans entiers de son activité dans une stratégie de renoncement. « L’année dernière, l’économiste Timothée Parrique nous invitait à faire l’exercice suivant : “si demain vous deviez faire une croix sur 20% de votre activité, qu’est-ce que cela donnerait ?” Aujourd’hui, nous y sommes » explique Guillaume Carlier.
Face à cette contraction subie plutôt que choisie, la sobriété apparaît comme un outil salvateur. Ingénieure spécialiste en la matière, Yamina Saheb s’est battue pour l’introduction de la notion dans les travaux du GIEC. Elle rappelle que « la sobriété, ce sont toutes les politiques qui évitent en amont la demande en ressources naturelles, qui garantissent le bien-être de tous et dans le respect des limites planétaires ». Anticipation, atténuation et justice climatique : tel est le triptyque gagnant d’une sobriété exhaustive.
Penser au-delà du carbone
Car la focalisation sur les seules émissions de carbone est problématique, elle renvoie au fameux dilemme de la « carbon tunnel vision », un concept théorisé par Jan Konietzko qui consiste à tout envisager sous le prisme des émissions du CO2, et à omettre le reste du champ écologique (biodiversité, pollution de l’air, des sols, épuisement des ressources, etc.).
Dans la sobriété immobilière, il est donc indispensable de prendre en considération la question des sols, de l’eau, des matériaux, mais également des autres gaz à effets de serre. C’est par exemple tout l’enjeu des pompes à chaleur, comme le rappelle Yamina Saheb : « Si les pompes à chaleur émettent moins de CO2, il ne faut pas oublier qu’elles émettent plus de gaz réfrigérant. Et cela n’est pas encore pris en compte dans l’estimation des émissions de gaz à effet de serre d’un bâtiment. »
Vers une sobriété « by design » ?
La promotion immobilière doit donc se réinventer. « Le chantier prioritaire, pour la promotion, consiste à arrêter de construire de nouveaux mètres carrés lorsque ce n’est pas nécessaire » développe Yamina Saheb. Construire moins, mais aussi construire autrement.
C’est aussi la conclusion du rapport Paris à 50 degrés mené par Alexandre Florentin. Alors que Paris est la capitale Européenne où on a le plus de chance de mourir de chaud pendant une canicule, il est plus que jamais urgent de réfléchir à des stratégies immobilières adaptées à la nouvelle donne climatique. En commençant par réfléchir à une sobriété en amont pour bien concevoir les bâtiments : « aujourd’hui, on a des normes de rénovation pour un climat qui n’existe déjà plus » rappelle Alexandre Florentin. « Avec le modèle des grandes tours vitrées, on a construit des serres, tandis que dans le sud de la France, des personnes en viennent à arroser leur climatiseur » rappelle-t-il. Aujourd’hui, c’est donc tout un secteur qui se trouve face à un chantier aussi vaste que celui qu’il a vécu après la Seconde guerre mondiale : faire moins, mieux, plus durablement. Un constat que partage Guillaume Carlier : « Notre métier doit prendre ses responsabilités et raisonner sur un temps long ». Car les politiques de sobriété sont avant tout cela : des politiques de long terme.