Relancer le pouls musical de la ville… en piégeant le son !

23 Mai 2024 | Lecture 4 min

La densification et la gentrification des villes ainsi qu’un cadre juridique sévère rendent les réjouissances musicales de plus en plus difficiles à organiser dans l’espace public. Face à cette escalade de contraintes extérieures, on peut s’interroger : quelle place sera dédiée à la fête en ville demain ? Comment respecter les besoins de calme des riverains tout en déroulant une véritable expérience sonore à leur proximité ? Quentin Guichard, jeune designer au City Design Lab de L’École de design Nantes Atlantique, a imaginé un Bui-son pour réconcilier urbains, concerts publics et pérennité des évènements.

Festivités et défis sonores en ville 

En cette période post-covid, l’anthropologue Emmanuelle Lallement nous rappelle que : « Les anthropologues ont montré que la fête est un élément essentiel de fondement et de renforcement du lien dans les sociétés humaines (…) Le corps-à-corps, la danse, l’énergie qui se dégage dans ce collectif qu’est la fête est une nécessité, pour soi-même, mais aussi pour le lien social en général.»

Or, l’organisation d’évènements festifs en ville devient de plus en plus complexe. Par exemple, le 26 avril 2023, l’arrêté d’application du décret son stipule que désormais, lors d’évènements “sonores”, il faudra :

  • Limiter les niveaux sonores à 102 dB(A) et 118 dB(C) ;
  • Mettre en œuvre les recommandations d’une étude d’impact du niveau sonore sur le sujet des limites de l’émergence.

Selon le Pôle de coopération pour la filière musicale en Pays de la Loire : « Ce décret de 2017 amène d’importantes obligations pour l’organisateur de concerts, notamment les fameuses études d’impact des nuisances sonores (EINS). Certaines informations nécessaires pour savoir si un lieu est concerné par ce décret sont précisées dans l’arrêté, ainsi que la méthode de mesurage du niveau sonore. L’arrêté précise également le mode d’installation, les normes NF et les modalités de contrôles de certains dispositifs (…) Enfin, le texte indique la méthode d’établissement des études d’impact des nuisances sonores (EINS) et la manière dont se déroulent les contrôles éventuels par des agents. »

Mise en situation du concept lors d’un concert du Goûtez électronique, cale des sous-marins, Nantes ©Quentin Guichard

Mise en situation du concept lors d’un concert du Goûtez électronique, cale des sous-marins, Nantes ©Quentin Guichard

Ce décret rend difficile l’implantation d’évènements musicaux dans l’espace urbain, par les professionnels du spectacle. Mises en péril du spectacle live, multiplication des contraintes techniques et juridiques, aseptisation des propositions artistiques pour se conformer aux nouvelles normes et plaintes des habitants découragent plus d’un organisateur de concerts.

Ainsi, selon Tony Caruelle, Régisseur général des espaces urbains de la Ville de Nantes : « Les règles de l’urbanisme et la pression immobilière nous imposent des mutations auxquelles il nous faut s’adapter. […] Il y a une combinaison de la densification des centres-villes et des contraintes sécuritaires qui rend très compliqué l’accueil de l’événementiel dans les espaces urbains centralisés. »

Le Bui-son

C’est quoi ?

Un panneau d’affichage urbain érigé sur le lieu d’un futur concert ou spectacle contient 5 caissons bass trap (piège à son). Il remplit une double mission :

1 – les bass trap absorbent une partie des ondes sonores provenant des enceintes de l’événement afin de préserver la tranquillité des riverains ;

2 – les fréquences non absorbées retournent vers le public, constituant ainsi une sorte d’amplificateur naturel.

Aperçu 3D de l’ensemble du dispositif ©Quentin Guichard

Aperçu 3D de l’ensemble du dispositif ©Quentin Guichard

Dressé sur un mât de signalisation arrimé au sol par du béton, le panneau aux allures d’arbuste stylisé comporte des modules disposés en fonction de la scénographie de l’événement. L’espace environnant oriente également le choix de sa localisation. Une plaque de protection disposée sur la face avant du projet protège les fentes du bass trap de la pluie. Enfin des éclairages leds à recharge solaire font scintiller le Bui-son afin d’attirer  l’attention des passants et des riverains mitoyens.

Le projet répond à 4 mots d’ordre :

  • informer les usagers/riverains ;
  • atténuer la propagation du son ;
  • habiller l’espace pendant l’événement ;
  • ancrer la présence des événements dans l’espace urbain

 

Les passants peuvent aussi télécharger un QR code qui les informera du prochain événement à venir, en réalité augmentée. 

Les passants peuvent aussi télécharger un QR code qui les informera du prochain événement à venir, en réalité augmentée.

L’idée qui a fait germer ce dispositif est la suivante : plutôt que d’isoler les événements et de confiner l’espace urbain à certaines fonctions distinctes, le Bui-son invite à tout centraliser. Il relie la communication du concert au lieu-même de l’évènement et informe les passants de la fête à venir. De plus, il contribue à faire cohabiter usages et pratiques de l’espace urbain, nourrissant ainsi la richesse sociale et culturelle qui anime la vie nantaise.

Un terreau nantais fertile

Un terreau nantais fertile

Les lieux 

Afin de projeter ce type d’outils en situation réelle, le designer a identifié des lieux susceptibles d’accueillir le Bui-son : le Parc des Chantiers, sur l’île de Nantes, point névralgique de l’effervescence culturelle nantaise,  semble le lieu tout trouvé pour cela !

Le créateur a vérifié si la topologie terrain, l’accessibilité, les emplacements disponibles et la possibilité d’évacuation en cas de risque sécuritaire, étaient conformes aux spécificités de son projet.

Mise en situation du dispositif dans l’espace en amont d’un concert sur la “Plage Verte” de l’île de Nantes ©Quentin Guichard

 Mise en situation du dispositif dans l’espace en amont d’un concert sur la “Plage Verte” de l’île de Nantes ©Quentin Guichard

Mise en situation du dispositif lors d’un concert nocturne sous les Nefs, Nantes ©Quentin Guichard

Mise en situation du dispositif lors d’un concert nocturne sous les Nefs, Nantes ©Quentin Guichard

Les acteurs

En matière de modèle économique, Quentin a identifié 3 acteurs-clés qui pourraient soutenir ce projet dans la métropole nantaise :

  1. Nantes Métropole ;
  2. La Samoa, fabrique urbaine & créative de l’île de Nantes ;
  3. Le groupe Lacroix, entreprise experte en signalétique urbaine.
Schéma des parties prenantes économique et porteurs du projet (hypothétique)

Schéma des parties prenantes économique et porteurs du projet (hypothétique)

En tant qu’aménageur de l’île de Nantes et développeur économique des filières créatives et culturelles, la Samoa pourrait, grâce à Bui-son, renouveler l’attractivité de ses propositions culturelles. De même pour la Ville de Nantes qui adopterait une nouvelle signature visuelle combinée à une réduction des nuisances sonores lors d’évènements récurrents.

Enfin, l’entreprise Lacroix aurait l’opportunité d’ancrer son expertise dans un nouveau domaine d’activité : la culture.

Perspectives 

Afin que le projet soit abouti et prêt à servir, le designer envisage encore une série d’étapes :

  • Une phase de test et de prototypage des caissons pour perfectionner l’atténuation du son en milieu urbain. En effet, comme le souligne Ronan Berthomé, responsable technique et exploitation à la Samoa : « L’atténuation des basses fréquences en milieu extérieur est très complexe en raison de leur longueur d’onde. Cet aspect du projet est donc à questionner et à explorer davantage afin d’aboutir à un dispositif effectif et conçu spécifiquement. »
  • Une phase d’expérimentation urbaine, en collaboration avec la Samoa sur l’île de Nantes.
  • Une définition précise de l’emplacement de Bui-son et une perspective de son évolution au fil du temps et des évènements.

Ainsi, Bui-son est un dispositif prometteur qui fait vibrer la ville et favorise la création de nouveaux temps de lien social sur l’île de Nantes. Dans un contexte où les villes se densifient et où les usages changent, il incarne le renouvellement du monde de la musique et son adaptabilité.

Tony Caruelle, régisseur général des espaces urbains de la Ville de Nantes, le confirme : « La densification des villes est inéluctable et on doit continuellement s’adapter. Passer par la coordination des usages liés aux événements pour s’intégrer dans cette mutation de manière durable est donc un angle particulièrement intéressant. »

L'École de design Nantes Atlantique
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