Finance verte : quand les villes boycottent les industries fossiles

Le Dakota Access Pipeline traverse des terres sacrées sur la réserve amérindienne de Standing Rock
8 Juil 2019

Face à l’urgence climatique, de plus en plus de villes remettent en question l’éthique de leurs actifs financiers. Membres du C40 – un groupement de villes qui tente de respecter les accords de Paris pour l’environnement – les maires de Londres et de New York appellent à se désinvestir des industries fossiles.

Affiche pour la campagne "Keep it in the ground" de 350.org

Affiche pour la campagne « Keep it in the ground » de 350.org – Mona Caron/350.org

Financer la crise climatique ?

« Nous demandons aux autres villes de nous imiter et de désinvestir leurs actifs des entreprises de combustibles fossiles. » C’est ainsi que Sadiq Khan et Bill de Blasio, respectivement maires de Londres et New York officialisaient en septembre 2018 dans les colonnes du Guardian leur stratégie de désinvestissement des énergies fossiles. Annonçant dans le même temps la création du forum Divest/Invest, ils espèrent constituer un réseau international de particuliers et d’entreprises prêts à leur emboîter le pas. Pour la première fois, deux villes d’envergure internationale se positionnent en faveur du désinvestissement pour lutter contre le changement climatique. Mais en fait, le désinvestissement c’est quoi ?

Désinvestir, c’est tout simplement le fait de retirer les investissements détenus auprès de telle ou telle entreprise. Les raisons peuvent être financières, politiques ou éthiques. Depuis quelques années, c’est devenu un moyen de pression médiatique sur des sociétés jugées trop polluantes. En effet, selon l’ONG Carbon Disclosure Project, 100 entreprises sont responsables de 71% des gaz à effet de serre depuis 1988. De là, la logique est simple : afin de ralentir le dérèglement climatique, il faut suivre l’argent et tarir la source. C’est ce que font aujourd’hui des universités, des paroisses, des assureurs, des villes ou encore des états, soucieux de placer leur argent dans des causes plus durables.

Des militants aux traders

Les premières campagnes de désinvestissement des énergies fossiles démarrent autour de 2010 sur des campus universitaires. Des étudiants américains et australiens s’organisent pour demander à leur établissement de cesser de financer des industries polluantes. Ils s’inspirent des désinvestissements massifs menés à l’encontre de l’Afrique du Sud dans les années 1980 pour stigmatiser le régime d’apartheid. En 2012, l’ONG 350.org lance la campagne « Go Fossil Free: Divest from Fossil Fuels! » qui enclenche un mouvement international. À l’approche de la COP21, le mouvement s’accélère.

« C’est un moment rare et décisif dans l’histoire » affirment les économistes Thomas Piketty et Tim Jackson dans une tribune publiée dans Le Monde quelques semaines avant le début de la conférence. « La science, l’éthique et l’économie se rejoignent pour envoyer un signal très clair aux marchés : en amont de la COP21, les investisseurs responsables doivent désinvestir des énergies fossiles. » Les auteurs ajoutent : « D’un point de vue financier, de nombreux indicateurs montrent que les investissements dans les énergies fossiles présentent un risque significatif. »

Mobilisation étudiante pour le désinvestissement des énergies fossiles à l'Université Tufts aux États-Unis en 2013

Mobilisation étudiante pour le désinvestissement des énergies fossiles à l’Université Tufts aux États-Unis en 2013 – James Ennis/Wikipédia

Tragédie des horizons

C’est en réalité un tournant majeur qui se joue. Le 29 septembre 2015, quelques jours avant l’appel de Piketty et Jackson, le Gouverneur de la Banque d’Angleterre et Président du Conseil de Stabilité Financière Mark Carney délivrait un discours historique décrivant ce qu’il nomme la « tragédie des horizons ». Celle-ci désigne le décalage entre l’horizon à court terme des décisions politiques et financières, et l’horizon à moyen terme des risques climatiques. Ce décalage nous empêcherait de freiner le dérèglement climatique. Pour surmonter cette “tragédie”, Mark Carney exhortait donc les acteurs financiers à prendre en compte différents types de risques liés au changement climatique dans leurs investissements. Dès lors, le désinvestissement des énergies fossiles n’est plus seulement un acte militant pour l’environnement, il apparaît dans les calculs de rentabilité financière.

En juillet 2018, six pays pesant plus de 3 000 milliards de dollars (l’Irlande, la Norvège, le Qatar, l’Arabie Saoudite, le Koweït et les Émirats arabes unis) signaient une charte les engageant à désinvestir. Quelques jours plus tard, l’Irlande votait un projet de loi dans ce sens, devenant ainsi le premier pays à officiellement adopter cette stratégie. La Norvège – qui détient le fonds souverain le plus riche au monde – suivait cette voie le 13 juin dernier, en votant le désinvestissement de 13 milliards de dollars et l’investissement de 20 milliards dans les énergies renouvelables. L’ONG 350.org estime que depuis 2012, près de 9000 milliards de dollars ont été désinvestis des énergies fossiles.

Pipeline et terres sacrées

Il faut l’admettre, le désinvestissement n’est pas non plus une solution miracle. En 2017, la ville de Seattle avait utilisé le désinvestissement pour manifester son désaccord avec le très médiatisé « Dakota Access Pipeline ». Son conseil municipal avait en effet voté à l’unanimité la rupture du contrat qui liait la ville à la banque Wells Fargo, au motif qu’elle finançait le pipeline. Mais un an plus tard, le bilan est cuisant. Le désinvestissement n’a pas permis de stopper la construction du pipeline qui est aujourd’hui opérationnel. Par-dessus le marché, aucune banque suffisamment robuste n’a été trouvée entre temps pour remplacer Wells Fargo et Seattle s’est vue contrainte à renouveler le contrat en question.

En France, plusieurs villes ont voté des vœux de désinvestissement comme Dijon ou Bordeaux. Suite à une proposition du groupe écologiste, Paris a fait de même en 2015. Un vote d’intention qui n’a pas porté à conséquence pour l’instant mais qui a inscrit la capitale dans ce mouvement mondial de responsabilisation. De Berlin à Cape Town, en passant par San Francisco et Sydney, les villes jouent le jeu du désinvestissement. La finance pourra-t-elle sauver la planète ?

Le Dakota Access Pipeline traverse des terres sacrées sur la réserve amérindienne de Standing Rock

Le Dakota Access Pipeline traverse des terres sacrées sur la réserve amérindienne de Standing Rock – Tony Webster/Flickr

Usbek & Rica
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