Athènes, portrait d’une ville en renaissance

Vue sur Athènes via unsplash
23 Fév 2021 | Lecture 4 min

Berceau de la démocratie, avec son agora mythique, la ville d’Athènes s’est vue chamboulée par la crise économique qui touche la Grèce depuis 2009. En cause, une dette publique sans précédent qui plonge le pays dans la récession. Les grecs sont depuis confrontés à une situation de paupérisation, avec près de 25% de la population active du pays qui est au chômage, et un pouvoir d’achat en baisse. Mais la crise amorce aussi une mobilisation forte, un regain d’énergie qui réveille et révèle des aspects positifs de la capitale historique.

Entre la mise en place de stratégies pour attirer investisseurs et touristes, l’émergence de démarches alternatives locales et la reconquête de quartier, comment évolue Athènes aujourd’hui ? Quel avenir urbain s’y dessine ?

Après la crise, une stratégie ambitieuse en faveur de l’attractivité

2009 a été une année difficile pour les grecs avec le début d’une crise économique qui s’est installée dans le temps. Pourtant, les années 2000 marquent une période d’âge d’or, avec l’accueil des Jeux Olympiques à Athènes en 2004. Mais les équipements construits dans la capitale n’ont pas trouvé repreneurs, différents échecs immobiliers s’accumulent pour la première métropole du pays et cet élan de construction et de modernisation de la ville finit par être qualifié de “folie des grandeurs”.

Alors que les difficultés financières s’abattent sur les athéniens, la ville où de nombreuses personnes transitent pour visiter le pays et qui attire chaque année de nombreux touristes pour sa richesse culturelle et historique, assiste à une diminution drastique de ses visiteurs entre 2008 et 2012. Pour ne rien arranger, une vague de manifestations a marqué les esprits du monde entier, si bien que ce sont 50% de ses revenus liés au tourisme qui disparaissent à cette période.

Pour réagir à l’hémorragie en cours, c’est tout le secteur touristique qui se réunit en 2013 avec le lancement d’un salon destiné aux professionnels du tourisme : le Travel Trade Athens est né. Il s’agit d’un événement international qui réunit les professionnels du voyage et met en relation les investisseurs internationaux avec les principaux acteurs grecs du tourisme de loisirs et d’affaires. La stratégie est rapidement payante puisqu’Athènes devient une destination tendance dès 2014.

Le défi d’attirer de nouveaux les investisseurs intervient aussi dans la sphère économique. De nombreux équipements majeurs sont ainsi mis en vente, comme l’emblématique port du Pirée, acquis en avril 2016 par l’armateur chinois Cosco Shipping Corporation. Outre cette démarche, des projets de redynamisation économique se développent pour activer les forces vives au sein même du pays. Le projet de la Technopolis de la ville d’Athènes est un bel exemple urbain. En plein centre de la capitale, dans l’ancien faubourg industriel Gazi, la friche urbaine de l’usine à gaz de la ville a été transformée en un complexe dédié à la culture et à l’innovation. Lieu de rencontre pour des événements culturels et artistiques, il attire chaque année plus de 700 000 visiteurs, avec notamment son Musée Industriel du Gaz qui a ouvert ses portes en Janvier 2013 ayant pour objectif de mettre en évidence un autre visage d’Athènes : son histoire moderne et contemporaine.

L’ancienne usine de Gaz de la ville d’Athènes, délocalisée pour réduire la pollution de l’air en centre urbain, est devenue un centre consacré à la culture et l’innovation. Source : Helen Cook via flickr

L’ancienne usine de Gaz de la ville d’Athènes, délocalisée pour réduire la pollution de l’air en centre urbain, est devenue un centre consacré à la culture et l’innovation. Source : Helen Cook via flickr

Tourné vers l’avenir, le cœur du projet est aussi le centre InnovAthens. Dédié à l’innovation, il cherche à créer les conditions techniques et organisationnelles durables (espace physique et numérique) pour attirer des idées innovantes, de nouveaux groupes ou entrepreneurs. Pour cela, le lieu fournit des services d’innovation à haute valeur ajoutée dédiés aux start-ups et encourage des projets communs, notamment via un réseau d’écosystèmes propices à l’accompagnement et au financement des entreprises.

Ainsi, depuis son inauguration en 2014, ce centre de transfert technologique réunit jeunes entrepreneurs et créatifs, hommes d’affaires, universitaires et chercheurs expérimentés pour développer un écosystème entrepreneurial. Il s’agit aussi d’un espace de formation visant à “l’accélération des projets d’entreprises” associé à toute une programmation d’événements ciblés, comme des ateliers, conférences, colloques, ou encore hackathons et concours pour stimuler la créativité des entreprises.

Localement, des élans de renaissances locales

Ville européenne historique majeure, Athènes est un lieu touristique incontournable dont l’image est très associée à son patrimoine antique, autour du site de l’Acropole. Or, après la crise, son image touristique se tourne vers d’autres atouts de la ville. Son approche humaine et son penchant alternatif sont devenus des arguments clés pour attirer de nouveaux touristes. Dès 2011, la municipalité développe d’ailleurs des initiatives telles que la découverte de la ville par un habitant. Athènes veut convaincre par son authenticité, grâce à des expériences humaines plutôt qu’urbaines.

Les quartiers alternatifs deviennent rapidement un atout. La crise économique a fait baisser les prix des loyers et le coût de la vie, ce qui participe à la création d’un foisonnement culturel et artistique. Attirés par des conditions de vie bon marché et le soleil méditerranéen, nombreux sont les street-artistes qui s’installent dans la capitale grecque. Ils s’emparent des friches d’usines abandonnées et des murs délabrés. La culture alternative se répand partout en ville, notamment dans le quartier universitaire d’Exárcheia, si bien qu’on parle d’Athènes comme le nouveau Berlin. Alors que la capitale grecque cherche à réguler le développement de ces fresques qui envahissent des quartiers entiers, venant alors menacer certains bâtiments patrimoniaux, elle capitalise tout de même sur ce phénomène qui attire les touristes.

Une fresque murale dans le quartier alternatif d’Exarcheia via unsplash

Une fresque murale dans le quartier alternatif d’Exarcheia via unsplash

À Kypseli, l’ancien marché s’est transformé en un nouveau hub de boutiques responsables et solidaires. En 2016, la municipalité d’Athènes le rénove pour en faire un lieu à impact social, suivant un modèle de gestion participative. Ce projet incarne la dynamique athénienne à utiliser et réinvestir l’existant pour en faire des ressources locales et impulser de nouvelles synergies urbaines, vectrices de culture, d’innovation et d’entrepreneuriat créatif, tout en améliorant la qualité de vie en ville pour les habitants. Un exemple parmi bien d’autres lieux qui impulsent à Athènes des logiques visant à impliquer l’ensemble de la société civile et développer des phénomènes de solidarité.

Un renouveau urbain du centre-ville athénien

La crise urbaine athénienne trouve en réalité sa source dans des dynamiques bien plus anciennes. Après la vague d’urbanisation intensive des années 60 qui a profondément marqué la métropole, de nombreuses problématiques urbaines émergent. En cause, une pollution atmosphérique croissante, une industrialisation encore forte du centre et une densité laissant peu d’espaces verts en ville. En réaction, la municipalité met en place un plan régulateur dès les années 80, afin d’améliorer durablement la qualité de vie en centre-ville. Les opérations d’aménagement visent alors à décentraliser le trafic automobile, à désindustrialiser le centre urbain et créer des zones de sauvegarde du patrimoine dans les quartiers centraux de la ville.

L’effet est inattendu, le centre-ville est alors désinvesti et les bâtiments tombent en ruine faute de rénovations, nécessaires mais trop chères pour les propriétaires. Les classes moyennes quittent les quartiers centraux d’Athènes pour s’installer dans les banlieues, si bien que la ville perd 135 000 habitants en 10 ans. On observe aussi une désertion des commerces en centre-ville, malgré une baisse significative du prix du foncier, qui amorce un phénomène dévastateur de paupérisation croissante.

En 2011, alors que le pays est frappé par la crise, la municipalité d’Athènes prend conscience du mal qui frappe déjà sa ville et qui amplifie les effets de la crise. Elle amorce donc un réinvestissement urbain global du centre-ville. Le lancement d’un concours s’opère pour transformer les quartiers centraux, avec la création d’un grand espace piétonnier permettant de repenser les avenues et repartager les mobilités urbaines : Re-think Athens. Les architectes européens sont sollicités pour ce grand projet visant à créer un réseau vert et c’est le projet de l’agence OKRA qui est retenu pour verdir et piétonniser le centre urbain.

L’idée est de croiser une approche environnementale d’amélioration du confort thermique de la ville, grâce à une stratégie autour de l’eau, avec une capturation de l’eau de pluie dans les bassins souterrains, sur les toits ou ailleurs afin de garantir la survie des végétaux. Le projet cherche à opérer une transformation en profondeur de la trame viaire urbaine.

Ainsi, il amorce la transformation de trois espaces stratégiques : la place Omonia et la place Dikaiosynis deviendront des places publiques végétalisées et agrémentées d’éléments d’eau, reliées par la rue Panepistimou, qui se transforme en un ensemble de verdure à l’image d’un parc urbain. L’objectif est de réinvestir le centre et la démarche s’accompagne de la création d’équipements d’ampleur, tels que la Bibliothèque nationale de Grèce et l’Opéra national grec achevé en 2016, œuvres de l’architecte italien Renzo Piano. Un tournant marquant pour la construction d’une nouvelle image de la capitale.

La bibliothèque nationale de Grèce dont le nouveau bâtiment a été dessiné par l’architecte contemporain Renzo Piano via wikipedia

La bibliothèque nationale de Grèce dont le nouveau bâtiment a été dessiné par l’architecte contemporain Renzo Piano via wikipedia

Le projet de piétonnisation et de transformation du centre-ville se poursuit avec le projet urbain “The Great Walk” qui reliera les grands pôles touristiques de la ville. Le nouveau maire Geórgios Kamínis, arrivé en 2019, est optimiste pour ce projet qui viendra donner un nouveau souffle à la ville, alors même que ce dernier reste critiqué par certains habitants, pour son décalage avec les besoins des populations les plus précaires. Mais le maire souhaite qu’Athènes devienne une ville à l’image des autres capitales européennes et cherche à transformer l’espace public dans cette dynamique. D’ailleurs, en juin 2020 et pour une durée de 3 mois, la ville devenait quasiment entièrement piétonne avec la mise en place d’une zone où la circulation automobile était interdite. En pleine crise sanitaire, il s’agissait aussi de redonner une place plus grande aux piétons pour garantir la distanciation sociale et permettre le développement de terrasses optimales.

La crise sanitaire, un nouveau coup dur

Déjà fragilisée, Athènes s’est vue frappée par la crise une nouvelle fois. La Covid 19 a amorcé un ralentissement rapide de la fréquentation touristique. Pour la Grèce entière, le phénomène a un impact négatif. En effet, le tourisme est le deuxième pilier de l’économie (20 % du PIB) et le secteur emploie un actif sur cinq. Depuis le début de la crise, c’est un hôtel sur quatre qui risque la faillite, selon l’Union des hôteliers. Encore très dépendant du tourisme, notamment parce que la ville est la porte d’entrée pour une grande partie des voyages touristiques dans le pays, le nouvel élan d’Athènes, observé notamment en 2019, s’essouffle déjà brutalement.

Les grands projets urbains, qui avaient été construits dans l’objectif d’améliorer l’image de la ville auprès des visiteurs, sont aujourd’hui désertés, les logements Airbnb dédiés aux touristes sont enlevés de la plateforme, la vie locale athénienne se dégrade, mais les réseaux de solidarité restent cependant actifs. Alors que la municipalité impulse depuis 2019 une démarche de démantèlement des squats, une régulation de l’art urbain, les citoyens affichent des revendications sociales dans les rues, utilisant la crise sanitaire comme plaidoyer pour dénoncer les dysfonctionnements urbains encore à l’œuvre et pour revendiquer leur droit à la ville.

Avec la crise sanitaire, les autorités locales agissent dans l’urgence, apportant parfois l’aide réclamée depuis des années par les acteurs sociaux. Peut-être que demain, la ville d’Athènes parviendra à trouver un fil conducteur entre ses différentes renaissances pour construire un équilibre entre redynamisation pour le développement du tourisme et réinvestissement urbain pour ses habitants.

LDV Studio Urbain
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