Qumulus : un nuage de données tangible
Aujourd’hui, dans un monde où le numérique devient une norme invisible, on « like » sans jamais voir ce qui brûle derrière nos écrans. « Depuis trente ans, nous vivons en barbares des réseaux » selon Alain Damasio. Nous utilisons des technologies opaques dans un système qui nous rend dépendants tout en nous vendant une liberté factice. Or, sous la promesse d’une vitesse et d’une fluidité instantanées, se dessine une géographie bien concrète : une infrastructure vertigineuse faite de béton, d’électricité, d’acier et de câbles à fibre optique. Et si le cloud passait d’un espace invisible à un objet tangible, à la fois intime et politique ?
Des cathédrales sans architectes
Les data centers sont les temples de notre époque, mais ils ne disposent ni d’autel ni de vitraux aux couleurs vives. Semblables à des cubes gris implantés à la périphérie des villes, les data centers vibrent d’un ronronnement sans fin : celui de la ventilation des serveurs. Derrière leurs murs opaques, les géants du numérique font défiler les flux de Netflix, Meta, Amazon ou Google… toujours plus vite, toujours plus fort, ils s’abreuvent à ces infrastructures que personne ne visite ou ne célèbre.

Et pourtant, ces espaces abritent la mémoire collective de notre temps. C’est là que dorment nos photos d’enfance, nos mots d’amour, nos cvs par milliers, nos identités numériques et des pans de vie entiers.
L’illusion d’un nuage green
Saviez-vous que les opérateurs de centres de données se battent aujourd’hui pour être reconnus comme des industries « électro-intensives » ? Ce faisant, ils pourraient bénéficier de crédits d’impôts pour leur consommation électrique. La France, avec son énergie nucléaire peu carbonée, attire donc ces entreprises labellisées « vertes ». Pourtant ce marketing de la vertu numérique masque mal la réalité physique de l’infrastructure : le cloud consomme, chauffe, évapore et émet à outrance.
Les data centers, ces bâtiments de 10 000 m² qui hébergent nos vies numériques, consomment plus d’eau qu’une ville entière. En 2021, Meta a consommé 1,3 milliard de gallons d’eau pour refroidir ses serveurs. Et selon les projections de l’urbaniste Cécile Diguet, le secteur numérique pourrait représenter jusqu’à 51 % de la consommation mondiale d’électricité en 2030.
Qumulus donne forme à la donnée
Qumulus, objet de design issu d’une réflexion sur la data physicalization (matérialisation des données), répond à cet enjeu de taille. Imaginé par Jonas Barandard, designer du City Lab de L’École de design Nantes Atlantique, il donne corps à l’abstraction.

Concept Qumulus © City Design Lab
Imaginez un objet rectangulaire, élégant et discret posé sur une table de votre salon. Selon le volume de votre activité en ligne, il change imperceptiblement. Plus vous consommez de données, plus sa forme évolue. Ses 31 petits cylindres noirs représentant chaque jour du mois, grandissent en même temps que le chiffrage des données grimpe. Chaque octet a un poids et chaque connexion laisse une trace.
En réalité, Qumulus rend visible ce que le numérique dissimule. Il ne punit pas, il n’alerte pas, mais il donne à voir. Là où les applications de suivi produisent souvent de la culpabilité, Qumulus cherche à produire de la conscience.

ADN du Concept Qumulus © City Design Lab
La tête dans le(s) nuage(s) et les pieds sur terre
Qumulus est à la fois un objet technique et poétique. Technique, parce qu’il s’inscrit dans une réflexion sur la data physicalization, cette nouvelle grammaire du design qui rend la donnée tangible.
Poétique, parce qu’il réintroduit une forme d’intimité dans notre rapport au réseau, une respiration lente et une matérialité sensible face à la vitesse numérique. Et peut-être, au fond, une question : dans un monde où le cloud plane au-dessus de tout, à quoi ressemblerait un numérique qui se logerait dans le creux de notre main ?
De la donnée à la conscience
Au-delà d’une matérialisation de consommation de données, Qumulus invite à une expérience utilisateur non intrusive. L’usager ne reçoit pas de notifications, de dashboard ni de pourcentage d’économie. Il se relie juste à la donnée dans un rapport sensible, pour voir, toucher, comprendre.

Scénario d’usage concept Qumulus © City Design Lab
Qumulus s’adresse à celles et ceux qui veulent s’extraire du tout connecté sans renoncer au numérique. À celles et ceux qui, comme Lisa – personnage archétypal du projet – souhaitent utiliser Internet autrement. Mesurer sa consommation avec sérénité et gagner en conscience sans se couper du monde.
Sur le schéma ci-dessus, Lisa, notre héroïne urbaine, expérimente Qumulus, adapte sa routine et traque les flux invisibles générés par ses usages. Ainsi, elle contribue à développer une conscience collective autour du numérique, une responsabilité nouvelle où chaque geste numérique se charge de sens et d’attention.
Cartographie tangible et émancipation numérique
Qumulus incarne un objet design, mais aussi un objet politique, car il questionne la matérialité du numérique, l’empreinte invisible de nos gestes quotidiens et la responsabilité partagée entre l’individu et le système.
Face à cette servitude douce, l’éducation populaire refait surface, telle une antidote. Elle nous réapprend à comprendre, elle nous rééduque au choix possible.
Ce projet s’inscrit dans une approche que l’on pourrait qualifier de design écosystémique :
→ il relie l’usager à l’infrastructure invisible du numérique ;
→ il invite à l’autorégulation, à la sobriété ;
→ il ouvre une porte vers des réseaux alternatifs, plus éthiques, plus locaux.

Concept Qumulus © City Design Lab
Car si l’information nous déborde, l’attention, elle, devient rare. Herbert Simon écrivait : « Lorsque l’information déborde, l’attention devient la denrée précieuse ». Qumulus agit alors comme un contrepoids matériel de l’économie de l’immatériel.
Face à la déferlante de l’IA et à la croissance vertigineuse des zettabytes, nos villes et nos cœurs cherchent l’équilibre tant bien que mal. Il nous faut réinventer le lien entre numérique et consommation, accompagner la transition vers une citoyenneté responsable pour réécrire une histoire plus responsable. Grâce à cet outil tangible et agile, Qumulus lance le débat.