Le patrimoine sensoriel : une nouvelle approche de l’espace urbain

patrimoine sensoriel espace urbain

Grises, froides, déshumanisées… L’image que l’on se fait parfois des villes peut paraître bien négative. D’un autre côté, on peut être amené à parler d’artères, de poumons, de centre nevralgique pour évoquer ces mêmes espaces. Aurait-on mis de côté l’aspect charnel qui peut nous unir à notre environnement urbain ? Pourrait-on retrouver une relation plus incarnée, sensible, voire sensuelle avec nos villes ? Ces dernières années, s’est forgée la notion de patrimoine sensoriel, qui vient contredire l’idée que le patrimoine serait uniquement matériel. Celui-ci pourrait se baser sur des concepts plus subjectifs davantage liés au ressenti, à la perception que l’on se fait d’un espace. Comment dès lors réveler ce patrimoine sensoriel pour proposer une nouvelle approche de l’espace urbain ?

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Comment révéler le patrimoine sensoriel pour proposer une nouvelle approche de l’espace urbain ? (c) Lisa Gaudin

La perception d’un lieu : une affaire de sens

Au-delà du patrimoine physique d’une ville, il existe un patrimoine plus secret, plus réservé, moins accessible : le patrimoine sensoriel. Ce patrimoine non reconnu officiellement, non classé, participe pourtant de l’essence même des villes. Trop souvent ignoré lors des programmes urbains, il est pourtant nécessaire à la perception du lieu et peut être un levier pour sa mise en valeur. Mais alors qu’est-ce qui fait la perception d’un lieu ?  La perception relève avant tout de la psychologie, elle s’effectue par le déploiement de tous les sens d’un individu : l’ouïe, la vue, l’odorat, le toucher ou encore le goût. Si dans nos sociétés c’est la vue qui a pris le pas sur tous les autres sens, il n’en a pas toujours été ainsi. Il suffit d’observer nos charmants bambins mettre tout ce qu’ils trouvent à la bouche pour se persuader que notre appréhension du monde ne repose pas uniquement sur nos deux yeux. Pourtant, aujourd’hui tout est fait pour attirer notre regard, si bien que toutes ces images ont parfois tendance à créer un sentiment d’asphyxie et à étouffer nos autres sens. Nous sommes obnubilés par ce que nous voyons et nous oublions ce que nous ressentons. Heureusement, Proust et sa madeleine sont là pour nous rappeler que la mémoire d’un lieu passe avant tout par la sollicitaion d’autres sens tels que l’odorat ou le goût, dont la sollicitation permet de garder en mémoire un souvenir bien plus longtemps que la simple vision. Imaginez les chutes du Niagara sans le bruit de l’eau, la sensation de vertige, les embruns… Il s’agit donc de tendre à solliciter les autres sens afin de s’affranchir de l’omnipotence de la vue.

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Le patrimoine sensoriel : une notion à promouvoir

Chaque usager est différent physiquement et psychologiquement. Il sera donc plus ou moins réceptif aux expériences sensorielles. Cela est principalement lié à son propre vécu, son ‘‘patrimoine’’sensoriel privé, qui se construit au fil de sa vie sur son histoire, ses expériences, ses connaissances, sa mémoire… Lorsque l’on pénètre dans un nouvel endroit, tous les sens sont en éveil, il cherchent des informations d’abord visuellement, puis des sons, des odeurs, des matières et parfois des goûts. C’est le moment où ‘‘l’oeil collabore avec les autres sens’’ comme le dit Gaston Bachelard, une opération qui permet le renforcement du sens de la réalité. Ce que l’individu perçoit d’une ville est donc la résultante du paysage urbain, mais aussi de sa personnalité, son ressenti, c’est donc un sentiment pratiquement unique. Il va alors falloir chercher à solliciter les autres sens pour faire du parcours urbain une véritable expérience. L’importance de cette perception multiple est de rendre compte du caractère indispensable des sens autres que la vue. Citons, par exemple, le cas des sentiers pieds nus qui permettent aux individus de retrouver un contact plus direct avec leur environnement grâce au toucher. Une ville doit donc pouvoir se sentir, se toucher, se goûter, s’entendre, au-delà de s’offrir à la vue.

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La ville doit pouvoir s’offrir à d’autres sens que la vue pour permettre au citoyen de vivre une véritable expérience (c) Lisa Gaudin

Le design pour révéler le patrimoine sensoriel

Parmi les éléments de nos villes particulièrement propices à être valorisés par le patrimoine sensoriel, le fleuve revêt de multiples potentialités. C’est justement pour renouer le contact avec le fleuve, trop souvent délaissé, que Lisa Gaudin, étudiante en deuxième année de cycle master à L’École de design Nantes Atlantique, a choisi de révéler le patrimoine sensoriel de la Loire pour son projet de fin d’études. Pour elle, le fleuve fait partie intégrante de l’identité des villes, il est un élément de sa mémoire. Renouer les liens perdus avec le fleuve signifie retrouver une relation physique avec l’élément naturel. Pour Lisa, la découverte et la mise en valeur du fleuve doivent se faire par des expérimentations plus ludiques tournées vers des explorations sensorielles, qui permettraient de susciter la curiosité des personnes. Après avoir réalisé un jeu de cartes pour comprendre les attentes et les envies des citadins, elle a proposé El Arbol, un totem signal situé à différents endroits de la ville. Ces éléments de signalétique physique incluraient une expérience sensorielle ainsi qu’un espace de dialogue citoyen dans la continuité du Grand Débat Nantes la Loire et nous. L’idée est de pouvoir sensibiliser les citadins à leur patrimoine naturel tout en leur proposant de donner leur avis sur les projets proposés par la municipalité. La forme alvéolaire évoque les abeilles, la construction, mais permet également de mettre en avant des aspects plus sensibles et d’évoquer la pépinière d’idées, la croissance et l’évolution.

Pour Lisa, la mise en avant du patrimoine sensoriel ligérien est donc à la fois une manière de sensibiliser à la préservation de la Loire mais aussi de permettre les échanges sur son devenir.

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El Arbol, un totem signal imaginé par Lisa Gaudin pour proposer une expérience sensorielle aux citadins et les sensibiliser à leur fleuve (c) Lisa Gaudin

Par Lisa Gaudin, étudiante en deuxième année de cycle master Ville Durable à L’École de design Nantes Atlantique, et Zélia Darnault, enseignante à L’École de design Nantes Atlantique.

L'École de design Nantes Atlantique
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Vos réactions

Daniel Siret
2 avril 2017

Sur le même sujet, vous serez peut-être intéressé(e)s par l’article que Nathalie Simonnot et moi-même avons rédigé il y a quelques années. Nous discutions notamment de l’exemple de Nantes, mais à partir des activités industrielles.

Nathalie Simonnot & Daniel Siret (2014). Héritage industriel et mémoire sensible : Observations sur la constitution d’un « patrimoine sensoriel ». L’Homme et la Societe, 2014/2 (192), p. 127-142.

Un lien vers l’article :
https://www.researchgate.net/publication/267510120_Heritage_industriel_et_memoire_sensible_Observations_sur_la_constitution_d%27un_patrimoine_sensoriel

HADRIEN R
5 août 2019

Bonjour,

Merci pour cet article très intéressant. Mon père se passionne actuellement pour le design sensoriel dans le domaine de la voirie et de l’espace urbain. Connaîtriez vous un livre qui pourrait l’inspirer sur ce sujet?

Par avance merci pour votre réponse.

Bine à vous 😉

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