L’urbanisme alimentaire pour des villes nourricières

30 Avr 2025 | Lecture 3 min

Depuis le début du XXIᵉ siècle, et plus encore ces dernières années avec les impacts du changement climatique sur les productions agricoles, l’alimentation durable s’impose comme un enjeu de plus en plus pressant pour les politiques publiques. À la croisée des dynamiques territoriales, des modes de production, de la préservation de la biodiversité et des sols, ainsi que des questions de santé, ce sujet transversal peut aussi être abordé sous l’angle de l’urbanisme. Souvent désigné par le terme urbanisme alimentaire (traduction du concept « urban food planning »), ce champ des politiques urbaines vise à intégrer les enjeux agricoles et alimentaires dans les pratiques d’aménagement. Comment les outils de l’urbanisme peuvent-ils être mis au service de l’alimentation durable ? Quelle place accorder à l’agriculture urbaine ? Quelles coopérations sont nécessaires pour créer des villes (plus) nourricières ?

De manière générale, il est bien établi que les villes sont avant tout des pôles de consommation, dépendant d’autres territoires pour assurer leur subsistance. Le dernier rapport sur l’analyse des flux de matières de l’Île-de-France pour l’année 2021, réalisé par Citésource, confirme cette tendance, notamment en termes de produits agricoles et alimentaires. Il estime que seulement 12 % de la consommation locale est couverte par la production agricole régionale, et cette part concerne majoritairement le blé. Seuls 2 % des fruits et légumes consommés sont produits localement. Selon l’Apur, Paris dispose de réserves alimentaires permettant de nourrir ses habitants pendant 5 à 7 jours seulement.

D’après Barles, Fleury et Rollinde (2025), ce système alimentaire « implique de faire circuler des aliments produits dans des territoires parfois lointains, d’aménager des infrastructures pour rendre cette circulation possible, puis de créer des espaces et des circuits pour les stocker, les transformer et les distribuer ». Au-delà du fort impact carbone de cette logistique, cette dépendance à un réseau complexe fragilise la résilience des villes en cas de dysfonctionnement technique ou de catastrophe climatique perturbant l’approvisionnement. Bien que la densité urbaine ne permette pas de créer une ceinture agricole capable de nourrir une ville entière, les pratiques d’agriculture urbaine occupent une place croissante dans la planification urbaine.

L’agriculture urbaine, catalyseur de l’urbanisme alimentaire

Au-delà des jardins partagés, premières formes d’agriculture urbaine, d’autres initiatives émergent pour rapprocher la ville et la nature, soutenir l’économie locale et renforcer la cohésion sociale. Les jardins potagers privés ou semi-privés, installés dans des cours d’immeubles ou au sein de l’espace public des cœurs de ville et des écoquartiers, restent des solutions accessibles et faciles à mettre en place. Toutefois, leur impact principal réside davantage dans leurs fonctions pédagogiques, récréatives et sociales que dans une contribution significative à l’autonomie alimentaire. Ces aspects immatériels sont néanmoins essentiels, comme en témoignent les fondateurs de la SCOP SaluTerre, un bureau d’études spécialisé dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage pour la création de « parcs publics potagers ».

« L’idée, c’est vraiment de travailler sur le paysage comme ensemble de pratiques et représentations liées à l’alimentation. L’enjeu est donc d’agir sur les pratiques et les représentations des mangeurs. C’est en cela que l’on parle de paysage alimentaire. »
(Extrait de l’entretien réalisé par Antoine Fleury et Natacha Rollin pour Métropolitiques)

Le jardin de la butte Bergeyre dans le XIXème arrondissement de Paris.© Wikimedia Commons

Le jardin de la butte Bergeyre dans le XIXème arrondissement de Paris.
© Wikimedia Commons

Pour accroître l’impact économique de l’agriculture urbaine, les micro fermes installées sur des friches, des toitures ou en sous-sols apparaissent comme des solutions plus adaptées. Parmi elles, la ferme de Saint-Denis, la plus ancienne ferme maraîchère de la région parisienne, s’autoproclame « un laboratoire à ciel ouvert ». La ferme cultive 250 espèces végétales en permaculture et produit aussi le fameux Miel Béton d’abeilles citadines. Une boucle de valorisation des déchets organiques a également été mise en place en partenariat avec les restaurateurs qu’elle approvisionne chaque semaine, permettant ainsi de revaloriser 200 tonnes de biodéchets par an.

Le Rucher de l'Institut du Monde Arabe (Paris) © dalbera sur Flickr

Le Rucher de l’Institut du Monde Arabe (Paris) © dalbera sur Flickr

Dans un format plus original, on peut citer Nature Urbaine Paris, la plus grande ferme en toiture d’Europe située au sommet du pavillon Paris Expo. Sur près de 14 000 m², elle pratique la culture hors-sol en aéroponie et hydroponie, permettant notamment de cultiver une grande variété de salades destinées aux primeurs et aux restaurants locaux.

Enfin, une troisième tendance en agriculture urbaine se développe, notamment en sous-sol : la production spécialisée de micro pousses, de champignons ou encore de fleurs comestibles. Ce modèle, comme pratiqué par le réseau Le paysan urbain, s’oriente vers un marché de niche à très haute valeur ajoutée.

L’aquaponie de la Ferme de Richard à Saint-Nom-la-Bretèche.© CD78/S.GAYET sur Flickr

L’aquaponie de la Ferme de Richard à Saint-Nom-la-Bretèche.
© CD78/S.GAYET sur Flickr

Les outils d’urbanisme au service de l’alimentation locale

Les outils des acteurs de la fabrique urbaine peuvent être adaptés afin d’intégrer l’alimentation dans l’urbanisme, mais aussi pour soutenir le développement des initiatives d’agriculture urbaines sous toutes ses formes.

Premièrement, la régulation foncière reste un levier essentiel pour limiter l’urbanisation et  préserver des terrains aptes à accueillir des activités agricoles. Par exemple, Le PLUi de Rennes distingue des « terrains cultivés à protéger » (TCP) qui sont qualifiés d’inconstructibles, garantissant ainsi des terres agricoles de proximité. A New York (Etats-Unis), la réglementation limite l’implantation de commerces vendant des aliments gras et sucrés afin d’encourager la vente de produits frais et locaux.

Par ailleurs, les projets de renouvellement urbain jouent un rôle clé en permettant l’occupation temporaire d’espaces en attente d’aménagement par des initiatives d’agriculture urbaine, dans une logique d’urbanisme transitoire. C’est le cas du quartier de la Reynerie à Toulouse, où un projet de maraîchage a débuté en 2023 suite à la démolition du collège Badioula. Ce maraîchage permet la production de neuf à dix tonnes de légumes par an, offrant ainsi aux habitants un accès à des produits frais et renforçant leur pouvoir d’achat. Pour Guillaume Chochon, cultivateur de La Milpa et responsable de l’entretien de ces espaces verts, cette installation ne se limite pas à la production maraîchère : en diffusant la culture du jardinage, elle pourrait favoriser la pérennisation d’une partie de l’activité après la construction du futur quartier.

« Enrichir le sol est également une manière de préparer l’avenir et les plantations à venir pour les nouveaux habitants qui veulent un quartier vert en bas chez eux. »
(Propos recueillis par Mariane Riaute pour ActuToulouse)

L’AFAUP (Association Française d’Agriculture Urbaine Professionnelle), réseau national des professionnels du secteur, met à disposition une fiche juridique détaillant les différentes modalités d’occupation temporaire des terrains pour des activités agricoles.

Enfin, les acteurs de l’aménagement urbain peuvent également contribuer à la production de connaissances pour mieux identifier les opportunités et les besoins pour transformer le système alimentaire de manière globale. Cartographier les ressources alimentaires, qu’il s’agisse du foncier ou du commerce en milieu urbain et rural, permettrait de visualiser les interdépendances, les flux de production et de consommation. Bristol (Royaume-Uni) a ainsi réalisé un audit de son foncier agricole, analysant à la fois son potentiel et les risques associés (inondations, impact du changement climatique, etc.).

Cependant, certains aspects du processus d’aménagement doivent également évoluer pour permettre le développement de l’urbanisme alimentaire. Dès la phase du montage de projet, il est essentiel d’impliquer une diversité d’acteurs : experts en agriculture et en maraîchage, spécialistes de la restauration collective ou encore professionnels de la distribution alimentaire. Dans le cadre du projet des fermes de Doulon-Gohards, la maîtrise d’ouvrage a ainsi décidé de faire travailler ensemble un maraîcher avec des urbanistes–programmistes afin de convaincre les élus métropolitains qu’un tel projet agricole pouvait dépasser la seule vocation associative et pédagogique.

Les primeurs alternatifs, acteurs phares de la transformation

Au-delà des experts mobilisés pour l’élaboration de projets urbains agricoles, les primeurs jouent un rôle stratégique en tant que médiateurs entre producteurs et consommateurs. Certains d’entre eux, qualifiés de primeurs alternatifs, choisissent de contourner les grossistes du MIN de Rungis en s’approvisionnant directement auprès de producteurs ou de coopératives agricoles.

Cette démarche peut avoir un effet sur la sélection de produits. Alors que les primeurs conventionnels privilégient la satisfaction immédiate de la demande client, indépendamment des circuits d’approvisionnement, les primeurs alternatifs font le choix d’une offre plus restreinte, mais locale et de saison. Ils insistent sur la nécessité de sensibiliser leur clientèle aux réalités de la production agricole et aux contraintes liées à l’approvisionnement de proximité.

Les primeurs alternatifs transforment aussi le système alimentaire en mobilisant une diversité d’acteurs. Leur démarche entre en résonance avec les politiques locales en faveur d’une alimentation durable, ce qui leur confère le rôle d’ambassadeurs locaux et leur ouvre parfois à des ressources stratégiques, notamment en matière d’accès au foncier commercial.

S’inscrivant dans l’économie sociale et solidaire, ces primeurs ont aussi la possibilité de tisser des liens avec d’autres entrepreneurs ou associations qui viennent complémenter leur travail sur les aspects tels que la communication ou développer leur réseau de potentiels clients (cantines et restaurants solidaires). Ces alliances peuvent mener encore plus loin en adoptant des modèles de gouvernance participatifs, comme les Sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC), qui permettent d’intégrer les producteurs dans la prise de décision.

L’urbanisme alimentaire offre donc un cadre pour développer des systèmes d’alimentation locaux, sains et durables en utilisant les outils d’urbanisme existants et en intégrant des acteurs qui sortent des modèles traditionnels. Néanmoins, pour réformer de manière globale le système alimentaire et garantir une agriculture juste et éco-responsable, des actions à l’échelle nationale ou internationale sont nécessaires, en raison de l’absence de compétences directes des communes et des agglomérations en matière d’agriculture.

Cela ne doit cependant pas empêcher la promotion des différentes formes d’agriculture urbaine, allant du simple jardin potager à des projets maraîchers de plus grande envergure, car l’agriculture urbaine ne se limite pas à une fonction alimentaire. La notion de ville nourricière englobe aussi des valeurs immatérielles telles que le lien social, l’apprentissage, le soin et la gastronomie. Cette vision implique également un ancrage géographique et humain, en créant des liens solides avec les acteurs locaux et en nourrissant un sentiment d’appartenance au territoire.

LDV Studio Urbain
+ 411 autres articles

Articles sur le même thème

Un monde sans ruines ?

Réagissez sur le sujet

Les Champs obligatoires sont indiqués avec *

 


Connexion
Inscription
  • Vous avez déjà un compte identifiez-vous
  • Mot de passe oublié ?
  • Vous n'avez pas de compte, créez le ici
  • * Champs obligatoires
  • Max 200ko / Min 100x100px
    choisir