Makers – Quand la ville se remet à fabriquer

Assemblage de visières dans le fablab Homemakers - Julia Lim/Homemakers
2 Juil 2020 | Lecture 5 minutes

Fortement mobilisé pour pallier aux différentes pénuries de matériel pendant le confinement, le mouvement des makers s’immisce dans les débats sur l’après Covid-19. De la relocalisation de la production en ville, à la lutte contre la consommation de masse, et si les makers annonçaient le retour en force des petits sites de production en ville ?

La mobilisation sans précédent

C’est une des bonnes surprises liées à l’épidémie, le mouvement makers se porte bien et gagne en reconnaissance. Il bénéficie d’un engouement qui ne cesse d’augmenter depuis une quinzaine d’années : les fablabs, makerspaces et hackerspaces se multiplient à travers le monde, leur fréquentation augmente et des industriels s’en inspirent pour booster leur innovation. Pour rappel, le terme de makers regroupe plusieurs familles d’ateliers de fabrication où règnent le partage, la bidouille et l’expérimentation. Nous nous étions déjà rendu dans l’un d’eux, l’Electrolab, l’immense hackerspace à Nanterre.

Assemblage de visières dans le fablab Homemakers - Julia Lim/Homemakers

Assemblage de visières dans le fablab Homemakers – Julia Lim/Homemakers

Il faut dire que le mouvement a mis la barre haute ces derniers mois. Mobilisé au plus fort de la crise pour la fabrication d’équipements, on estime qu’entre le 18 mars et le 21 avril, 250 000 visières ont été produites en France grâce à des imprimantes 3D. De nombreux ateliers se sont organisés pour répondre aux besoins locaux. « Cette impressionnante production distribuée assurée par 5000 makers bénévoles et 100 fablabs est sans précédent à l’échelle nationale » observe le magazine Makery.

Une production participative

En effet, fort de son expérience d’une décennie en télétravail collaboratif et en fabrication distribuée, le mouvement a réussi à surmonter avec réactivité un certains nombre de difficultés liées à l’approvisionnement, l’homologation, la production et la distribution de ces équipements. Ce succès a souligné les limites liées aux brevets, et démontré l’agilité du fonctionnement open source. Comme l’explique la sociologue spécialiste de ces communautés du « faire » Isabelle Berrebi-Hoffmann, des partenariats entre industriels et makers ont vu le jour, les libérant ainsi de certaines contraintes.

On est en train de démontrer que l’ouverture des droits de propriété est efficiente pour la société et qu’elle relève, en situation de crise, de l’intérêt général. Mais aussi, ce qui est plus surprenant, que d’une part cette ouverture nous permet de reconquérir une souveraineté perdue en nous émancipant de dépendances mondiales, et que d’autre part, cette ouverture de la propriété ne s’oppose pas à l’intérêt des entreprises propriétaires elles-mêmes.

Relocaliser la production en ville ?

Autre leçon apprise ces derniers mois, les fablabs et autres makerspace ont démontré l’efficacité d’une autre forme d’aménagement du territoire. La fabrication n’est plus l’apanage de grand pôles industriels, aux chaînes de production fragmentées et mondialisées, mais elle peut s’intégrer dans le tissu urbain en petites unités de production ouvertes à tous. De manière diffuse, elle se rapproche des ressources et des enjeux locaux, tout en limitant le nombre d’infrastructures logistiques.

La menuiserie Maleville - Apur/François Mohrt

La menuiserie Maleville – Apur/François Mohrt

Ce constat appelle à une réflexion sur la place de l’artisanat et de l’industrie en ville. Faut-il relocaliser certaines productions pour limiter les transports polluants ? Comment mieux produire localement ? Où reconditionner les objets en fin de vie et limiter ainsi la production de déchets ? Les préoccupations environnementales ravivent ces interrogations. Les makerspaces seraient censés apporter une réponse polyvalente, locale et ouverte à tous. Ils renouent ainsi avec le passé industriel des villes.

Paris et les hôtels industriels

Après avoir été une capitale industrielle pendant au moins un siècle, Paris a suivi une forte tendance de désindustrialisation dans la deuxième moitié du XXème siècle. Peu à peu, les services, les bureaux et les logements ont remplacé les ateliers et les usines. Malgré ces évolutions, les emplois industriels restent aujourd’hui majoritaires en volume au cœur de l’agglomération, ils représentent 53,5 % du total régional (selon l’Insee, 2018). Il s’agit notamment des secteur de la mode, la joaillerie et l’imprimerie.

Unique atelier de fabrication de passementerie parisien, la Maison Verrier est en activité depuis 1753 - Jessica Lia/thefrenchmakers

Unique atelier de fabrication de passementerie parisien, la Maison Verrier est en activité depuis 1753 – Jessica Lia/thefrenchmakers

En effet, à partir de 1978, la municipalité a conduit une politique ambitieuse en faveur du secteur industriel parisien. Celle-ci réalise alors de gros investissements dans des « hôtels industriels » : de vastes immeubles intégrés au tissu urbain et destinés à accueillir les activités artisanales et industrielles. Aujourd’hui une quarantaine, ils représentent environ 275 000 m2 de surface de planchers à Paris, 624 entreprises et presque 15 000 emplois dont 11 000 dédiés exclusivement à la fabrication, d’après un rapport de l’APUR de janvier 2020. Le dernier en date, Métropole 19, a ouvert en avril 2019 rue d’Aubervilliers.

Makers précaires

La présence d’activité de fabrication en ville implique certains aménagements, notamment concernant la logistique. Si les hôtels industriels sont pensés pour l’industrie et sont dotés d’aires de livraison, c’est rarement le cas pour de petits ateliers ou makerspaces situés en fond de cour d’immeuble Haussmannien par exemple. L’Immeuble Inversé conçu par le cabinet d’architecture Syvil tente de remédier à ce problème : il transforme un ancien parking souterrain en un centre de service et de stockage pour le quartier. L’agence Syvil détaillait son approche de métabolisme urbain dans cet article passionnant.

L'Electrolab est équipé de machines industrielles - Electrolab

L’Electrolab est équipé de machines industrielles – Electrolab

En revanche, si Paris est une vitrine de prestige pour commercialiser sa production, les contraintes sont fortes. La rareté du foncier impose des petits espaces et des loyers prohibitifs, sauf à s’installer extra-muros. Les travaux de mise aux normes ERP, l’installation électrique spécifique et celle d’une extraction d’air pèsent souvent sur les makers qui s’installent. L’étude de l’APUR conclut que l’écosystème des fablabs est encore assez fragile et précaire.

Dans une tribune du 21 avril, plusieurs collectifs de makers regrettaient que ces espaces de fabrication soient déconsidérés par les pouvoirs publics. « La fabrication distribuée n’est plus une niche théorique, une gentille utopie de fablabs, on voit qu’elle est aujourd’hui mise nationalement en pratique, dans l’urgence, face aux manques criants de matériel. Elle fonctionne concrètement et porte également l’espoir de re-faire autrement le monde d’après. »

Usbek & Rica
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