Pour des villes friends-friendly ?

18 Sep 2023 | Lecture 4 min

Et si retrouver ses amis en ville, ou s’en faire de nouveaux, était plus difficile qu’avant ? À l’heure du tout numérique et de l’étalement urbain, un appel vidéo est parfois plus facile à entreprendre que de rejoindre ses amis dans un espace physique adapté et propice aux rencontres. C’est notamment ce que nous a enseigné la pandémie.

La question de la sociabilité en ville a été (re)mise sur le devant de la scène par la covid-19 et les restrictions sanitaires qu’elle a engendrées. Nous contraignant à discuter au téléphone ou en appel vidéo, les confinements ont révélé l’importance des interactions sociales en face-à-face, dans des espaces de convivialité dédiés. L’enjeu est d’autant plus prégnant que cette crise du lien social précède la pandémie et continue de contaminer les villes, pourtant “lieu de relations par essence” selon la philosophe Fabienne Brugère. La numérisation de nos vies quotidiennes en serait la principale raison puisqu’il est aujourd’hui possible de réaliser une multitude de choses en restant chez soi. La crise du logement est aussi à pointer du doigt, reléguant un grand nombre d’individus dans les banlieues, pouvant être très éloignées les unes des autres. Se retrouver entre amis devient alors un parcours du combattant. Ne faudrait-il donc pas s’orienter vers des villes friends-friendly ? Quels sont de nos jours les lieux urbains de sociabilité ? Et ceux de demain ?

 Une crise de la solitude en ville, mise en relief et accentuée par la pandémie

La crise sanitaire, avec son cortège de mesures restrictives, a provoqué un bouleversement profond de nos relations sociales, entraînant une augmentation du sentiment de solitude dans notre pays. Les résultats de l’étude “Solitudes 2022” menée par la Fondation de France ne laissent aucun doute sur ce constat : en 2021, 24% des Français se trouvaient en situation d’isolement relationnel.

Photo : Norbert Kundrack

Photo : Norbert Kundrack

Même si ce taux a diminué aujourd’hui, retrouvant son niveau d’avant crise de 11%, le sentiment de solitude reste important et les individus sont toujours à la recherche d’espaces où ils peuvent construire de nouvelles relations, ou simplement y retrouver leur cercle d’amis. La pandémie n’aurait fait qu’accentuer ces signes manifestes de repli sur soi, liés au développement des réseaux sociaux mais aussi à un phénomène de “défiance sociale”. “On sent en France particulièrement que cette société oppose les uns aux autres dans des cases” constate Atanase Périfan, créateur de la Fête des Voisins et des Voisins Solidaires. Ce lien se perdrait surtout dans les centres urbains, notamment entre les jeunes et les personnes âgées, mais aussi entre les hommes et les femmes.

Un phénomène qui traverse même les océans puisqu’aux Etats-Unis, l’administrateur de la santé publique, Vivek Murthy, déclare que la solitude et les problèmes d’isolement social sont d’ampleur épidémique, alors que la recherche google sur “comment se faire des amis” a atteint un pic sans précédent. Un constat malheureux qui nous interroge sur la manière dont nous pouvons nous sociabiliser dans ce contexte marqué par une crise de la solitude. Un besoin grandissant d’espaces communs verts et ouverts, sans déroger à la demande de tranquillité

Les acteurs de la ville sont ainsi appelés à recréer une “ville du lien”. La philosophe Fabienne Brugère plaide notamment pour la multiplication des cafés, associations, centres culturels etc. qui contribuent au bien-être des citadins. Il existerait d’ailleurs une vieille tradition française de la construction des liens sociaux dans les cafés. “Ce sont des lieux où toutes les générations se retrouvent”, affirme Joël Giraud, ancien ministre de la Cohésion des territoires, aussi chargé de la Ruralité au sein du gouvernement de Jean Castex.

Les espaces de rencontre par excellence auraient en commun de s’épanouir à l’écart de la circulation motorisée. Fabienne Brugère, qui a participé à une conférence sur l’importance du lien pour le bien-être des urbains organisée par Le Monde Cities à Paris, insiste sur la nécessité de repenser les rues comme des espaces dédiés aux mobilités douces. Les gens doivent pouvoir se sentir en sécurité pour se promener et faire des rencontres. Le végétal, la biodiversité iraient aussi de pair avec la sociabilité. Lise Bourdeau-Lepage, chercheuse au centre de recherche en géographie et aménagement de l’université Jean-Moulin-Lyon-III et interrogée précédemment par LDV Studio Urbain dans le cadre d’un article sur le bien-être en ville, est formelle : “La nature permet un ralentissement et ainsi elle fait baisser l’anxiété, favorise le rassemblement et la bienveillance, permet d’entrer en interaction avec les autres”.

Appelées à être plus vertes, les rues gagneraient aussi à être animées et les espaces privés comme publics, mériteraient d’être plus ouverts sur l’extérieur. En effet, les échanges entre les gens sont d’autant plus riches quand nos immeubles et commerces s’imbriquent de manière harmonieuse et quand ces différents espaces sont perméables. Pablo Carreras, consultant en urbanisme, mobilité et santé chez Codra, partage cette perspective : « Dans la ville, les interfaces ont souvent été oubliées. Or, le passage de l’espace privé à la rue, lorsqu’il se fait de manière progressive avec un espace semi-privé, est un facteur très positif pour la santé mentale. Cela favorise la rencontre, l’échange ».

Photo : Helena Lopez

Photo : Helena Lopez

 Toutefois, un autre point mérite d’être pris en compte : la demande, en plus d’une ville plus friend-friendly, de pouvoir aussi se ressourcer en solitaire. En effet, le besoin de jouir d’une certaine tranquillité, d’une solitude choisie, fait écho au mal dont souffrent environ 13% des gens à un moment dans leur vie : l’anxiété sociale, autrement dit la peur associée à certaines activités sociales ou à des situations où la personne pourrait se sentir préoccupée par le jugement des autres. “C’est une demande très intéressante, car l’humain est un animal social et trouve typiquement son équilibre dans les interactions sociales. Ce désir d’éloignement nous dit que le contexte social de la ville ou du logement collectif est vécu davantage comme une nuisance que comme un bénéfice” prétend Emma Vilarem, cofondatrice de l’agence [S]CITY, qui aide les acteurs de la fabrique de la ville à intégrer dans leurs projets les besoins psychologiques, émotionnels et sociaux des habitants.

Quand le « café du coin » ferme : l’urgence de récréer du lien social en milieu rural

Les villes les plus atteintes par cette crise du lien social en France sont indéniablement situées en territoire rural, alors que 7 communes sur 10 n’ont pas ou plus de café. En effet, la France comptait 500 000 cafés il y a un siècle, contre 35 000 aujourd’hui. Pour stopper cette hémorragie et tenter de revitaliser les petites villes,  le gouvernement a lancé en 2019 l’opération “1000 cafés” avec comme concept : le soutien aux projets de reprise de bistrots via l’économie sociale et solidaire, afin qu’un millier de cafés s’installe dans mille communes de moins de 3 500 habitants. Cependant ce beau projet a été mis à mal par la progression de la covid-19, rendant impossible l’ouverture des cafés en plein confinement. Trois ans plus tard, il est encore difficile de dresser un bilan précis mais une centaine d’établissements seulement auraient été créés ou repris selon Pierrick Bourgault, un amoureux de ces lieux si chers aux Français. Pour tenir, les gérants de cafés restants en milieu rural multiplieraient les activités – livraison de colis ou vente de timbres et de billets de train – mais elles sont souvent peu rentables.

D’autres initiatives, cette fois citoyennes, voient le jour pour reconnecter les gens entre-eux. C’est le cas d’un bistrot à Abbeville dans la Somme, qui a la particularité d’avoir été aménagé dans le hall d’un Ehpad. « L’idée était de transformer ce lieu qui était assez vide et assez froid en lieu social, d’en faire une place de village où les gens se rencontrent, discutent, peuvent boire un coup à la table d’un bistrot”, explique Laurent Douchin, cadre de santé en psychiatrie à l’origine de cette idée innovante. Le bistrot a ouvert récemment, en mars 2023, notamment grâce à 110 000 euros de subventions publiques de l’Union européenne et du Centre national de solidarité pour l’autonomie. Ce lieu semble très apprécié des résidents de l’Ehpad, ainsi que de leurs proches. Marie-Josephe, venue visiter sa mère Jacqueline, en témoigne : “Je sens qu’elle sourit davantage quand on est ici, plus que dans sa chambre. Elle regarde les autres, elle pense à autre chose, ça lui évite de trop penser qu’elle n’est plus à la maison”.

 Rues partagées, espaces de nature, commerces de proximité… Dans la réflexion sur l’amitié et le lien social en milieu urbain, les notions de temporalité et de saisonnalité pourraient bien eux aussi jouer un rôle central. Une ville conviviale est, en effet, une ville qui évolue avec les quotidiens et aspirations de ses habitants. C’est la raison pour laquelle les nouveaux modes de fabrique urbaine qui s’adaptent aux besoins locaux, notamment à travers des aménagements modulables et éphémères à l’instar de terrasses de café extensibles, semblent représenter une stratégie efficace pour l’avènement de territoires friends-friendly.

LDV Studio Urbain
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