Diagnostics urbains : quel renouveau

Source : Canva
23 Nov 2021 | Lecture 5 min

Marches exploratoires, marches sensibles, diagnostics en marchant et encore plus récemment Intertexting, de nombreuses méthodes de diagnostics urbains sont régulièrement (re)découvertes. Et celles-ci ont la particularité d’intégrer le sensible comme une donnée majeure, en amont de tout projet urbain.

Ces nouvelles stratégies permettent donc aux populations locales de mieux connaître leur environnement, de travailler à l’amélioration de leur qualité de vie et surtout de favoriser l’appropriation des espaces publics de leur quartier. La promesse de ces nouvelles formes de diagnostic est donc de créer des lieux de vie qui répondent véritablement aux besoins des citoyens. Mais concrètement, comment la méthodologie d’un diagnostic urbain peut-elle avoir une répercussion et un effet plus qualitatif sur la conception des territoires ?

Le diagnostic urbain : hier et aujourd’hui

Un diagnostic urbain se définit selon la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) comme étant « Un état des lieux qui recense, sur un territoire déterminé, les problèmes, les forces, les faiblesses, les attentes des personnes, les enjeux économiques, environnementaux, sociaux (…) Il fournit des explications sur l’évolution du passé et des appréciations sur l’évolution future ». Pour ce faire, un diagnostic urbain se constitue grâce à une collecte de données chiffrées et de productions cartographiques des éléments structurant le territoire. Il se concentre principalement sur l’analyse de la configuration d’un territoire, de sa morphologie urbaine et de son identité architecturale par l’étude et l’explication des évolutions du passé. Le diagnostic urbain intervient alors tel un guide, un mode d’emploi à suivre dans le processus de développement d’un territoire, menant à orienter ou réorienter les opérations urbaines dans les villes. Il est donc en réalité un état des lieux global permettant de guider des choix.

Avec l’arrivée des différentes lois de décentralisation de 1982 et 1983, les compétences de l’Etat en matière d’urbanisme ont été transférées aux collectivités territoriales. Cette démarche politique a été mise en place avec l’objectif de rapprocher les citoyens des centres de décision. La fabrique urbaine devient alors une politique locale et inclusive, cherchant de plus en plus à faire participer les habitants dans les processus de développement de leur ville. Ce changement radical a ainsi permis de faire émerger de nouveaux modes de faire la ville, par le déploiement de nouveaux outils.

C’est au sein de la fabrique urbaine, de l’architecture, de l’urbanisme, de la construction, que l’on  note donc une prise en compte plus importante de l’environnement et des usagers. Depuis quelques années, dans le but de cerner au mieux ces derniers, les acteurs de la fabrique urbaine sortent ainsi du schéma classique du diagnostic territorial pour enrichir leurs études. Diagnostics écologiques, focus sur les ressources locales, études sociologiques, autant de nouvelles manières de penser, d’apercevoir et de concevoir un diagnostic plus centrés sur l’homme et sa perception de l’environnement. De cette manière, des termes tels que marches exploratoires, marches sensibles, diagnostics en marchant ou encore Intertexting apparaissent.

Marche exploratoire dans le 15ème arrondissement de ParisSource : twitter

Marche exploratoire dans le 15ème arrondissement de ParisSource : twitter

L’arrivée de nouvelles méthodes de penser la ville

C’est au Canada, dans les années 90, que le terme de marches exploratoires s’est manifesté en premier. Il était question de marches, à l’époque exclusivement organisées par des femmes, ayant pour but de questionner les principes d’aménagement de “genre” dans une perspective de prévention des risques d’agressions de la ville et de diminution du sentiment d’insécurité. Il s’agissait pour ces femmes d’exprimer leur vision et leurs ressentis en faisant appel à leur expérience concrète de l’espace public. Cela se traduisait par une évaluation du sentiment de sécurité des lieux urbains dans le but de faire ressortir des solutions d’aménagement adéquates.

Une démarche novatrice, qui forte de l’expérience canadienne, vient peu à peu se démocratiser dans d’autres pays avec une ambition commune, celle de donner l’occasion aux citadins d’identifier leur territoire et de répondre à leurs dysfonctionnements par une pratique plus vivante, en le parcourant, de manière à capturer le sensible des ambiances et des urbanités.

En France, c’est dans les années 2000 que les premières marches sensibles sont utilisées pour établir des diagnostics. L’idée de cette méthode reste la même : il s’agit de mobiliser les citoyens pour effectuer une marche sur un parcours prédéfini, durant laquelle, leurs avis, leurs ressentis, leurs sentiments et les problématiques observées dans ces espaces publics en tant que piétons seront recueillis et analysés. Et cela, afin de parvenir à une conclusion collective sur l’expérience vécue. Ainsi, ces nouvelles méthodes font ressortir deux objectifs principaux :

  • Tout d’abord, elles permettent de faire évoluer les pratiques des acteurs de la fabrique urbaine afin de les amener à prendre davantage en compte le prisme sensible et humain de l’usager, et ainsi d’affiner les connaissances de terrain pour la création d’un projet.
  • Ensuite, elles favorisent les échanges sociaux ainsi que l’appropriation des habitants et usagers à un nouveau quartier ou à un quartier en évolution. Cela, par un investissement de l’espace urbain et une méthode collaborative et collective. En effet, l’initiation et l’accompagnement à cette démarche citoyenne, permet aux habitants d’intervenir directement en tant qu’acteur central dans l’étape première du processus de conception urbaine de leur quartier. En outre, cette approche apparaît également comme un moyen de sensibiliser les citoyens aux problématiques environnementales et sociales.

Le quartier Amsterdam West a expérimenté cette méthode de diagnostic participatif en 2010. Pour lutter contre les difficultés sociales et urbaines dues aux phénomènes de ghettoïsation, d’insécurité croissante et de pauvreté, la municipalité a fait le choix d’investir le champ de la démocratie participative. Avec pour objectif de changer l’image de ce quartier et de (re)créer du lien entre les habitants, un premier diagnostic quantitatif était réalisé, puis une évaluation sur le terrain a été engagée. Il s’agissait ainsi de faire du porte à porte, d’interpeller les passants, les habitants, les usagers de ces espaces urbains et de les questionner sur leurs besoins et leurs ressentis. Cela dépassait la simple concertation car ce diagnostic aboutissait à de réels projets locaux. Ces actions ont ici contribué à relancer le dynamisme économique du territoire, tout en participant à créer des liens fédérateurs entre les acteurs locaux.

Dans de nombreux quartiers situés en zone urbaine, des problématiques dues aux difficultés sociales, économiques et culturelles sont récurrentes. Il est alors important d’aller plus loin dans les démarches d’actions publiques dans ces lieux et d’intervenir de manière plus inclusive afin de comprendre pleinement les raisons de ces dysfonctionnements. Ainsi, de prendre le temps d’interagir avec les habitants, étant au quotidien, des spectateurs premiers de la vie de leur quartier.

Concrètement, quel avenir pour ces nouvelles approches ?

Le digital et la connectivité numérique se développent aujourd’hui dans l’ensemble des activités, et les champs de l’urbanisme et de l’aménagement n’y font pas exception. L’Intertexting est d’ailleurs le témoin du développement de l’utilisation de ces nouvelles technologies dans la collecte de données permettant la réalisation d’un diagnostic encore plus poussé.

Celui-ci fonctionne sur le même principe de promenade sensible, à la seule différence qu’ici, la technologie est sollicitée. Cela peut se traduire par l’utilisation de téléphones portables, avec lesquels chacun des participants est invité à échanger des sms, sons, vidéos et photographies tout au long de la marche, témoignant de leurs ressentis concernant les lieux parcourus. L’idée de cette démarche est de co-construire un récit collectif à partir de l’ensemble de ces messages, images, vidéos, enregistrements sonores recueillis aboutissant à un diagnostic de territoire et d’envisager son devenir. De cette manière, les outils numériques sont utilisés dans le but d’améliorer la qualité de vie, les échanges et l’environnement des urbains.

Le collège Henri Brisson à Talence, à proximité de Bordeaux, a également initié en 2018, avec l’association de Bruit du Frigo, l’expérience d’un diagnostic sensible de type Intertexting au sein même de leur école avec une réflexion genrée, portée sur l’usage de la cour de récréation entre les filles et les garçons. Deux questions ont été posées aux élèves :  «Est-ce qu’on vit la cour de façon différente si on est une fille ou un garçon ? » et “Qu’aimeriez-vous changer pour rendre la cour plus agréable ?”. Des cartographies et benchmarking ont été demandés afin de répondre d’y répondre. Par l’analyse de ces cartographies, il a été remarqué que l’image qu’avaient les élèves de la cour n’était pas semblable à la réalité et que les attentes étaient bien différentes selon qu’ils étaient une fille ou un garçon. Cependant, une idée collective est ressortie de ce diagnostic : la volonté de favoriser une mixité et d’améliorer la qualité environnementale de la cour.

Dans la même optique, les travaux de la start-up Qucit montrent l’efficacité de l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’amélioration des territoires. En effet, la start-up a développé un outil permettant de récolter des informations géolocalisées pouvant être croisées avec des éléments contextuels, comme l’heure, le jour ou encore la météo. Ces données sont recueillies par l’organisation de marches sur une zone déterminée où les participants munis de leur smartphone, répondent à un questionnaire ciblé sur leurs ressentis. Elles représentent alors un atout considérable car elles permettent d’interpréter les causes qui ont pu influencer une perception de l’espace dans un contexte spécifique. Cet outil réalise un diagnostic des lieux de manière plus juste et permet ainsi d’apporter des solutions plus adaptées aux besoins des habitants.

Le numérique dans l’aménagement des territoires, s’avère donc aujourd’hui être un outil capable de fournir des informations précises que les données qualitatives ne permettent pas forcément de recouvrir. Ces données issues du numérique, bien qu’elles ne soient pas en capacité de se substituer à des données qualitatives, permettent d’agir sur les détails qui font toute la différence. L’Intertexting est à ce titre, un procédé pour penser une ville plus axée sur les perceptions et le bien-être des individus.

De nouveaux outils technologiques viennent désormais nourrir les diagnostics urbains - Source : @clemono sur Unsplash

De nouveaux outils technologiques viennent désormais nourrir les diagnostics urbains – Source : @clemono sur Unsplash

Depuis plusieurs années, on s’aperçoit donc que les manières de concevoir les territoires urbanisés ne cessent de se développer en parallèle de l’évolution rapide des villes. La manière dont on construit la ville, lieu où se concentrent aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale, engendre de nombreuses problématiques ayant un impact fort sur les conditions de vie à la fois économiques, sociales et environnementales des citadins. C’est pourquoi, il est aujourd’hui indispensable de construire une approche intégrée des territoires, reposant sur des critères d’évaluation plus variés autres que ceux des données statistiques.

Aujourd’hui, de nouveaux procédés de diagnostics apparaissent, mettant au premier plan l’usager et développant une démarche plus inclusive. Qu’ils utilisent des procédés misant sur l’humain ou sur la technologie, ils permettent, de manière générale, de recueillir des informations plus qualitatives, de confronter les points de vue et de construire une vision commune du territoire. Et dans ces diagnostics alternatifs, la dynamique partagée par la mise en place d’un processus participatif, est aussi importante que les résultats obtenus.

Alors, de quelle manière les diagnostics vont-ils évoluer durant les prochaines années ?

Ce qui semble certain, c’est que le diagnostic ne remplit désormais non plus seulement une fonction propre au process de fabrication de la ville qui illustrerait une étape par laquelle il semblerait plus ou moins pertinent de passer… Au contraire, il est de plus en plus évident que cette phase de diagnostic, selon la manière dont elle est réalisée, produise autre chose qu’une seule analyse de territoire.

Elle peut en effet contribuer à l’appropriation future du quartier, permettre la mise en place d’événements contribuant au renforcement du lien social entre les habitants, favoriser l’échange de bonnes pratiques écologiques entre usagers ou contribuant à l’amélioration de leur bien-être. Cela peut également donner la possibilité à des acteurs économiques d’un territoire de se rencontrer et par conséquent d’entrevoir ensemble l’amélioration des dynamiques économiques de leur territoire !

En résumé, le temps de fabrication d’un diagnostic urbain peut lui-même être bénéfique au territoire et à ses habitants. Tout dépend de la manière, du temps et des objectifs que nous accordons à cette phase de diagnostic. Ainsi, pour demain, laisser libre cours à l’élaboration de nouvelles formes de diagnostic pourrait non seulement nous permettre de fabriquer des villes plus en phase avec nos besoins, mais aussi permettre de remplir d’autres aspects que l’on n’imagine pas encore aujourd’hui… Et c’est peut-être une des voies possibles pour toute la recherche qui peut encore être pratiquée pour le renouvellement de la fabrique urbaine.

LDV Studio Urbain
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