Avoriaz, ville sans voiture, un modèle pour aujourd’hui ?

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16 Fév 2017

Jean Vuarnet s’est éteint dans les tous premiers jours de 2017. Ce champion olympique de descente n’était pas seulement un grand sportif, il fut également le fondateur de la si particulière station de ski d’Avoriaz. Bâtie sur un rocher, cette célèbre station française vient d’ailleurs tout juste de fêter ses cinquante ans d’existence.

Révolutionnaire à l’époque avec ses grands immeubles, Avoriaz est célèbre par son absence complète de voitures au sein de la station. En la créant avec Gérard Brémond, patron du groupe Pierre & Vacances, Jean Vuarnet avait à l’époque souhaité offrir aux vacanciers un cadre unique, complètement coupé du monde et entièrement autosuffisant. Les résidents déposent leur voiture à l’entrée de la station, la rejoignent à pieds ou en téléphérique et une fois à l’intérieur s’y déplacent en ski, en calèches ou en traîneaux. Focus sur un modèle de « ville » avant-gardiste ?

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Copyright : Gilles Galas / Avoriaz Tourisme

Apprivoiser la montagne pour créer un lieu hors du commun

Au milieu des années 60, des villes nouvelles émergent sur différents territoires. Mais contrairement à la perception que l’on en a, ces villes nouvelles n’ont pas toutes été construites pour éviter la concentration urbaine dans les grandes métropoles. En effet, mis à part Villeneuve-D’ascq, Évry, Cergy-Pontoise, Saint-Quentin-en-Yvelines, L’Isle-d’Abeau, Le Vaudreuil, Marne-la-Vallée, Étang de Berre et Melun-Sénart devenue Sénart, d’autres villes nouvelles furent construites dans les années 60 pour de toutes autres raisons, c’est notamment le cas d’Avoriaz située en Haute-Savoie.

Nous sommes dans les années 60 et un enfant de la ville de Morzine, du nom de Jean Vuarnet, vient de remporter un titre de champion olympique à Squaw Valley dans l’épreuve de descente. Peu de temps après, l’enfant prodigue revient dans la région avec un nouveau défi en tête et non des moindres : offrir à son village et à tous les amoureux du ski, une station conçue de toutes pièces, là haut sur le plateau qui n’était jusque-là fréquenté qu’au printemps par les bergers et leurs troupeaux.

Bien qu’appartenant à la municipalité de Morzine depuis sa cession par les comtes de Rovorée qui lui léguèrent son nom, le plateau d’Avoriaz n’avait jusque-là jamais été envisagé sous l’angle touristique, ni même comme une possible extension de la ville. Entouré de falaises et désertique en hiver, le plateau n’était peuplé que de quelques chalets d’alpage, également disséminés sur la montagne. Accessibles uniquement l’été, le printemps et l’automne, ces chalets étaient donc inoccupés l’hiver.

Pourtant, à son retour à Morzine, Jean Vuarnet était bien décidé à affronter les neiges périlleuses de la montagne de son enfance pour tenter de dévaler les magnifiques pentes des massifs qui surplombent ce fameux plateau. Pour cela, il fait alors le choix de s’entourer de professionnels, à commencer par un partenaire immobilier capable de lui apporter une grande expertise mais aussi une grosse capacité de financement.

C’est d’abord vers Robert Brémond qu’il se tourne. Ce dernier propose ensuite à son fils, Gérard Brémond,  qui deviendra plus tard le fondateur et président du groupe Pierre & Vacances, de monter cette ambitieuse opération aux côtés du champion olympique. Gérard Brémond s’entoure lui, de deux architectes prometteurs Jacques Labro et Jean-Jacques Orzoni et il choisit même d’en associer un autre, qui n’était pas encore diplômé à l’époque, Jean-Marc Roques.

« Avoriaz, la station sans voiture ! »

Dès lors, l’objectif est fixé. Il s’agira de créer « un contexte totalement différent de celui auquel les futurs touristes ont accès dans leur quotidien ».

Et cela commence par le plan masse de la station. Alors que l’idée était de créer un lieu entièrement tourné vers la glisse, Jean Vuarnet expliquera que « l’implantation des champs de ski et des pistes ont présidé à l’implantation du plan masse conçu par les architectes ».

Ainsi, dans l’esprit de Jacques Labro, Jean-Jacques Orzoni et Jean-Marc Roques, les rues devaient servir de pistes. Exit le bruit et la pollution des voitures ! A Avoriaz, on se déplacera en ski, en calèche, ou en traîneaux tirés par des chiens voire même par des rennes spécialement importés de Laponie.

L’architecture moderne et singulière, imaginée par les trois architectes participait également au dépaysement des touristes. Il s’agissait de se différencier totalement de ces « bâtiments que l’on appelle communément « les valises », ces espèces d’immeubles classiques que l’on trouve parfaitement dans les villes » confiait Jean Vuarnet à l’époque. Pas de pastiches, pas de chalets, mais selon Simon Cloutier, qui a repris à son compte l’Atelier d’Architecture d’Avoriaz, « il s’agissait d’inventer un nouveau langage architectural ». Se retrouvent donc des immeubles de dix étages, aux formes diverses et singulières. Le tout dégageant une certaine harmonie extrêmement novatrice pour l’époque et qui n’a semble-t-il pas vieilli depuis.

Mais alors comment se déplace-t-on vraiment au sein de la station ? Dès lors que la saison de ski débute, des touristes y arrivent avec de nombreuses valises pour y passer plusieurs jours. Ils doivent pourtant laisser leur voiture dans les parkings situés à l’entrée de la station, ce qui rend les déplacements bien plus difficiles. Se rajoutent à cette donnée, les multiples allers-retours que les touristes sont contraints d’effectuer entre les superettes et leurs logements car les appartements étant souvent petits, les frigos le sont tout autant. Sans compter les poussettes parfois multiples des familles nombreuses. Alors, bien entendu, tout ne se fait pas à ski… Mais la voiture n’y est pourtant toujours pas autorisée sauf quelques navettes circulant la nuit et quelques véhicules d’entretien de la station.

Pas de voitures, mais les touristes peuvent en revanche se déplacer en calèches ! Si bien que les chauffeurs de taxi que l’on trouve habituellement en pleine ville, se trouvent ici remplacées par de nombreux cochers qui doivent passer un diplôme spécial pour conduire une des nombreuses calèches présentes dans la station.

Aujourd’hui, le « sans voiture » à Avoriaz est donc une fierté pour tous ceux qui font fonctionner la station mais aussi une source de dépaysement total pour les touristes qui viennent y passer quelques jours durant les vacances d’hiver. En revanche, certains déplacements restent difficiles et tout n’est pas aussi rapide et fonctionnel que ce dont on pourrait avoir besoin au quotidien. Mais c’est bien là toute la force de cette station de ski, avoir réussi à créer un lieu intemporel, permettant à ses visiteurs de faire un break particulièrement ressourçant et bien loin des habitudes du quotidien urbain.

Un modèle pour des villes sans voitures ?

Aujourd’hui, même si la station reste unique, Avoriaz n’est plus une exception. Comparée aux politiques menées par de plus en plus de métropoles, le modèle de la ville sans voiture se répand et pas uniquement dans les esprits !

Le cas le plus célèbre est celui de Hambourg. En 2014, la deuxième ville d’Allemagne prévoyait de mettre en place sur 20 ans un réseau vert qui devrait relier l’ensemble des parcs et espaces naturels de la ville, comptant à eux seuls, 40 % de la superficie de la ville.

Comment la municipalité compte-t-elle y parvenir ? En interdisant non pas la voiture, mais en tentant « d’éliminer la nécessité de la voiture à Hambourg ». Et c’est bien là que se trouve toute la nuance d’une politique municipale, interdire ou faire évoluer les usages.

Comment s’y prend-elle ? En favorisant les réseaux piétons et cyclistes, le tout grâce à une densification des espaces verts dans la ville.

L’intégration des espaces verts à Hambourg a d’abord été pensée dans les années 90, par la conception d’un plan d’urbanisme spécifiquement dédié à cette idée. A l’image des architectes qui ont accompagné Jean Vuarnet à concevoir une station entièrement skiable à Avoriaz, Fritsch Schumacher et Gustav Oelsner ont conçu un plan d’aménagement composé de grands axes allant du centre vers la périphérie de la ville. Ces grands axes devaient alors inclure des espaces verts, ainsi que des aires de jeux souhaités par la municipalité allemande.

Pour Hambourg, il s’agit maintenant de lier ces zones vertes, afin que l’on puisse se déplacer d’un point A à un point B autrement qu’en voiture. Ainsi différents axes et des ceintures vertes sont aménagées. Mais à l’inverse de la ville allemande, au sein de laquelle les zones vertes sont encore trop séparées, les pistes de ski d’Avoriaz sont toutes reliées les unes aux autres, ce qui signifie que les skieurs peuvent rentrer chez eux « skis aux pieds » ! Et par ailleurs, lorsque nous sommes à Avoriaz, il ne faut surtout pas oublier que nous sommes dans un lieu de vacances et c’est là toute la différence. Car ce sujet de la ville sans voiture est finalement nécessairement lié à celui de la répartition géographique des lieux de travail, chose à laquelle on ne pense plus une fois à Avoriaz.

Si l’on prend le cas de Paris, marquée par les journées sans voitures et la récente piétonisation définitive des berges de la Seine sur la rive droite, le sujet s’éclaire. Au delà de l’urgence sanitaire qui semble indéniable pour tous, il y a de fait, derrière cette volonté de favoriser l’émergence d’une ville plus vivable, le soupçon d’une municipalité parisienne qui souhaiterait progressivement repousser les automobiles au-delà de son périmètre.

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Journée sans voiture à Paris – Sophie Robichon/Mairie de Paris

Sans prendre part à ce débat, il est néanmoins intéressant de jeter un œil à  l’ouvrage paru en 2013 d’Hélène Reigner, Thierry Brenac et Frédérique Hernandez, Nouvelles idéologies urbaines, dictionnaire critique de la ville mobile, verte et sûre. Les auteurs introduisent notamment dans les transports la question cruciale de l’accès au travail des usagers de la ville : « La restriction de l’usage de l’automobile est [souvent] une politique de sélection d’usages et d’usagers ».

Et dans ce cas typiquement parisien, on remarque que ceux qui font les frais de cette nouvelle politique pour une ville plus douce, sont les mêmes qui sont contraints professionnellement de la traverser quotidiennement. Ce qui n’est bien entendu pas comparable à Avoriaz, car comme le souhaitait Jean Vuarnet, il s’agissait avant tout d’offrir un lieu de « dépaysement » à des urbains trop stressés par le rythme de la ville et non de favoriser l’attractivité d’une région.

Si l’on doit donc retenir une leçon du modèle avant-gardiste d’Avoriaz, c’est bien sur la question des usages et des usagers. Car pour les métropoles qui souhaitent minimiser l’usage de la voiture en ville, il y a sur ce point, une réflexion globale à mener qui dépasse la seule thématique des transports. Il semble d’abord évident qu’une telle politique, au-delà du cadre touristique, ne peut être menée qu’en intégrant la métropole toute entière, autrement dit en intégrant les villes périphériques dans cette réflexion. Par ailleurs, une telle réflexion dépasse le clivage pro-voiture et anti-voiture, car ce qui se joue est aussi la répartition plus égale des lieux de travail au sein des territoires, afin de sortir du modèle de la ville centre et de ses périphéries.

Faire émerger une ville inclusive et sans voiture reviendrait donc sans doute à se diriger vers une métropole polycentrique. Si cela ne devait pas être le cas, le risque pour les villes serait de ne plus être que des destinations touristiques et repliée sur elles-mêmes, mais toujours très attrayantes comme l’est Avoriaz !

 

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