Les Open Air, outils de réappropriation urbaine ?

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22 Sep 2022 | Lecture 3 min

Ces dernières années, et d’autant plus à la suite des confinements de 2020, la fête s’est rapprochée des centres urbains, des berges ou encore des parcs à travers les “open air”. Ils attirent chaque été des publics de plus en plus nombreux et différents, à des temporalités très variées. Le signe d’une volonté partagée de se réapproprier l’espace public ?

Les open air s’emparent des villes

Du son n’importe où, n’importe quand, avec n’importe qui. Telle est la devise de Radio Cargo qui organise depuis le début du printemps des fêtes “pirate” dans la capitale française. Avec une organisation totalement en phase avec les pratiques des urbains d’aujourd’hui : un système son alimenté par des batteries récupérées sur des trottinettes électriques en fin de vie, acheminé sur les quais parisiens de Seine plusieurs fois par mois grâce à des vélos cargo modifiés en DIY (Do It Yourself).

Une pratique qui peut étonner, alors que pour conjuguer avec les nuisances sonores qu’elles créent et la frilosité des pouvoirs publics, une grande partie des fêtes de ce type se déroulaient jusqu’à peu majoritairement dans des hangars ou des friches. Des lieux à l’écart de toute habitation, à l’exception de quelques évènements en centre-ville autorisés par les préfectures comme la techno parade. De fait, si les organisateurs de ces fêtes “sauvages” se font régulièrement interrompre avant la fin des festivités, la pratique est moins systématique qu’auparavant et les autorités laissent parfois faire, ne constatant aucune raison de dire d’arrêter. Plus encore, l’événement permet d’animer une partie de la ville majoritairement touristique, durant l’après-midi.

Capture d’écran du compte instagram @ radiocargo

Capture d’écran du compte instagram @ radiocargo

Les open air sont même bien souvent légaux, et plébiscités par les villes. Qu’on pense aux nombreux événements organisés dans la ville de Paris à la sortie du confinement ou encore aux précurseurs toulousains des Siestes Électroniques, parmi les premiers à organiser un festival de musique électronique, en plein air et en journée, il y a tout juste vingt ans. Un concept qui a tellement bien fonctionné qu’il s’est délocalisé partout dans le pays, et notamment récemment à Pantin au sein de la cité des Courtillières dont l’espace vert central a été animé tout un week-end.

Le pendant respectable des free parties ?

Pour autant, ces évènements ne sont pas le symbole d’une entente enfin cordiale entre les forces de l’ordre et les fêtards, après des années d’affrontements parfois difficiles. Au contraire, on observe une différence de plus en plus marquée entre des open air institutionnalisés, encadrés et acceptés et des free parties vues avant tout comme des nuisances, et de plus en plus connues du grand public, surtout depuis le printemps 2020.

Alors qu’une grande partie des français attendaient avec impatience le troisième déconfinement du mois de mai 2021, certains l’avaient réalisé en avant-première le week-end précédent à travers de nombreuses free parties aux quatre coins de la France. Le point commun de toutes ces fêtes ? L’intervention des gendarmes et des policiers, et les plaintes des différents maires concernés qui y ont vu une nuisance et un problème de sécurité pour leur commune. En dehors des périodes de confinement, les forces de l’ordre ont même eu régulièrement recours à la saisie — et parfois même à la destruction pure et simple — du matériel des teufeurs (enceintes, platines, etc) empêchant toute future animation de la sorte.

Pourtant, certains maires, marqués par le désarroi actuel d’une grande partie de la jeunesse, se sont pris de sympathie pour ces raves … jusqu’à y participer. C’est notamment le cas d’Yves Delot, maire de la commune de Saint-Florentin qui a franchi le pas d’un hangar au nouvel an 2022 pour aller directement rencontrer les teufeurs, des jeunes gens bien élevés” et “simplement heureux de se rencontrer”. À l’inverse, quelques mois auparavant, c’est en plein cœur de Paris, au sein du parc des Buttes-Chaumont, que plusieurs jeunes ont spontanément organisé une fête sauvage en pleine période de restrictions sanitaires, cette fois-ci moins respectueusement.

Capture d’écran du compte @ ElectroNewsEN

Capture d’écran du compte @ ElectroNewsEN

Deux événements qui permettent de sortir de la dichotomie parfois faite entre des fêtes “respectables” visibles dans les villes, en plein air et en journée et des raves plus dangereuses dans des hangars et autres lieux désaffectés, à réprimer. Au contraire, comme le disait l’anthropologue Emmanuelle  à l’hiver 2020 “plus la fête sera interdite, plus ça donnera lieu à des conduites transgressives, dans des lieux non consacrés.”

Un continuum de la fête

Des fêtes sont organisées au sein de toutes les cultures — même au cœur des régimes les plus autoritaires, afin de légitimer le pouvoir — et présentent ainsi à la fois universalité et pluralité. L’anthropologie nous montre que celles-ci sont à la fois organisées et contenues, à l’image des grands carnavals qui transforment les espaces, les corps et les pratiques durant quelques jours, avant de permettre un retour à la normale.

Carnaval © Getty

Carnaval © Getty

En France, on peut faire un parallèle avec la fête de la musique, ou même avec la victoire française à la coupe du monde de football, qui transforment les rues des villes durant quelques heures, et donnent aux citadins le droit à une nouvelle appropriation des lieux. Alors que certaines rues n’étaient dédiées qu’au passage, elles se transforment en espace de danse et de fête, où le volume sonore peut dépasser les limites habituelles.

De la même manière qu’un collectif peut s’approprier un hangar et en détourner l’usage initial le temps d’une rave, les open air sont l’occasion d’une nouvelle appropriation d’un lieu en général dédié à la flânerie ou au passage (parcs, friches, berges, espaces publics, etc.), particulièrement excitant pour les usagers justement parce que ce détournement n’est que temporaire.

Plus que les simples open air, ce qui est observé aujourd’hui est un véritable continuum de la fête, selon les mots d’Emmanuelle Lallement, où les publics circulent d’une fête à l’autre. On peut ainsi retrouver des mêmes individus à un open air organisé par une mairie en après-midi, à une fête d’un collectif militant le samedi soir et en teuf dans la forêt le week-end suivant. Un phénomène qui va de pair avec la chute de l’attrait pour les boîtes de nuit plus classiques, dont le nombre a chuté de 70% en 40 ans sur le sol français. La faute à une image de plus en plus ringarde, à des prix prohibitifs pour une jeunesse précarisée, ou encore à la sélection sociale à l’entrée des boîtes.

Ces dernières années s’est renforcé ce rejet des discothèques au profit des soirées en appartement, des open air et de la participation à des fêtes organisées par des collectifs plus en phase avec les convictions de chacun. La preuve d’une revendication — parfois inconsciente — chez les citadins d’un véritable droit à la ville sous la forme de fêtes, chères à Henri Lefebvre, et d’une réappropriation de tous les espaces, du logement privé jusqu’au parc public.

LDV Studio Urbain
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