Comment rendre nos villes plus saines d’esprit ?

Paris
7 Mai 2019

Depuis l’ère industrielle, la ville a souvent été associée à un univers froid, hostile et violent. Aujourd’hui, elle est encore souvent synonyme de mal-être pour les habitants qui y vivent et les statistiques sur les grandes villes comme Berlin, Tokyo ou New York ne le démentent pas, c’est là où se concentrent le plus grand nombre de maladies et de troubles psychiques, dont les plus fréquents sont la bipolarité, la dépression ou encore l’anxiété généralisée.

Mais les interactions entre villes et habitants, à la source de ces troubles sont, à première vue, invisibles et inaudibles. Encore largement négligé dans l’aménagement de nos villes, l’impact de l’urbain sur notre sanité d’esprit ou même d’humeur n’est pas un enjeu suffisamment attesté par les acteurs de la fabrique urbaine.

Pourtant, de nombreuses recherches et études se sont développées ces dernières années et des acteurs de la ville commencent tout doucement à prendre conscience des effets de l’environnement urbain sur la santé mentale. Expérimentations urbaines, nouveaux services, études et planifications urbaines innovantes, les villes deviendront-elles plus saines d’esprit ? Est-il possible de prévenir certains troubles mentaux par la planification urbaine ? Peut-on parler de psychologie lorsqu’on parle d’une ville ?

Paris

Paris, France © Jonathan Rados, via unsplash

La ville saine, un remède pour prévenir les trauma ?

Les maladies mentales atteignent 450 millions de personnes dans le monde d’après la co-fondatrice de citiesRISE, Moitreyee Sinha, alors qu’elles sont l’un des fléaux les plus dévastateurs et les moins financés du monde. Avant de développer la plateforme, les fondateurs ont voyagé autour du monde pour rencontrer des entrepreneurs, des municipalités, des communautés et de jeunes leaders afin de mieux comprendre le problème et ainsi explorer de nouvelles solutions.

Leur voyage leur a appris qu’en 2030, la dépression sera une maladie plus onéreuse que le cancer, le diabète et les maladies respiratoires chroniques combinées. Face à ce fléau l’initiative a pour objectif de transformer les politiques et pratiques pour la santé mentale des villes autour du monde, par la création de méthodologies et d’outils visant à améliorer l’état de santé mentale des populations.

En 2030, 60% de la population vivant en ville sera une population jeune de moins de 18 ans. Bien que particulièrement touchée par les différentes maladies psychiques comme la dépression, cette tranche d’âge est néanmoins décrite comme porteuse d’une certaine capacité de réflexion pour le développement de solutions imaginatives et avant-gardistes qui pourraient bien venir limiter les risques de développement de troubles mentaux.

Alors que la recrudescence des troubles mentaux est une menace qui guette la ville, plusieurs freins maintiennent la prise en compte de la santé mentale comme un angle mort des politiques urbaines .

Ainsi, selon Moitreyee Sinha, lutter contre ces problématiques et ces troubles psychiques repose sur la compréhension de principes clés. Parmi ces principes, la santé mentale doit être normalisée et devenir un sujet plus transparent; le manque d’informations, la honte ou même le jugement font très souvent barrière aux actions prises pour sensibiliser à ces troubles psychiques. Les solutions concernant la santé mentale doivent aussi prendre en compte les espaces de vie, privés ou publics comme le logement, les transports en commun, ou même les espaces dédiés à l’éducation, ou encore ceux relatifs à la sécurité publique, qui ont un rôle crucial à jouer pour améliorer la santé mentale dans les villes. Les connaissances et l’énergie des jeunes peuvent à ce titre, être mobilisées et exploitées pour impulser du changement et ainsi innover via des mécanismes de responsabilité qui peuvent pallier au développement de troubles mentaux.

Mais ce n’est pas tout, les grandes villes sont également vectrices d’isolement et se révèlent souvent être le foyer d’une crise du lien social, ce qui peut, à force, être un facteur de traumatismes mentaux chez les citadins. Cette situation d’isolement social, dans laquelle peut se retrouver une personne qui fait face à un manque de relations tant sur la durée que sur la fréquence, est une situation de souffrance, voire de danger qui vient nuire au bien-être de l’individu. Ce phénomène d’isolement social provoqué par la ville touche tous les individus : personnes âgées, étudiants, personnes atteintes d’handicaps… Alors comment y remédier et atténuer cette nuisance qui vient à l’encontre de la ville saine et du bien-être en ville ?

L’implication citoyenne, est une solution pour lutter contre cet isolement. Que ce soit de l’entraide entre voisins, collègues, familles ou par l’engagement associatif ou la mise en place d’équipes citoyennes, cette implication solidaire entre habitants d’une même ville, membres d’un même milieu, vient participer à la réduction de ces cas d’isolement. Les différentes formes d’entraide que les citoyens peuvent mettre en place constituent un premier pas informel dans la construction de la solidarité entre individus et ainsi participent à améliorer le bien-être en ville des personnes. Mais si les citoyens peuvent participer à améliorer le bien-être par la proximité, la ville peut elle aussi contribuer à favoriser le bien-être mental ? A ce titre, de nombreuses personnalités, urbanistes, architectes, écrivains, entrepreneurs travaillent sur le sujet et mènent différentes expérimentations.

Quand les expérimentations et les initiatives au service de la ville saine d’esprit se multiplient

Si la ville peut-être vectrice de troubles mentaux, elle peut aussi y remédier. Depuis quelques années, des projets sortent de terre pour prendre en compte le bien-être mental.  Le nouveau centre de soin psychiatrique à Metz, conçu par l’agence d’architecture Richter et Associés, propose un bâtiment qui ré-injecte de la vie au sein de la ville en conciliant besoin d’intimité des usagers et connexion avec l’environnement.

Repenser une ville plus saine et agréable, c’est également prendre en compte d’autres enjeux, comme ceux du handicap. L’architecture peut avoir un impact sur les personnes atteintes de troubles comme l’autisme. Des architectes ont travaillé sur cette thématique et ont cherché à minimiser au mieux l’inconfort des individus atteints par ce trouble grâce à l’architecture sensitive, donnant ainsi vie à des lieux de vie qualitatifs, à l’image des travaux de l’architecte et designer Emmanuel Negroni, conçus avec des matériaux, des couleurs ou des volumes ayant une vraie influence sur le bien-être.

Par ailleurs, deux expériences ont récemment démontré la corrélation entre la présence de jardins partagés et d’autres espaces verts réappropriés par les habitants et la réduction du stress, et l’augmentation du sentiment d’appartenance et de la confiance en autrui. Ainsi, l’architecture et l’urbanisme semblent faire partie de la solution pour pallier à certains effets néfastes de la ville sur le mental par la création de nouveaux lieux de vies urbains plus sains.

Pour aller plus loin, plusieurs spécialistes se sont intéressés à l’influence que pouvait avoir la ville sur l’humeur. Alain de Botton, auteur du livre “l’architecture du bonheur”, exprime en quoi l’architecture peut nous aider à accéder au bonheur. La vertue de son ouvrage est de montrer aux lecteurs qu’un bâtiment peut permettre de recréer une zone de confort, où l’individu se sent heureux.

Dans la même thématique, l’urbaniste Charles Montgomery présente sa vision de la ville heureuse, “The Happy City”. Il insiste sur l’importance du lien social et des relations humaines dans la ville comme variable de bonheur et comment la morphologie de la ville joue un rôle dans la distension des liens sociaux, ce qui entraîne une méfiance de son voisin et une altération du bien être mental. Il démontre également, par des expériences urbaines, comment le traitement de l’espace public change la perception que nous nous faisons des autres.

Enfin, la ville se dote depuis peu, de nouveaux services en faveur de la bonne santé mentale. C’est le cas d’un nouveau lieu, “Selfspace”, à Londres qui veut révolutionner la thérapie pour qu’elle soit un moyen pour atteindre le bien-être, un moyen moins stigmatisé et aussi bien accepté qu’une séance de sport. La fondatrice Jodie Cariss propose des séances flexibles et accessibles dans un cabinet de psychologues ouvert sur la ville. Les séances peuvent être très facilement réservées en ligne à tout moment de la journée. L’initiative ne veut plus cacher la thérapie mais la montrer, au sein même de l’espace urbain, pour l’associer à “la bonne santé mentale” et non plus aux “maladies mentales”. Le but est d’aspirer à atteindre la bonne santé mentale au lieu d’attendre le point de crise, ce qui est souvent le cas des patients qui choisissent de faire une thérapie.

© site web Selfspace

Face au délitement du lien social, d’autres activités citoyennes et solidaires voient le jour comme l’association “La Porte Ouverte” à Paris, créée pour faire face au manque de soutien psychologique entre les citadins. Comme son nom l’indique, l’initiative est un lieu d’écoute anonyme, gratuit qui permet de mettre en relation des citadins bénévoles prêts à donner du temps pour des habitants isolés, qui n’ont personne à qui parler. L’objectif de ce projet est de soutenir des personnes qui ne peuvent pas se confier. L’association offre ainsi un espace d’écoute serein dans la ville où le manque de liens sociaux de qualité peut-être parfois particulièrement pesant.

Les constats, les expériences et les conclusions du croisement de disciplines comme les neurosciences, la psychologie, la sociologie avec l’architecture et l’urbanisme ainsi que le développement d’activités urbaines au service de la bonne santé mentale dévoile un réel enjeu, dont la complexité demande de nouvelles méthodes de travail.

La modernisation des méthodologies de travail pour des villes plus saines et durables

Pour être plus saine d’esprit, la ville doit pouvoir intégrer ce nouveau défi dès la stratégie urbaine et la planification pour anticiper les risques de troubles mentaux. Dans des projets urbains de grande échelle comme le renouvellement urbain, la santé mentale des habitants doit pouvoir faire face à des bouleversements qui ne sont pas sans conséquences sur leur quotidien. En effet, il s’agit par exemple, de repenser les grands chantiers qui déshumanisent la ville. L’aménagement temporaire de friches urbaines, un traitement artistique et des visites pédagogiques dans des espaces publics ou des bâtiments inutilisés peuvent y répondre. Ces initiatives permettent d’informer l’habitant, voire de le préparer au devenir de son quartier.

Il s’agit également de penser en amont le projet urbain pour limiter la rupture des habitudes de sociabilité. La disparition de certains espaces publics, de lieux de sociabilité comme un café ou un commerce ou encore les déplacement des habitants d’un quartier à un autre peuvent engendrer des pertes de repères débouchant sur des troubles psychiques. Certaines villes participent déjà en partie à renforcer la capacité de leur territoire à agir sur la bonne santé des habitants. La ville d’Avrillé, dotée de nombreux espaces verts et services, par exemple, investie sur le développement durable à l’échelle du territoire afin de maintenir son cadre de vie et favoriser le bien-être de ses habitants.

café

Paris, France © Juri Gian, via unsplash

Ce bien être passe également par le développement de nouvelles méthodes innovantes de conception de la ville qui mette l’être humain au coeur de la planification. Jean-Yves Chapuis, consultant en stratégie urbaine et enseignant à l’école nationale supérieure d’architecture du Val de Seine décrit l’urbanisme comme “le moyen qui permet aux habitants de bien vivre la ville”. La science des villes devient une nouvelle ingénierie urbaine qui prend en compte de nouveaux domaines comme la culture, le commerce, la sociologie et qui doit intégrer la participation des habitants en mobilisant l’intelligence collective en amont des projets.

Ainsi, la recherche de nouvelles méthodologies de travail pour concevoir la ville passe surtout par l’humain comme le proposent les outils de design centrés sur l’humain qui se développent dans le monde anglo-saxon. Le maire Paul TenHaken de la ville de Sioux Falls aux Etats-Unis a décidé de moderniser le système de transport de sa ville en utilisant un de ces outils : la “War Room” dont la méthode consiste à rassembler une fois par semaine treize personnes aux esprits créatifs et innovants provenant de dix villes différentes pour comprendre dans un premier temps les enjeux de la mobilité, puis développer des solutions avec les habitants de la ville. L’humain, premier habitant des villes est le mieux placé pour nourrir la réflexion des municipalités sur leurs enjeux urbains, mais la ville, en elle-même, peut également être sondée…

C’est ce que propose de faire l’ANPU (Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine) avec la psychanalyse urbaine. La structure propose d’user d’un protocole particulier, celui de “coucher les villes sur le divan”. Cette méthode, entre diagnostic urbain et performance remet la ville au centre des préoccupations d’une façon plus humaine.

Après plusieurs années de recherche, ils ont pu déterminer des caractéristiques qui attestent du caractère vivant de la ville. Composée d’un beat, une pulsation rythmique qui lui est propre, elle peut être à la fois vectrice de joie ou de stress, elle peut se faire belle ou ne pas prêter attention à son apparence, ses habitants peuvent l’apprécier ou la repousser… Ainsi, le rôle du psychanalyste urbain est d’être attentif et de bien comprendre le territoire pour imaginer des soins, des pistes de solutions en fonction de l’état de la ville qu’il analyse.

Pour mesurer le pouls d’une ville, l’agence recueille la parole des habitants grâce à “des opérations divan” qui consistent à installer des transats dans la ville pour que des bénévoles, habillés d’une blouse blanche, s’entretiennent avec des habitants par le biais de questionnaires chinois. Ce processus permet de susciter la créativité, la poésie de l’habitant et réveiller des émotions éprouvées pour sa ville. De plus en plus de d’acteurs de la ville font appel à l’ANPU pour utiliser la psychanalyse comme un outil d’action sur les territoires. Les villes auront peut-être davantage recours à cette méthodologie de travail, plus attentive aux émotions et au ressenti. Et si l’état de santé globale d’une ville pouvait se sentir en un coup d’oeil ?

Alors que les troubles mentaux menacent de progresser dans les grandes métropoles, les acteurs de l’urbanisme prennent progressivement conscience de la nécessité d’adapter les projets urbains pour prévenir les risques de développement de ces maladies délaissées jusqu’à aujourd’hui. La ville devient progressivement un laboratoire qui anticipe et prévient les chocs psychiques liés à sa transformation.

D’autres projets d’échelles plus larges prennent d’ailleurs le contre-pied de la prévention des traumas et des troubles mentaux en partant du bonheur. Au centre des politiques nationales, le Bonheur National Brute (BNB) au Bhoutan ou l’Observatoire International du Bonheur mise ainsi sur le bonheur comme un indice au cœur de la réflexion des processus décisionnaires de la ville. Un autre canal d’intervention qui pourrait bien être demandé pour anticiper les futures ruptures que présagent les changements climatiques autour du globe.

LDV Studio Urbain
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