Autodiscipline sanitaire et écologique : quand l’aménagement de nos villes influe sur notre charge mentale

©️Thyla Jane via Unsplash
9 Fév 2021 | Lecture 5 min

La crise sanitaire, qui rythme le quotidien des populations du monde entier depuis maintenant un an, implique d’adopter des comportements précis et d’accepter les contraintes et consignes dictées à l’échelle nationale. Du confinement à l’autodiscipline, en passant par le couvre-feu, chaque pays réagit à sa manière.

Ces problématiques sont aujourd’hui grandement liées à d’autres enjeux, climatiques et sociaux entre autres, dont les citoyennes et citoyens s’emparent à une échelle individuelle. Et cela à travers de nombreuses actions et initiatives, notamment par la mise en place d’une forme d’autodiscipline, qui peut, pour certaines personnes, devenir une réelle charge mentale. Finalement, l’aménagement urbain ne pourrait-il pas être un soutien ? Comment intégrer ce nouvel enjeu au sein de nos villes ?

L’autodiscipline se définit par un ensemble de règles qu’un individu applique à soi-même, par ses propres moyens et sans intervention d’une personne tierce. Elle entraîne naturellement certains comportements, voire des actions concrètes, relatives à des thématiques très variées. Elle se manifeste, par exemple, chez des personnes engagées contre le changement climatique, décidant de contribuer, à une échelle individuelle, à la transition de nos villes. Elle est également mise en place, depuis maintenant de nombreux mois, par des personnes soucieuses de lutter contre la propagation de la Covid19. Bien que l’autodiscipline incarne parfois une forme de choix et de liberté pour une catégorie de personnes, elle peut tout autant être assimilée à une forme de moralisation, de culpabilité, voire de charge mentale supplémentaire pour d’autres.

L’autodiscipline : liberté individuelle ou nouvelle contrainte urbaine ?

Pour un grand nombre de personnes, l’autodiscipline représente avant tout un moyen, un outil, pour réagir individuellement, et généralement localement, à une problématique bien plus globale. Que cela soit lié à la situation sanitaire que nous sommes collectivement en train de vivre, au changement climatique qui imprègne nos territoires depuis bien des années, ou à la crise sociale que traversent de multiples populations, l’autodiscipline se révèle être aujourd’hui une manière de s’engager, voire même de militer. Et dans cette logique, c’est tout une dynamique urbaine, de participation à la vie et à la transformation de la ville qui est enclenchée.

Des réflexions et actions sur la consommation locale, sur les habitudes de déplacement et même sur la fabrique et la pratique de la ville émergent au sein de nos territoires. Des citoyennes et citoyens s’autodisciplinent ainsi dans l’objectif de pallier le manque d’investissement, ou bien pour accélérer les dynamiques déjà entreprises, du secteur public et privé. Concrètement, cela peut se manifester par un recours à l’alimentation locale et de saison, l’utilisation d’une mobilité active comme le vélo qui participe à réduire son empreinte carbone, la végétalisation informelle d’un trottoir ou d’un place publique, ou par de simples réflexes journaliers au sein de son logement sur sa consommation d’électricité ou d’eau. L’autodiscipline s’applique à chacun selon des degrés divers, selon ses convictions, ses contraintes économiques et d’autres facteurs qui lui sont propres .

©️Alexey Lin via Unsplash

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Sa pratique a également été un moyen pour les citadines et citadins de participer à la lutte contre la propagation de la Covid19. Particulièrement recommandé pendant les fêtes de Noël, mais également pratiqué par d’autres personnes, notamment vulnérables, pendant toute l’année 2020, l’auto-confinement a, par exemple, été une solution choisie par une partie des français. Cette stratégie a même été expérimentée par des pays comme la Suède afin de ne pas avoir recours à des périodes de confinement obligatoire, en appelant la population à se responsabiliser elle-même sur les mesures sanitaires à appliquer.

C’est enfin une forme de discipline qui s’applique en réalité dans de nombreux quotidiens et sur des sujets très divers. Prendre le temps de cuisiner plutôt que de consommer des plats préparés, enclencher une dynamique et une détermination pour avoir une activité physique et sportive, se donner un objectif en termes de culture, de lecture, de découvertes musicales ou cinématographiques. Pour certains, l’autodiscipline permet de faire émerger des routines, d’adopter de bonnes habitudes et cercles vertueux qui accentuent leur motivation initiale et leur bien-être. Seulement pour d’autres, cela est davantage synonyme de restriction ou bien de culpabilité quand l’objectif n’est pas atteint. Une charge mentale, voire un réel stress, peuvent alors accompagner naturellement cette pratique. Alors, comment la fabrique urbaine peut-elle activement permettre d’amorcer des formes d’autodiscipline sans pour autant représenter un poids supplémentaire dans la vie courante des urbains ?

L’aménagement urbain : un levier d’actions pour alléger la charge mentale des urbains

L’aménagement urbain, tout comme les politiques publiques, les innovations responsables et les initiatives citoyennes, contribuent à leur échelle à développer des villes plus durables, saines et partagées. Et l’espace urbain peut incarner un réel support à l’autodiscipline, ou tout du moins faciliter son développement. Tout d’abord parce que c’est justement l’espace urbain qui, bien souvent, est à l’origine de certaines difficultés rencontrées par les usagers. En effet, les îlots de chaleur, la pollution ou la propagation de virus sont des problématiques qui peuvent être accentuées par un aménagement ou une organisation non adaptée de nos villes, qui vient alors impacter le confort de vie et le bien être urbain. Et c’est bien pour cela que l’aménagement responsable et adapté aux défis actuels de nos villes est un enjeu primaire, relatif à l’urbanisme, à l’architecture et à l’immobilier, mais aussi et surtout à la vie des citadines et citadins.

L’espace urbain peut ainsi devenir un véritable terrain de jeu pour transformer l’autodiscipline en bonnes pratiques. De la rue à la place centrale, des quais d’une gare aux toilettes extérieures publiques, il existe aujourd’hui des aménagements très variés, de l’identité visuelle au mobilier urbain, pour inviter les citoyennes et citoyens à adopter des comportements en lien avec la crise sanitaire, des gestes éco-responsables et bien d’autres thématiques.

La signalétique urbaine, au même titre que le code de la route, permet par exemple d’informer la population, de la sensibiliser voire de l’inciter à utiliser un certain mode de déplacement. Dans des villes côtières comme La Rochelle, Soulac-Sur-mer ou Biarritz, dans des grandes villes comme Nantes, Lyon ou Bordeaux, et dans tant d’autres territoires, il n’est pas rare de repérer, au coin d’une rue, un panneau indiquant des directions et temps de trajet à vélo ou à pied. L’idée est ici d’accompagner une potentielle autodiscipline, en favorisant la démarche d’activité physique par l’affichage d’informations précises.

©️Nick Fewings via Unsplash

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Dans la même logique, des agences de design et de publicité collaborent avec des communes ou des réseaux de transport pour déployer une identité visuelle ludique et pédagogique dans les rames de métro, arrêts de bus ou panneaux publicitaires. La ville de Paris et la RATP ont par exemple mis en place un marquage au sol composé de stickers, disposés à un mètre les uns des autres, ayant pour objectif de faciliter le respect des gestes barrières des usagers des transports en commun parisiens. Dans une démarche plus ludique et stimulante, le Havre a multiplié les poubelles-paniers sur son territoire, des poubelles publiques colorées, au titre accrocheur “Viser juste”, dotées de paniers de basket. Ou encore la ville de Stockholm, qui a eu l’originale idée de transformer des marches d’escaliers en piano géant, pour inviter les usagers à favoriser l’activité physique plutôt que l’escalator.

L’intérêt général est-il au centre de l’autodiscipline sanitaire et climatique ?

Cet accompagnement des urbains dans la mise en pratique de leur potentielle autodiscipline au sein de l’espace urbain est en réalité conceptualisé depuis maintenant quelques années sous le nom de Nudge. La théorie du Nudge, “coupe de coude” en anglais, est un concept selon lequel des suggestions indirectes peuvent influencer des motivations, voire des prises de décisions, sur des sujets liés au climat, à la santé, au bien être ou encore au vivre-ensemble. Issu de l’économie comportementale, ce concept est utilisé par des acteurs, notamment publics, afin d’aider les populations “à passer de l’intention à l’action”. Comme l’explique Etienne BRESSOUD, directeur général délégué de la “Nudge Unit” chez BVA : “Le Nudge permet d’organiser l’environnement de choix des individus pour les aider à atteindre leurs propres objectifs”, et ce dans notre propre intérêt mais également dans celui de nos concitoyennes et concitoyens.

©️Piste d’athlétisme dans un métro de Hambourg via Ecosia

©️Piste d’athlétisme dans un métro de Hambourg via Ecosia

Dans le 13ème arrondissement de Paris, c’est à l’échelle du bâtiment que le Nudge a été pensé. Les agences d’architecture Catherine DORMOY et AAVP ont conçu le premier bâtiment Nudge, dont les enjeux principaux sont d’impulser la création de lien social au sein du bâtiment et d’inciter les futurs habitants à adopter des gestes éco-responsables. De belles initiatives qui devraient avoir un impact sur le quotidien de chaque individu, mais aussi sur la vie collective de ce projet, et plus largement sur l’environnement.

De la même manière, l’autodiscipline peut en réalité, en plus d’avoir des impacts positifs sur soi-même, entraîner des dynamiques d’intérêt général. En effet, elle n’est pas forcément individuelle, bien au contraire, elle peut provenir d’une logique collective. Des réseaux de personnes engagées dans la transition écologique de nos villes se sont par exemple multipliés sur nos territoires. L’association Mouvement de Pallier, entre autres, accompagne des projets composteurs de bas d’immeuble et de quartier, en proposant des formations à de futurs ambassadeurs de compost. Ici, l’idée est vraiment d’inviter les personnes qui le souhaitent à s’impliquer dans une forme d’autodiscipline (le compostage de déchets organiques) pour l’intérêt commun (la réduction de déchets, et de ce fait de la pollution urbaine).

On retrouve également ce principe avec les personnes qui ont fait le choix de s’auto-confiner pour éviter d’être responsable de la contamination d’une potentielle tierce personne. Finalement, l’autodiscipline, sur toutes les thématiques qu’elle peut couvrir, est principalement une question de volonté, mais aussi et surtout de possibilité. Chaque individu n’a en effet pas forcément le même accès à une forme d’autodiscipline. Et pour celles et ceux pour qui l’autodiscipline est accessible, l’objectif n’est pas nécessairement de participer au bien commun. Pourtant, sous toutes ses formes, elle participe tout de même, parfois à une échelle minime mais bien existante, à l’intérêt général de nos villes.

LDV Studio Urbain
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