Hyper-lieux : géographies de la mondialisation par Michel Lussault

Hyper-lieux : les nouvelles géographies de la mondialisation
13 Avr 2017

Le mois dernier sortait le nouvel ouvrage de Michel Lussault, Hyper-lieux: les nouvelles géographies de la mondialisation. Un ouvrage clef dans l’évolution de la géographie. La notion d’hyper-lieux nous propose une analyse des nouvelles géographies de la mondialisation. Elle s’établit en opposition à une vision de la mondialisation en tant que phénomène homogène et uniformisé. En réalité, le monde serait marqué par l’existence de poches territoriales de résistance qui permettraient l’émergence de localités où de nouvelles formes de vie seraient en permanence inventées.

Hyper-lieux : les nouvelles géographies de la mondialisation

© Astrid di Crollalanza

« Nous avons tendance à considérer le monde comme quelque chose de plat, uniforme, fluide. Incontestablement le monde s’homogénéise, mais il se différencie aussi de plus en plus. Il ne faut pas confondre mondialisation, notion qui renvoie à un bouleversement général, et globalisation économique. »

A la découverte de ce néologisme « hyper-lieux », on pense très rapidement à un concept inventé dans les années 90 par l’ethnologue et anthropologue Marc Augé, le « non-lieu ». Cette théorie accuse la mondialisation de produire des espaces uniformes, vidés de toute identité et de toute relation entre les individus. Michel Lussault nous l’avoue d’ailleurs rapidement, il a construit cette théorie de l’hyper-lieu en confrontation avec celle du non-lieu.

Hyper-lieux est donc l’aboutissement d’un long travail scientifique basé sur l’observation d’une expression sociale. Pour la géographie en particulier et les sciences-humaines en général, les mots que Lussault pose sur cette réalité sont une démonstration de l’évolution du monde et de ce concept de non-lieu. « Cet ouvrage est un ouvrage du présent, d’une réalité actuelle. Dans plusieurs années, peut-être sera-t-il regardé comme un bouquin d’histoire ».

 Si nous avons lu avec attention ce dernier ouvrage, certains points nous ont donné envie d’en savoir plus, afin de saisir au mieux cette notion complexe. Nous sommes donc allés à la rencontre de ce géographe caméléon, professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon.

La notion d’hyper-lieux selon Michel Lussault

 Très vite le géographe débroussaille le terrain : « L’hyper-lieu est une notion difficile à définir simplement. L’hyper-lieu est avant tout un espace de concentration des individus, un espace de densité, un espace de diversité. L’hyper-lieu se distingue du lieu de la résidence par la diversité des individus et des interactions. C’est un espace de pratiques sociales intenses à la fois entre les individus, mais aussi entre les individus et leur environnement. »

Concrètement ?

Et bien prenez donc Times Square à New-York. Lussault nous explique que les cinq grands principes qui illustrent sa notion d’hyper-lieu, à savoir l’intensité, l’hyperspatialité, l’hyperscalarité, l’expérience et les affinités spatiales, s’y retrouvent bien dès lors qu’on observe de près ce lieu si célèbre.

Hyper-lieux : les nouvelles géographies de la mondialisation

Crédit photo Times Square : en.wikipedia.org

En décrivant Times Square comme un espace réduit, sur lequel viennent tous les jours des milliers de visiteurs du monde entier, Michel Lussault nous fait remarquer que ce lieu est d’abord l’un des paroxysmes de cette intensité caractéristique des hyper-lieux.

En plus de cela, Times Square n’est pas seulement intense, c’est un espace éminemment connecté, d’abord grâce à nos smartphones. Avec Instagram, Snapchat ou Facebook, nous envoyons des images depuis cet endroit partout sur le globe et y parlons avec nos amis qui vivent pourtant à Paris, Mumbaï ou Tokyo. Au delà de nos propres connexions, Times Square reçoit également des informations de toute la planète diffusées sur ses écrans géants. C’est cela l’hyperspatialité.

Nos outils technologiques nous permettent également de vivre dans plusieurs temporalités simultanées en s’affranchissant des horaires. Nous ne sommes pas dans Cloud Atlas, ou Retour vers le Futur, mais simplement dans une description de ce que beaucoup d’entre nous, urbains et ruraux, vivons quotidiennement. Car les lieux dont parlent Lusssault, fonctionnent 24h/24, ils ne respectent plus aucun rythme traditionnel, puisqu’ils sont connectés au monde entier et actifs tout le temps. C’est l’hyperscalarité.

En fin de compte, ce qui fait essentiellement l’hyper-lieu, ce sont les gens qui le constituent et ce qu’ils y vivent. En prenant un selfie devant Times-Square, je prouve que je vis ici-même une expérience très forte grâce à un lieu unique. Cette mise en scène est doublée de la conscience que nous avons de vivre cela collectivement et de notre volonté de partage! Car je communique avec le monde entier et en temps réel, sur le fait que je vive ici-même cette expérience. L’hyper-lieu, parce que tout le monde le connaît en temps réel, me permet de vivre cette expérience avec d’autres personnes situées de l’autre côté du globe.

Les hyper-lieux sont-ils nécessairement contemporains et urbains ?

Bien entendu, lorsque Michel Lussault évoque l’hyper-lieu, il est bien conscient que son concept est nécessairement contemporain et urbain. L’avènement de l’hyper-lieu prend place dans ce qu’il définit comme la « dernière phase de mondialisation urbaine ».

Mais la place du marché du Moyen-Âge ne peut-elle pas également être considérée comme un hyper-lieu d’un autre temps ? D’ailleurs l’hyper-lieu est-il nécessairement urbain ? Ces « espaces de concentration des individus, ces espaces de densité, ces espaces de diversité » n’existent-ils pas en zone rurale ? C’est en reprenant méthodiquement les cinq caractéristiques de son concept que Michel Lussault nous répond.

Selon lui, « on ne peut pas parler d’hyper-lieu médiéval », car « ce serait un hyper-lieu en régime incomplet ». Ces lieux jouaient un rôle essentiel dans la société. Place de marché, elles réglaient les échanges commerciaux entre le local et l’extérieur. En cela, le caractère intense de l’hyper-lieu est ici retrouvé. Cœur de l’activité économique, elles étaient aussi des espaces de rencontres sociales fortes. C’est un point de référence collectivement partagé : habitants comme visiteurs reconnaissaient ce lieu comme place publique d’échange. Nous en avons tous une expérience et avons donc tous une affinité avec ce lieu. Pourtant, la place du marché n’est pas connectée à diverses échelles spatiales et temporelles. Elle se vit ici et maintenant et n’est pas intense 24h/24. Pour cela, nous ne pouvons pas encore parler d’hyper-lieu.

Ok, donc l’hyper-lieu est bien le fruit de notre époque, mais n’est-il qu’urbain ?

Le géographe ne le pense pas. Prenons l’exemple de Notre-Dame des Landes. Suite à l’annonce de l’implantation d’un potentiel aéroport, les voix se sont élevées et le site éminemment rural a été occupé comme un symbole de la lutte. Il devient alors un espace d’intensité, où les individus se rencontrent, partagent une expérience sur un lieu à forte signification pour le collectif. En plus de cela, pour partager leur message et défendre leur cause, les militants sont connectés en permanence à toutes les échelles spatiales.

L’hyper-lieu est donc le résultat d’un processus. Il est certes un espace mais surtout une situation qui advient et qui ne peut prendre effet que dans notre contemporanéité.

hyperlieu notre dame des landes manifestation

Crédit photo Notre Dame des Landes : www.lopinion.fr

Le devenir des hyper-lieux dans l’urbanité de demain

Mais du coup, quelle place aura l’hyper-lieu dans nos villes, demain ?

Sur ce dernier point, le géographe émet plusieurs hypothèses. Il existe, selon lui, plusieurs options et on ne peut savoir avec certitude de quelle manière ce phénomène va évoluer. D’une part, les hyper-lieux peuvent mourir. C’est actuellement ce qu’il se passe avec les centres commerciaux abandonnés aux U.S.A., appelés Dead Malls. Ce qui signifierait que ces espaces perdent leurs fonctions face à un monde qui ne composera plus avec ce type de dynamique. À l’inverse, même s’ils fonctionnaient encore, ils pourraient devenir des sortes de bulles déconnectées du reste du monde. En ce cas, grâce à leur super-production d’images en temps réel sur eux-mêmes, ils ne seraient plus que le “mythe” de l’hyper-lieu déconnecté de la réalité.

Bien qu’il entrevoit d’autres possibilités pour ces hyper-lieux, Michel Lussault émet surtout l’hypothèse que cette notion serait résolument actuelle et ne pourra peut-être pas survivre à l’épreuve du temps.

Ce qui est certain c’est que le devenir de l’hyper-lieu est indéterminé, car il est essentiellement lié à la liberté d’agir des individus, notion chère à l’auteur. Selon lui, les hyper-lieux constituent le paradigme de la liberté individuelle : c’est une détermination profonde à se saisir d’un espace et à y instituer un “agir spatial”. Ce sont ainsi des espaces de mise en tension entre la trame dans laquelle les citoyens agissent et le déterminisme qui pousse ces derniers à transformer un lieu en hyper-lieu. Ce sont des lieux essentiellement politiques, des lieux de vie, qui permettent de révéler des rapports urbains d’échanges, de frottements, de confrontations. Alors, si la mondialisation est souvent décriée, Michel Lussault nous offre une vision résolument optimiste quant à la volonté d’agir de chacun, afin de créer, de manière spontanée, ensemble, des espaces singuliers, collectifs et engagés.

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